2-3°/- La caricature censurée

De tout temps, le pouvoir, qu’il soit politique ou religieux (d’aileurs, les deux sont souvent liés) a été un endroit sanctifié. L’univers politique, dans sa quête de perfection, tombe très rapidement comme le sujet favori de la satire et de la caricature. Comme nous l’avons vu précédemment, les politiciens africains font tout pour paraître le plus parfait possible aux yeux de la société. Cependant, la recherche et l’affichage de cette image parfaite sont loin de coller à la réalité des personnages. Autrement dit, très souvent, plus qu’ils ne veulent l’admettre, les comportements des politiciens sont en décalage avec les idéaux qu’ils disent défendre. Ces conduites contraires à la norme constituent le facteur qui déclenche le discours caricatural.

La parodie et le travestissement qui résulte du dessin caricatural sont destinés à détruire le lien qui semble exister entre les personnages tels qu’ils se présentent devant le public et la profession de foi ou leurs actions. Les propos qui auraient pu être admirés sont remplacés par des images ou des propos grimaçants 130 . On se doute bien que ce discours dégradant et dévaluatif formulé par la caricature ne peut agir impunément dans la société. Les hommes politiques qui s’assurent de leur image positive et du bon fonctionnement de leur communication, se lancent alors sur les trousses de ces impétueux personnages qui osent s’attaquer à la sacralité de leur pouvoir. En Afrique, comme ailleurs, la critique même des journaux traditionnels a connu les foudres de la censure politique. Si la critique veut virer à travers en plus d’une plume qui ridiculise, qui amoindrit et qui dénude les secrets les plus enfouis, la censure fait très vite abattre la sentence de la loi.

Nous avions noté les arrestations intempestives de Souleymane Diallo en Guinée. Dans ces pays, la désacralisation du pouvoir qui passait déjà par une dénonciation traditionnelle des médias d’information générale est à peine connue lorsque la presse satirique fait son entrée sur la scène. Aucun répit ne sera donné à ces journaux. Par exemple, en Guinée, Le Lyn x est certainement le journal qui a connu plus de déboires dans ce pays. Récemment encore, un des journalistes (stagiaire) joint au téléphone, nous faisait part d’une arrestation dont il a été victime. La carte de journaliste du Lynx a été très longtemps (elle l’est apparemment encore) une pièce qui garantit très facilement l’ouverture des portes des cours de justice ou des prisons guinéennes. L’audace du journal, par le ton et les dessins qu’il emploie, est régulièrement sanctionnée.

Au Gabon, nous avons observé que le Gri-Gri était, tout d’abord, une page de La Griffe . Le Président O. Bongo n’a pas laissé très longtemps ce journal vivre. Plusieurs fois suspendue, La Griffe est désormais habituée aux humeurs du Président gabonais et de son entourage. Il est régulièrement attaqué pour être muselé. Son directeur de publication, M. Ongoundou, sous interdiction d’exercer son métier de journaliste sur le territoire gabonais, n’a d’ailleurs eu d’autre choix que de s’exiler en France pour créer, le Gri-Gri Intenational , avec dautres journalistes qui ont quitté leur pays pour les mêmes rasions de censure (comme Issa Nyaphaga, ancien caricaturiste du Messager Popoli ). Sur son site, on peut lire :

‘« Au départ, il y avait La Griffe, hebdomadaire satirique gabonais, qui brocardait la vie politique de l’Emirat du Mollah Omar B. Dans ce pauvre petit pays riche, les dirigeants n’ont malheureusement pas le sens de l’humour, c’est pourquoi l’existence du Gri-Gri international est une série de menaces physiques de ses rédacteurs, de procès en diffamation, de pressions amicales qui ont valu aux journalistes du Satimédia gabonais de prendre le chemin de l’exil et de voir leur journal maintes fois interdit ».’

On apprend aussi sur le site l’interdiction définitive du Gri-Gri et de La Griffe  ; et les menaces sur tous les distributeurs gabonais qui osent vendre le « quinzomadaire satirique panafricain ». Cette aventure nous rappelle, s’il est besoin, que la caricature peut, à tout moment tomber sous le coup de la censure en Afrique. Une cesnure qui lui pend au dessus de la tête comme une véritabele épée de damoclès. Cependant, il faut reconnaître que le succès que connaissent ces journaux en Afrique (une des dernières arrestations de Souleymane Diallo eut comme dénouement la cotisation des lecteurs pour payer sa caution à la justice) leur assure une certaine légitimité qui leur permet de croquer la politique africaine avec une certaine marge de liberté. Une liberté revendiquée pour garantir celle de l’expression, un pied de nez à la censure.

Notes
130.

Hodgart, 1969, p.109