3-1-1°/- L. Conté : figure du Patriarche

Prenons, pour commencer, la caricature de Lansana Conté en Guinée. Nous précisons qu’on ne peut dissocier l’analyse des représentations du Président Guinéen de celle des « unes », puisqu’il apparaît régulièrement sur cette première page. Donc, notre réflexion articulera à la fois l’observation des moyens de représentation du sujet et une analyse des unes auxquelles le personnage est associé. En outre, nous observerons que ce premier niveau du discours du Lynx renvoie régulièrement au sujet qui préoccupe la Guinée pendant cette période : la révision constitutionnelle. Cela n’entamera en rien la partie que nous consacrerons, de manière plus précise, à cette actualité.

Pour la caricature graphique de L. Conté, Oscar, le dessinateur du Lynx , fait un choix symbolique, (au-delà des traits physiques retenus pour reconnaître la cible) dont la lecture oblige la connaissance de l’histoire politique et de la culture guinéenne. En effet, le Président du pays, dans l’habillage que lui constitue le caricaturiste, porte toujours un boubou, un bonnet et des babouches. Ce costume est, bien évidemment, plus proche de celui d’une vieille personne que de celui d’un fringant jeune homme. Autrement dit, le code vestimentaire africain reconnaît que ce type de vêtement et celui que revêtent les vieux (donc les patriarches ?). Mais le caricaturiste du Lynx ne s’arrête pas sur cette unique référence culturelle. Il construit un second univers implicite : en fait, sur le bonnet de L. Conté, on peut remarquer quatre étoiles. Ces dernières font référence au grade militaire qu’il a exigé qu’on lui reconnaisse (« Je suis Général et je le resterai jusqu’à ma mort. Je ne signerai aucun document qui ne porterait pas cette mention », avait-il déclaré à la suite des premières élections présidentielles de décembre 1994). Donc, pour lui, il a été et reste Général, même s’il a dû, à un moment donné (lors des élections présidentielles de 1994) abandonner son statut de militaire, puisque la Loi Fondamentale stipulait que seul un civil pouvait briguer un mandat présidentiel. Désormais élu à la tête de l’Etat, L. Conté entend bien rester Général de l’armée. D’ailleurs, sa représentation dans ce type d’habit (civil, nous entendons : un boubou, un bonnet et des babouches) s’oppose très parfaitement à des images qui accompagnent les articles qui parlent de l’époque où il venait d’accéder au pouvoir suprême. Cette différence apparaît de manière plus éloquente encore avec la caricature qui a accompagné régulièrement les analyses de Bah Mamadou Lamine ; 1985, un militaire, 2001, un civil. Pour le caricaturiste, les deux époques cohabitent au sein dans la même représentation :

Par ce jeu subtil, où l’ironie se mêle au réel, Le Lynx construit, implicitement, un discours critique d’une attitude contraire à loi électorale Guinéenne. Lansana Conté, trahirait ainsi son serment de respect de la Loi Fondamentale, se trouvant de ce fait dans une position d’entorse à la norme. Et c’est justement à ce niveau de digression, comme nous le savons, que va s’exercer la critique satirique. La société doit fonctionner dans le respect d’un certain nombre de valeurs, qui sont autant de piliers qui fondent les normes sociales aux quelles doivent se soumettre, équitablement et sans distinction aucune, tous les citoyens, caractéristique fondamentale de l’espace public. A partir des faits et des actes (comme ceux que nous venons de relater) qui sont autant de repères historiques et culturels de la société Guinéenne, Le Lynx propose une image ( au double sens de reproduction visuelle du réel et de représentation symbolique) du Président qui va ainsi entrer dans la vie quotidienne et être conservée dans la mémoire. On reconnaîtra la cible par autant de traits physiques exhibés et grossis, mais cette caricature dit plus que la lettre du mot, puisqu’au-delà de l’identification des étoiles, l’appartenance culturelle et sociale du destinataire renvoie un autre message sur lui, implicite, qui lui rappelle l’histoire et le contexte rattaché à ces étoiles.

Pour épuiser, complètement, la compréhension de l’image de L. Conté qui est proposée dans les colonnes du Lynx , il importe de s’arrêter sur le surnom qu’on lui donne. Parce que, à notre avis, c’est de là que découle, indiscutablement, la logique de représentation du personnage. L’esquisse qu’on fait de lui est en étroite relation avec cet identifiant : Fory Coco. Ce nom est composé de deux mots qui ont chacun une signification indépendante. Le premier (Fory) est tiré d’une langue locale, celle même du Président : le Soussou. Elle est parlée par la principale ethnie de la Basse Guinée. Mais c’est aussi la langue la plus parlée dans la capitale, Conakry. Fory, veut dire, littéralement, quelqu’un de plus âgé, un patriarche, en quelque sorte. Lors d’un de ces discours officiels, L. Conté se présente comme le patriarche du village guinéen et considérant, par conséquent, tous les autres comme des enfants. Dans la tradition africaine, on le sait, l’aîné a, pour autant dire, tous les droits sur les moins âgés (même s’il faut, selon nous, relativiser cette affirmation : la force de l’aîné n’est pas à opposer à la faiblesse sur le jeune, puisque cette force supposée est la résultante d’expériences, d’une vie faite de réussite et d’échec qui seraient autant de clefs censées permettre de mieux voir les pièges de la vie. Le proverbes disent « l’enfant sait courir, mais il ne sait pas se cacher » ou « l’enfant est malin, mais le vieux a duré dans la vie » (comprendre, il a de l’expérience).

A partir du moment où L. Conté revendique cet attribut, il se représente ainsi lui-même comme celui qui est en mesure redresser les torts. Mais quand le satirique s’en approprie, c’est seulement dans une déclinaison ironique, d’autant que le personnage en question fait régulièrement des entorses aux normes de la société.

Quant au second mot qui compose le surnom, Coco, il est utilisé à propos d’une personne intelligente, mais à l’apparence naïve. Cette naïveté feinte est souvent reconnue au Président Guinéen parmi la population. Pour beaucoup de ses concitoyens, L. Conté n’a rien de bête, il feint de l’être. Il faut cependant reconnaître que le mot le plus important dans cet identifiant composé n’est sûrement pas Coco, mais bien Fory. Cela pour deux raisons : d’abord parce que c’est Fory qui est retenu par les Guinéens pour parler de leur President. Ensuite, parce que tous les comportements, comme nous le verrons, de despote, d’empereur (qui n’a de compte à rendre à personne) dérive du fait qu’il se considère comme le Fory dans ce pays. C’est peut être la raison pour laquelle c’est seulement ce mot qui est retenu pour le désigner, lorsqu’on parle de lui, dans les rues de Conakry, au lieu de la totalité du nom composé. C’est cette caractéristique, ce caractère qui retient l’attention et explique ses comportements. C’est à partir de lui que se construit le champ lexical de dictateur et d’empereur que livre Le Lynx .

S’intéresser à la représentation de L. Conté dans les pages du Lynx ne peut empêcher de faire l’analyse de la une du journal, d’autant que dans cette période, il apparaît, quasiment, toutes les semaines à la première page. Donc, nous allons analyser ce lieu, comme espace dédié aux caricatures de Conté. Tout est fait comme si ce lieu était un espace réservé au président (Oscar 133 lui a ouvert un autre qu’il a baptisé «  la face de l’an pire  » : le jeu de mot établit un lien entre la situation catastrophique que le pays vit pendant cette année de modification constitutionnelle, et la gestion du pays, comme un empire). Prenons, par exemple, pour analyser la façon dont fonctionne la représentation iconique et linguistique du Président Guinéen, la une n°488, du 30 juillet 2001. Elle est consacrée à la visite de Lansana Conté à son homologue russe, Vladimir Poutine. Un surtitre, « Fory Coco en Russie » rappelle le voyage, le contexte pour mieux guider la lecture du gros titre qui suit : « Un moche-coup ! ». Dans cette caricature, on peut voir les deux Présidents lancés dans une danse, l’un dans les bras de l’autre. Chacun des personnages porte un sac à dos dans lequel on peut voir des canons d’armes. Sur le sac de L. Conté, on peut lire le message linguistique suivant : Bauxites. Alors que celui de V. Poutine exhibe : Rouble. En arrière-plan, on devine un bâtiment qui représente le Kremlin, d’autant que l’on peut lire en toutes lettres ce message. Dans les signes linguistiques, on peut aussi lire la complicité des deux danseurs à travers les « oui ! waïs ! » (Waïs est une déformation du Oui) de L. Conté et les « Da-Da ! » de V. Poutine. La musique est représentée elle, par des notes. En haut et à droite, un personnage observe la scène et réagit en ces termes :

‘« Koutoubou ! Non, mais… Didons. C’est quelle mamaya communiste vous « fête » encore là ? Mon vié, pays là ». ’

Ce personnage, c’est le Vieux Koutoubou. Il apparaît sur chaque une du Lynx . Nous étudierons dans la dernière partie son rôle et son statut dans le dispositif du journal. Pour le moment, il faut retenir que ce personnage représente un regard extérieur, la voix de la sagesse. A travers ses observations, son discours permet de mettre en exergue le point central de la critique, à partir duquel, d’ailleurs, se fonde l’unité de la une, notamment dans la construction des cartouches (sortes de rubriques qui à la manière des titres de l’actualité au journal télévisé, que nous étudierons également dans la dernière partie de cette thèse). Koutoubou est vieux, donc sage (association opérante en Afrique) ; son regard sur la scène de la une est un avis plein de bon sens et ses questionnements légitmes. C’est aussi un des premiers lieux où s’exprime l’humour et le décalage. Son humour, très souvent, se contruit dans la prise en compte des langues locales, comme le montre cette une :

Nous pouvons lire cette une à deux niveaux : le premier, c’est la caricature elle-même, puisqu’elle présente la complicité de deux chef d’Etats qui sont sur le point de conclure une affaire. En fait, le Président Guinéen se trouve dans la capitale Russe pour une visite officielle dont les dessous sont peu clairs, puisque son déplacement est lié à des achats d’armes. Le sous-entendu du satirique est suggéré par l’apparition des canons d’armes qui sortent des sacs des deux protagonistes. La transaction, qui intègre la dette de la Guinée vis à vis de la Russie, devait se faire entre le Rouble (monnaie Russe) et la Bauxite, dont la Guinée est le deuxième producteur mondial, après le Brésil. Entre les deux partenaires, c’est finalement une fête , suggérée par le jeu de mot du Vié Koutoubou : au lieu d’avoir la deuxième personne du pluriel du verbe faire ( vous faites ), le signe va prendre une fonction poétique et rhétorique essentielle pour attirer l’attention du destinataire sur la façon dont le message est tourné. Cette idée de fête est redondante à travers, non seulement le signe iconique de la danse, mais aussi dans l’utilisation d’un mot issu du Malinké, une langue locale guinéenne : la Mamaya. C’est une danse de la Haute Guinée qui se pratique, chez les femmes, avec grâce. Et c’est là d’ailleurs tout le paradoxe et toute l’ironie de cette caricature : ici, elle est dansée par des hommes, et surtout en sueur. Rien dans la nature de cette danse n’est finalement conservée, ni la grâce ni le respect du sexe de ceux qui dansent. Rappelons néanmoins que ces dernières années, à Conakry, la Mamaya est souvent liée à toutes sortes de manifestations, ce qui en fait, dans le jargon du Lynx , synonyme de fête.

Le deuxième niveau de lecture de cette une se révèle dans la relation de la caricature avec le titre. Effectivement, le jeu de mot « Un moche-coup » rappelle Moscou, la capitale de la Russie. Mais, c’est surtout un discours fortement connoté. Parce qu’en plus de la signification dénotée que peut recouvrir ce signifiant, construit à partir d’un adjectif et d’un nom, Le Lynx glisse insidieusement un signifié implicite dont l’actualisation passe par la lecture de la cartouche « Visite » et par l’article de Diallo Souleymane, en page 7. Dans la cartouche donc, on peut lire ceci :

‘« Fory Coco était en visite officielle à Moscou du 25 au 28 juillet. Pour une visite éclair, peu claire, faite d’hospitalité et contre hospitalisation, ponctuées de mamaya. Quel coût ! ». ’

A partir de là, nous savons que L. Conté était en Russie. Nous devinons aussi qu’il a eu des problèmes de santé, à travers le champ sémantique lié à l’hôpital : hospitalisation utilisé par le journal. Mais pour connaître les circonstances exactes de cette visite, le journal renvoie son lecteur à la page indiquée. A ce sujet, Souleymane Diallo écrit :

‘« Il s’en est fallu de peu que le téléphone ne pète le vendredi 27 juillet. « Le Général Conté est hospitalisé dans une clinique de Moscou ». La rumeur a fait le tour du monde. Les agences de presse, les journaux, des individus, ont tenté d’appeler tous ceux qu’ils connaissent en Guinée pour confirmer ou infirmer « cette hospitalisation » » 134 .’

Le caractère « moche » de cette affaire, en tous cas ce à partir de quoi se construit la critique du journal, en dehors de la maladie supposée du Président, c’est surtout le secret qui a entouré l’événement :

‘« Ce n’est quand même pas le moment où l’information possède des autoroutes qu’une rumeur doit nous terrasser sur la piste de Moscou. Que dis-je, ah, Moche-coup ! »’

En définitive, c’est un coup où des rumeurs de toutes sortes fondent sur Conakry (« Cona-cris », orthographie Le Lynx ). C’est peut être pour limiter la propagation de ces suppositions que, selon l’Administrateur Général,

‘« les agences de presse ont tôt fait d’en ajouter des chapitres au communiqué du Bureau de Presse de Fory Coco qui ne parlait de ce voyage qu’en terme de coopération et de valorisation de bauxite ». ’

L. Conté devait alors discuter avec son homologue russe, de la dette, de la Bauxite, des armes (cf. caricature de la une) et de santé (cf. cartouche « Visite »). Au journaliste d’ironiser :

‘« Eh, oui ! L’information avait bien circulé en termes de rumeur peu avant que l’avion présidentiel ne s’envole pour Moscou ».’

Comme nous l’avons vu, Le Lynx conçoit ce titre par un jeu de mot où les sonorités sont les ingrédients basiques pour créer ce formidable raccourci : « Un moche-coup ». Mais par un jeu de mot habile d’humour et d’ironie, Le Lynx veut aussi insinuer les conditions dans lesquelles s’est effectué ce voyage.

Retenons que si le nom de la capitale Russe a subi une transformation qui part d’un simple nom (Moscou, un mot) pour aboutir à un nom composé (moche-coup, un adjectif et un nom), cet exercice est porteur de deux objectifs de la part de son auteur : d’abord, la démarche tient de la simple assonance des deux mots. La quasi-similitude de prononciation semble être à la base du procédé de substitution. Néanmoins, se contenter de cette unique interprétation reviendrait à ignorer la part essentielle de ce mot d’esprit. C’est à la convocation de cette seconde lecture qu’intervient la mobilisation de l’implicite. En réalité, c’est, évidemment, dans les conditions d’énonciation, non pas uniquement dans l’énoncé, qu’il faut aller chercher la signification réelle de ce mot. La structure sémiotique de ce « moche-coup » est plus complexe qu’une simple histoire de sonorités ; elle dépasse largement un exercice de prononciation, elle est au-delà d’une simple histoire de sons qui seraient presque identiques.

L’adjectif qui précède le substantif est choisi pour exprimer plusieurs signifiés dont le plus important, subtil et insidieux, est l’ironie introduite pour parler de la vraie-fausse hospitalisation de Lansana Conté à Moscou. Les articles de Diallo Souleymane et Thierno dans la rubrique événementielle, « Fory Coco en Russie » raconte cette rumeur avec l’humeur habituelle du satirique.

Cette semaine du 30 juillet donc (annexes), l’actualité guinéenne est dominée par cette visite. Mais cette période est surtout un moment de tremblement et de crise politique dans le pays. Nous sommes en plein dans la perspective de changement de la constitution. Cette modification constitutionnelle est fortement critiquée par toutes les forces démocratiques. Le Lynx est au premier rang des frondeurs de la politique du Chef de l’Etat et de son gouvernement. Comme nous le titrions, le Président est en pleine ligne de mire, pour ne pas dire de l’ire. Sept numéros du Lynx consacre sa une à cette question, avec au premier plan le Président de la République. Nous verrons autour de quels signifiants la rédaction du carnassier fonde sa critique et sa colère. Pour mieux voir L. Conté en patriarche, gouvernant la Guinée comme un père de famille, on peut se référer à la une du 6 août 2001.

Le Lynx fait état de visites de notabilités de la ville de Télimélé et de la région forestière au Président : « Télimélé et la Forêt chez Fory Coco  : Encens unique ! » La caricature d’Oscar montre le Président porté par trois personnages âgés. Il semble s’asseoir sur le premier, la main gauche posée sur ses fesses, comme pour accoudoir. Sur les deux de devant, ils posent nonchalamment ses pieds, en tenant entre ses doigts de la main droite une cigarette. Le personnage sur lequel est visiblement posé son pied tient une radio (RFI, figuré par un signe linguistique) qu’il essaie de faire taire en lui assenant des coups de marteau, parce qu’elle serait menteuse (« man-taire », dit-il). Le Président Guinéen semble contrarié : la bulle de ses pensées dit « Mörr ! ». Cette interjection, commune à toutes les langues nationales guinéennes (en ce qui concerne en tous cas les trois principales : le Peulh, le Soussou et le Malinké), est fréquente dans la parole des vieux pour signifier leur nervosité, pour signifier qu’ils sont excédés. Le personnage sur lequel s’appuie L. Conté utilise aussi une langue nationale, en l’occurrence ici le Soussou : « N’na Wonku Manè ». Quant au Vieux Koutoubou, il s’exclame :

‘« Koutoubou ! Non, mais… didon. C’est quel « soutien » vous provoquez encore comme ça ? Mon vié, pays là ! »’

Le signe linguistique mis entre guillemets, « soutien », est en redondance avec le signe iconique (L. Conté porté par les personnages) : ils renvoient au même signifié, c’est à dire l’appui que viennent apporter les notables au projet du Président. Le signe iconique, finalement, reprend la signification littérale du signe linguistique. Cette compréhension basique, du sens dénoté, permet au caricaturiste de glisser sa critique avec sa dose humoristique. Le soutien qu’on lui apporte est doublement signifié : la caricature et la parole déclinée par le Vieux Koutoubou, mais aussi par la cartouchePolitique :

‘« Les notables de Télimélé et de N’Zérékoré se sont relayés, le 1er Août, chez Fory Coco. Pour régler leurs affaires et lui exprimer leur soutien pour un mandat éternel. Sans frein ! »’

Donc, on le soutient, on l’encense (« N’na wonku manè ! » dit le personnage en bon Soussou, comprenez, « Je le gratterai ») et on va tous dans la même direction, d’où le titre : « Encens unique ! » Le jeu de mot concentre le caractère encenseur que l’on connaît des visiteurs, mais aussi toute la critique, quant à l’absence d’alternative pour le pays depuis que l’on parle de la modification de la Loi Fondamentale et de la quasi-pérennité de Lansana Conté au pouvoir. Mais, encore une fois, pour saisir toute l’ironie de ces mots, il faut lire l’article dont il est le titre, celui d’Assan Abraham Keïta, en page 4. En réalité, le Rédacteur en Chef du Lynx n’écrit pas un article en tant que tel. Il ne fait que reprendre le discours improvisé de L. Conté, pour l’agrémenter de ses commentaires ironiques et laconiques, mis en exergue par des gras, lorsque celui-ci fait des erreurs grammaticales ou quand ses propos révèlent des contradictions. Voici quelques exemples :

Lansana conté dit :

‘« … Parce qu’en ce moment là, 1958 pour que quelqu’un décide de dire NON aux colonisateurs, il faut être courageux ! Mais les Guinéens l’ont fait. Y a rien maintenant qu’on ne peut pas faire ». ’

Et Assan Abraham Keïta de continuer :

‘« Même les jugements expéditifs et les pendaisons. Sauf des élections claires et nettes ».’

Ici, dans ce commentaire, se trouve concentrées à la fois une critique du régime défunt pour ses pendaisons et ses jugements, et une critique du régime actuel, pour son refus d’organiser des élections libres et transparentes en Guinée.

Plus loin, d’autres corps à corps verbaux :

‘« De 1958 jusqu’en 1984, j’ai servi mon pays, en tant que militaire. Je ne me suis jamais occupé de la politique ! ». On lui rétorque : « Hé, y avait des comités dans les camps gô ! Et puis, on était membre du comité centrale et du comité révolutionnaire, non ? Le complot ne passera pas ! ».’

Autre contradiction, flanquée d’une faute de français :

‘« Et MOI, à partir du moment que Dieu a fait que je suis à la tête de ce pays, les politiciens travaillent d’un côté, nous les paysans nous travaillons de l’autre ; les militaires travaillent d’un autre côté ». Commentaire du journaliste : « Comme si on n’était pas encore Général et Commandant en chef des forces armées du pays ».’

Dans ces deux derniers passages, nous aurons remarqué l’utilisation de l’impersonnel « on ». Le pronom est ici exclusif, autrement dit, il n’intègre nullement le journaliste qui fait le commentaire. Ce procédé, par conséquent, lui permet de mieux ironiser les propos de sa cible, discours en parfaite contradiction avec l’histoire et la réalité politique. Comme nous le disions plus haut, la part satirique est suffisamment dans le discours lui-même, sans avoir besoin de reconstruire un autre texte. Le comble du ridicule, de la part d’un Président, qui fait ainsi l’affaire du satiriste est sûrement dans ce passage. Sous le titre, «  Question d’aide  ». Voyons la structure et les idées :

‘« Ce que vous faites là, c’est plus important que si quelqu’un nous amenait de l’extérieur 100 millions de dollars, pour pouvoir nous coloniser. C’est ça qui est plus important ! Parce que les gens… parmi eux. Y en a qui n’aident pas pour rien. Y en a qui aident pour avoir le pied en Guinée et quand il a le pied en Guinée il veut prendre tout ce qu’il veut. Sans PAYER ! C’est ce que nous ne voulons pas. Maintenant quand on ne veut pas ça, on va gâter nos noms partout : « Ah… la Guinée, y a pas d’autorité, y a pas ceci, y a pas cela. » On raconte TOUT ! Y a pas de droits de l’Homme. Où est le droit de l’homme ? Qui a créé le droit de l’homme ? C’est Dieu seulement. C’est Dieu qui sait qui a bien fait, qui n’a pas bien fait. Comment quelqu’un peut s’asseoir euh… ailleurs, savoir si ce qu’on fait ici, si c’est bon ou si c’est pas bon ? Entre nous ce qu’on fait, c’est nous qui devons nous faire des reproches, pour qu’on fasse mieux. Mais c’est Dieu seulement qui sait, qui agit bien, qui n’agit pas bien. Lui SEUL, pas un autre ! Sauf entre nous, c’est Dieu et ceux qui sont assis avec toi ! Quand tu fais bien, c’est ceux-ci qui savent ».’

La réponse du journaliste se résume à une exclamation : «  Ahaan !  » Comprenons : « Ah bon ! ». La compréhension de cette exclamation serait plus simple dans la parole articulée, puisqu’elle pourrait plus facilement livrer sa signification, si nous prenons en compte la part prosodique qu’elle contient (l’intonation, ici, joue un rôle majeur). C’est justement cette intonation qui éclaircirait la charge ironique qui réside dans le fait que, a- fortiori, les Guinéens peuvent, doivent, donc reprocher au Président certaines choses, droit qu’il leur refuse.

Ailleurs, en parlant de politique, L. Conté dit qu’il n’en fait pas et qu’il ne l’aime pas. Mais il est surtout contre les partis politiques :

‘« On a amené le problème de parti-là, en Guinée. Avant quand il y en avait pas, on souffrait c’est vrai, mais… on ne s’entretuait pas ! ». « Wallahi ! Mais quel est le vilain qui a amené ça, chez nous ? »,’

ironise et s’interroge le chef de la rédaction du Lynx .

A l’image de ces illustrations, on peut affirmer que L. Conté est une cible importante (régulièrement dépeinte) pour le satirique de son pays. Parmi les journaux qui font l’objet de cette thèse, Le Lynx est celui construit le plus de discours autour du Président. Il est évident que l’actualité politique qui secoue le pays pèse beaucoup dans la constitution de ce ciblage. Comment mieux dénoncer une politique laxiste autrement que dans le ciblage du premier responsable de cette politique ? Cela ne veut pour autant pas dire que pour les autres satiriques, les Chefs d’Etats sont épargnés. Maintenant, essayons de voir comment ceux-ci sont « croqués » dans les journaux de leurs pays respectifs, de même pour tous les présidents qui apparaissent dans les colonnes du Marabout et du Gri-Gri International.

Notes
133.

le caricaturiste du Lynx

134.

Juste un mot, in Lynx N°488 du 30 juillet 2001