3-1-2°/- A. Wade : figure du Rusé

Rappelons, au prime abord, qu’Abdoulaye Wade, le Président Sénégalais, est surnommé par le satirique Guinéen : Wade Cocotaillé. Le Lynx retient ici un trait physique (contrairement à l’identifiant qu’il construit pour Lansana Conté) dans la caricature de celui qu’on qualifiait dans son pays comme « l’éternel opposant » (à l’image de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire). Cocotaillé, comme on peut le constater, est constitué de deux mots distincts : coco et taillé. Pour qui connaît le Chef d’Etat du Sénégal, la compréhension de ce discours est des plus évidente. Le journal reprend tout simplement son apparence pour le nommer : une tête chauve, régulièrement rasée qui ressemblerait à une noix de coco. C’est à travers ces mêmes traits physiques que D. Glez le représente dans le premier numéro du Marabout , à la rubrique « Zoographie » : un crabe qui hante les plages de Dakar (cf. annexes).

Ici, le critère qui fonde la démarche du Lynx comme celui du Marabout est l’apparence physique. Dans le dossier consacré au népotisme au premier numéro du satirique panafricain, c’est autour du même principe physique que Lawali Paret surnomme Wade « l’éminence chauve ». Néanmoins, il faut souligner que Le Lynx reprend des informations diffuses dans la société guinéenne, à savoir la moquerie consistant à assimiler une tête rasée à une noix de coco. La part implicite est certes, dans ce cas précis, révélée dès que notre regard se pose sur la cible, ou dès que notre mémoire nous la renvoie. Mais, l’implicite n’en est moins présent, lorsque notre lecture se complète de cette part culturelle dont nous faisions mention plus haut. Autrement dit, la première interprétation peut s’avérer suffisante, mais pas complète. Dans un premier temps, on peut considérer que ce signe peut être envisagé sous son angle dénoté. Cependant, cette signification, donc suffisante, n’est pas pleine, dans la mesure où elle occulte la part connotée que renferme le signifiant. Et c’est précisément à ce second niveau de lecture que se situe tout l’intérêt du discours ironique. Ouvrir les portes du rire ne peut faire l’économie de la convocation de la culture de l’émetteur et par extension du récepteur. Cette superposition de deux niveaux de signification est encore plus perceptible dans l’identifiant que choisi Le Cafard Libéré pour Abdoulaye Wade.

En effet, dans les colonnes du vétéran sénégalais, A. Wade est identifié par trois autres surnoms : Gorgui, N’Diol et N’Diombor. Le premier ne suppose que la connaissance du Wolof, langue nationale du Sénégalaise. Donc, pour celui qui maîtrise cette langue locale, ce que C-K. Orecchioni appelle compétence linguistique, une simple traduction du mot suffira : Gorgui = Homme. Mais, pour le second et le troisième identifiant, la seule connaissance de la langue ne peut nullement présupposer de la compréhension de l’ensemble des discours sous-jacents reliés à ce signifiant. D’ailleurs, le second identifiant n’étant pas un « vrai prénom », on voit difficilement comment on peut se fonder à une référence littérale pour espérer que l’identifiant livre sa signification. En fait, N’Diol est un petit nom que les Sénégalais donnent à toute personne portant le prénom d’Abdoulaye. (En Guinée, une habitude similaire est observée chez les Peulhs qui surnomment les Souleymane, Yala, et les Saliou, Bala). Il apparaît, à ce niveau, une connaissance largement culturelle qui nous permet de faire l’association entre le prénom de départ et le surnom attribué.

Pour le troisième identifiant, N’Diombor, comme nous l’avons vu avec Le Lynx pour Fory Coco, il faut convoquer un savoir largement culturel, lié à l’histoire politique du Sénégal, lié aussi à la connaissance plus générale des mythologies africaines. Ainsi, est-il important de savoir, dans un premier temps, que N’Diombor signifie lièvre. A cet instant précis, le lecteur ne valide que sa connaissance de la langue Wolof. Mais, comme on peut se douter, cela ne suffit pas. Il est également pertinent de savoir que le journal ne fait que reprendre un surnom dont il est n’est pas le véritable créateur. Associer A. Wade à un lièvre est une trouvaille, s’il en est, de Léopold Sédar Senghor, dans les années soixante dix, pendant une campagne électorale où les deux hommes se battaient pour des élections présidentielles au Sénégal. Mais, à quel niveau précis se joue la signification précise qui est à la source du choix de ce surnom ? Là, obligation est faite au lecteur de s’en remettre aux mythologies africaines pour voir quelle place est faite aux animaux. Le lièvre, ici, est considéré comme l’animal le plus intelligent et le plus rusé de la forêt. Contrairement aux sociétés occidentales, la hyène, dans ces pays, est l’animal le plus bête. A. Wade serait alors malin, rusé. C’est certainement cette malice qui fait qu’il soit capable de tout récupérer à son profit, toujours prêt à trouver quelque pseudo solution pour se faufiler, à l’image de cette caricature à la une du numéro 761 que l’on peut voir en annexes.

Cette caractéristique de base du personnage permet aux journaux de développer un autre discours, rattaché au premier, celui de l’opportuniste. Nous le voyons bien dans la caricature qui précède, le Président Sénégalais récupère la victoire de son équipe nationale de football. Pour le Gri-Gri International , cela ne peut tenir que de la foutaise (le titre exact du biais s’écrit FooThèse ) :

‘« Opportuniste à souhait, Wade a couru, malgré la panne de son avion, pour voler au secours d’une victoire sportive qu’il veut transformer en trophée politique. Tirant la couverture à lui, le milieu du terrain de l’équipe gouvernementale sénégalaise a décidé d’élever les joueurs de l’équipe à la distinction de Chevalier de l’Ordre. A cette allure, si les Lions passent le premier tour, le papy de Dakar est capable de les bombarder ministres. Et s’ils gagnaient la coupe du monde ? Il formeraient tout simplement avec Wade une présidence collégiale de la République pour le deuxième mandat du premier hooligan dakarois ».’

Cet extrait révèle la récupération et l’opportunisme comme corollaires de la malice qu’on reconnaît au Chef d’Etat sénégalais. Ces caractères peuvent facilement être associables à celui qui permet de fonder la caricature de Blaise Compaoré, au Burkina Faso.