Quand l’œil de lynx guette…

En dix ans de combat contre le pouvoir de Lansana Conté, Le Lynx a connu une évolution de plus en plus grandissante qui trouve une reconnaissance, tant sur le plan national qu’international.

Il a reçu le prix « Médias et Démocratie » à Genève pendant l’année 2000 ; il s’est étoffé, en partant de huit pages au départ pour arriver à seize, des colonnes où se partagent les rubriques telles que : Lynxorama (avec son habituelle Chronique Assassine 106 et le carton jaune du vié Koutoubou), Politique, (c’est ici que l’on peut retrouver l’éditorial avec son titre énigmatique Juste un mot) Economie, Société, Lynxculture, Interview, La Bavette, Education. Un rubriquage presque simple qui rappelle celui de n’importe quel journal. Une construction banale qui cache un vrai défi de dénonciation.

Le point de départ de la première recherche que nous avons consacrée à ce « carnassier » venait du simple constat qu’il était connu par beaucoup de Guinéens. Pourquoi ? Peut être parce que dans cette démocratie naissante, Le Lynx s’est vu souvent envoyer en prison pour la vigilance de son regard et la fertilité de sa plume. Qu’en est-il donc de la loi sur la liberté d’expression ?

Dans son premier numéro, celui du 7 février 1992, le directeur de publication consacrait son éditorial à cette loi. Il relevait que celle-ci était à près de 80% répressive ; et la caricature qui accompagnait son papier représentait un journaliste sur un chemin avec un panneau indiquant un sens unique ; la flèche conduisait en prison.

On peut dire qu’en réalité c’est l’histoire politique particulière de la Guinée qui est, sans nul doute, à la base du retard qu’accuse ce pays dans la voie du développement des médias privés. En effet, nous avons vu que quelques années après son accession à l’indépendance, en 1958, le pays sombre dans un régime dictatorial et sanguinaire dont il allait faire les frais pendant vingt six ans.

Lorsque l’armée reprend le pouvoir en 1984, le pays a connu une telle hémorragie intellectuelle que les bases démocratiques sont à reprendre. En 1990, la loi fondamentale est votée par une majorité écrasante. La liberté d’expression s’y trouve consacrée. C’est un moment qui connaît un afflux, sans précédent, de retour des guinéens forcés à l’exil par le régime de Sékou Touré. C’est dans cette atmosphère que vont commencer à circuler, dans les rues de Conakry, les premiers pamphlets politiques d’un certain Bah Mamadou. Voilà les premières phases d’une étude de marché peu conventionnelle. A partir de cet instant, on pouvait deviner ce que le guinéen voulait lire.

Parmi les Guinéens qui sont de retour au bercail, un certain Souleymane Diallo. Il ramène dans ses valises le projet de création d’un journal d’information générale. Il s’appellerait : La Boule de Cristal , ou Le cristal , tout court. A sa rencontre avec Bah Mamadou, il décide de geler son projet, pour fonder, avec ce dernier, et d’autres collègues de la diaspora, (Bah Mamadou Lamine, Oscar) un journal d’information générale dont l’ambition avouée est d’imiter Le Monde . C’est la création de La Nouvelle République .

L’équipe travaille, de manière assidue, malgré quelques désaccords latents sur le fond du journal, jusqu’à la décision par Bah Mamadou de venir avec les statuts de création d’un parti politique qui s’appelle : Union pour la Nouvelle République . C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Dès la clôture du premier numéro, Souleymane Diallo claque la porte. Il est suivi par ses deux collaborateurs. Ensemble, ils reprennent le projet de départ. Du journal d’information générale, Le Cristal , ils décident alors de créer un « hebdomadaire satirique indépendant » qui porterait le nom d’ Œil de Lynx , qui deviendra : Le Lynx

Dénoncer en espérant améliorer, c’est certainement, là, la plus noble tâche que puisse se fixer le journalisme en Afrique, et c’est ce projet de dénonciation, fondement de la satire, par exemple mettre à nu les impostures des gouvernants africains, qui pousse les fondateurs de JJ à créer un autre journal qui, cette fois s’attaque à « toute » l’actualité du continent. Autrement dit, un journal, non plus national, mais panafricain.

Notes
106.

Cf. mémoire de maîtrise : cette chronique fut étudiée dans la particularité de son discours suivant ses deux différents auteurs. Le premier s’appelait Williams Sassine, d’où d’ailleurs le titre de la chronique. En effet, à la naissance du satirique, la rédaction du Lynx fait appel à cet écrivain de renommée pour lui confier cette page qui sera baptisée de son nom : la Chronique à Sassine. La préposition disparaîtra pour donner naissance à l’adjectif Assassine. W. Sassine décèdera en février 1997 et sera remplacé par un autre écrivain guinéen : Ahmed Tidjani Cissé.