3-1-3°/- B. Compaoré : figure du Conquérant

Reprenant la règle de base (retenir le physique et le psychologique) en jeu dans les journaux qui précèdent, nous voyons que la même est à l’origine de la caricature que fait Damien Glez de Blaise Compaoré à la une du Journal du Jeudi  : Le Président du Burkina Faso est régulièrement dessiné avec une gerbe de laurier autour de la tête (cf. annexes).

On le sait, dans la culture romaine, ce feuillage servait à couronner des vainqueurs, des lauréats, notamment César, dont la couronne était tressée de laurier. L’actualisation, ou disons plutôt la convocation de l’histoire rattachée à l’utilisation de ces feuilles, oblige une connaissance de la culture romaine et occidentale. Alors, la question qui semble se poser d’elle même est la suivante : quel lien peut exister entre le laurier et le Président du Faso ? Pour y répondre, nous sommes obligé de disposer d’autres références culturelles qui, cette fois, sont rattachées à l’histoire politique du Burkina Faso.

Comme nous l’avons vu dans la partie consacrée à la présentation du corpus et des pays dans lesquels sont nés ces journaux, Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir en 1987, à la suite d’un coup d’Etat militaire qui a vu l’assassinat du Président Thomas Sankara, lui-même ayant accédé à la tête du pays à la faveur d’un autre coup d’Etat militaire quatre ans plutôt. C’est en référence à cette tragédie politique que D. Glez construit la caricature de B. Compaoré. Mais loin d’une conception élogieuse que le caricaturiste pourrait avoir à l’égard de sa cible, on est dans la retranscription ironique d’une colère et d’une critique, d’autant plus que tous les médias (privés, en tous cas) du pays s’accordent à voir la responsabilité du Président dans la mort de son ami et compagnon d’armes. Ce serait sûrement d’ailleurs la raison pour laquelle la lumière attend toujours d’être faite sur ce 15 Octobre 1987, pour que la responsabilité de chacun soit située. L’affaire T. Sankara est en fait un des nombreux dossiers non élucidés que le Président du Faso traînerait derrière lui (cf. annexes, Une N° 514). Dans l’éditorial de la livraison numéro 526, le journal constatait que l’assassinat de son ami, de même que le meurtre du journaliste N. Zongo, constituait quelques unes des erreurs politiques de B. Compaoré. Conquérir le pouvoir au prix du sang versé amène cette autre qualification que suggère le Gri-Gri - International  : Blaise Terminaor. Le même journal le qualifie d’ « amoureux de la gâchette » et de « gangster », et la caricature qui accompagne l’article de Michel Mpirèbo est éloquente : derrière le personnage, quelques affichettes, comme celles que l’on retrouve sur les mûrs des associations contre la peine de mort. Ces portraits, entre autres de T. Sankara ou N. Zongo, sont barrés d’une croix pour signifier que les intéréssés ont été tués.

En fait, derrière l’homme fort du Burkina, on peut voir son tableau de chasse. Il a fait de son pays la plaque tournante d’un trafic de diamant dans la sous région, des pays où la guerre civile fait rage. Selon le journaliste, M. Mpirèbo,

‘« Architecte intellectuel de toute cette organisation criminelle, Blaise Compaoré a fait du Burkina une espèce de hub mafieux mis à la disposition des pays et organisations frappés par des embargos onusiens. En 1997, alors que l’Unita, après la fuite précipitée de Mobutu, perdait son point d’ancrage au Zaïre, Ouagadougou devenait la « base principale » de Marcelo Dachala et Helder Mundombe, deux des principaux collaborateurs de Jonas Savimbi. La planque burkinabé devait par la suite servir à d’autres cadors de la rébellion angolaise, notamment Joao Baptista Rodrigues Vindes et Joao Katende, le directeur des opérations minière de l’Unita » 135 .’

Tour à tour qualifié de « serial killer vénal et sans scrupules», ou de « véritable parrain d’une sanguinaire mafia sous régionale », Blaise Compaoré a tous les atouts pour mériter la représentation ironique qui le compare avec Jules César arborant la couronne de lauriers. Empereur, dictateur et pouvoir absolu sont les seuls synonymes que suggère implicitement le journal. On est bien dans la figure de la conquête, autrement dit dans le fait d’acquérir par les armes, de soumettre par la force. Le journaliste Daniel Céna écrivait dans le même numéro 136 ,

‘« Il avait rectifié la Révolution Burkinabé et au passage occis Thomas Sankara. Blaise « Terminator » Compaoré, en froid avec la Côte d’Ivoire, est en passe de placer le pays d’Houphouët sous sa kalachnikov ».’

Il apparaît que le discours élaboré par les journaux est lié à cette représentation graphique. C’est comme si l’ensemble des moyens caricaturaux obéissait au choix iconique. Comment faire autrement si ces journaux veulent garder la cohérence de leur discours ? Nous rappelons que la lecture, le décryptage de ce discours iconique convoque certains savoirs qui sont en dehors de l’énoncé lui-même. Compétences culturelles et encyclopédiques sont à l’œuvre dans la construction de ces messages. Encore une fois, la part connotative ne serait qu’un discours transparent et silencieux pour tout lecteur qui ne disposerait pas de ces savoirs reliés à la fois à la culture politique gréco-romaine et à l’histoire particulière du Burkina Faso. Il est à souligner qu’à la différence du Lynx , Le Journal du Jeudi a fait le choix d’identifier le Président Burkinabé sous son véritable nom, Blaise Compaoré. Si surnom il y a, c’est uniquement à travers le sigle de PF , autrement dit Président du Faso . L’homme est dépeint comme un dictateur, à la limite d’un assassin qui a fait du meurtre un mode de gouvernance. Cet état d’esprit le rapproche d’un autre homologue, le Président Congolais, Denis Sassou Nguessou, souvent dénoncé dans les colonnes du Gri-Gri International .

Notes
135.

Gri-Gri International , N°1, p.5

136.

Gri-Gri International , p.6