3-1-4°/- D. Sassou Nguessou : figure du Prédateur

La caricature, (cf. annexes, à la une du Gri-Gri , numéro 1) avec son discours linguistique, concentre en son sein un discours implicite où les références cinématographiques hollywoodiennes tiennent une place importante : en effet, la transformation opérée dans le nom du Président Congolais, «  Sassounegger  » tient de la consonance du nom de l’acteur et désormais gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger. Si nous incluons la complication qui pourrait venir de la prononciation de ce nom, principalement d’un sujet africain, il apparaît que la dérivation proposée par le journal est très proche de ce que ce lecteur aurait pu produire comme discours.

Le deuxième niveau de lecture de cette caricature est à chercher dans le rapport entre le discours linguistique et le dessin. L’image reprend, en fait, l’affiche d’un film de l’acteur d’origine australienne, où il combattait une espèce de robot mutant dans une forêt de type amazonien. Le titre de ce film était : «  Prédator  ». En associant ce titre, à la scène représentée (on voit en arrière plan des croix qui représentent ainsi un lieu d’inhumation) et au surtitre (« Congo B : Le Cobra seul contre tous »), on est bien dans un univers de prédation, où la cible vit comme un animal qui se nourrit de proie. Rappelons que ce surnom de Cobra peut aussi faire référence à une production hollywoodienne : «  Le Cobra  », avec Sylvester Stallone. Le profil du lecteur ici, donc, est profilé du côté de la culture cinématographique. Tout au long de l’article, le champ lexical va de l’univers de la prédation (exemple : « la goutte de venin qui fait déborder le vase ») à celui du cinéma ou du théâtre (on parle d’actes comme des tableaux successifs d’une pièce de théâtre). Tout cela a pour objectif majeur de démontrer que Sassou Nguessou est un tueur de ses sujets, et même de ressortissants français, à croire J. Okimi. A propos de congolais disparus dont le journal fait état à la une du 17 août 2001, avec le titre ironique, « 353 Disparus en pet ! », cette question :

‘« De chef milicien, le Cobra serait-il aussi devenu un chef tortionnaire ? Il faut le croire, car l’ancien élève instituteur, général autoproclamé, semble totalement ignorant des règles élémentaires de la guerre. Ce que confirme indirectement le rapport [de la Fédération Internationale de Droits de l’Homme] : « ces dernières disparitions n’ont pas de lien direct avec les guerres civiles. Elles se sont perpétrées alors que la paix était officiellement revenue et que le discours des pouvoirs publics garantissaient « du mieux possible » la sécurité des personnes. » En somme, toute publicité au retour n’avait qu’un but : attirer les réfugiés pour les faire disparaître ». ’

Tout le discours de la journaliste tend à un objectif final : démontrer qu’on est bien en présence d’un prédateur qui selon elle, serait à l’origine d’un nouveau concept : « l’épuration ethno-politique ». J. Okimi est la spécialiste des portraits décalés des hommes d’Etat africains (à chaque numéro du Gri-Gi, elle s’instéresse à un homme pour le présenter). C’est ce sens du décalage qui est à l’œuvre dans la une du 30 août, avec le titre, encore une fois, cinématographique : « Le bon, la brute, le truand et le méchant ».

‘« Dans le rôle du BON : Joaquim Alberto Chissano, alias Dambuza, Président du Mozambique. […] instaure le pluralisme politique dans son pays en 1990.[…] Chissano ne verrouille pas le débat politique. Il entreprend de reconstruire patiemment son pays, en tentant de l’arrimer à la locomotive sud-africaine. En décembre 1999, lors du 2ème scrutin pluraliste…, le président s’en tire de justesse avec 52%. […] Aujourd’hui âgé de 61 ans, Chissano, en homme politique lucide, sent qu’il est temps de passer la main. Et c’est ce qu’il a décidé de faire, en annonçant, en mai dernier, qu’il ne serait pas candidat en 2004 ». ’

Une satire qui encense, une satiriste qui loue le courage et la sagesse d’un homme, c’est pour mieux fustiger un autre , irrespectueux de la norme sociale et des valeurs. Ainsi, le parcours de Chissano est-il

‘« une belle leçon d’humilité et de clairvoyance dont pourrait s’inspirer la BRUTE. A la tête du Togo depuis 34 ans, Etienne Eyadéma, a signé son arrivée sur la scène politique par l’assassinat du premier président togolais, Sylvanus Olympio.Depuis, l’ancien sergent-chef de l’armée française règne par la terreur, le sang et la violence. [Un comportement proche de la prédation de Sassou Nguessou ou de Compaoré ; c’est à juste titre que Le Lynx lui affuble du surnom d’Eyadémon ;]… [il]collectionne les accusations de violations des droits de l’homme… ».’

Quant à Jose Eduardo Dos Santos, le « maître de Luanda »,

‘« promu chef de l’Etat en septembre 1979, l’homme vient de décider de mettre un terme à sa chaotique carrière présidentielle. Après plus de deux décennies de corruption et d’incompétence, il était temps […] ce fils de maçon a épuisé les ressources humaines et naturelles de son pays dans un interminable conflit avec l’UNITA […]Agissant comme un vulgaire TRUAND, il a tenté, il y a quelques mois, d’exercer un petit chantage sur l’Etat français au sujet de l’affaire Falcone… »’

Enfin, pour J. Okimi, le dernier de son quator de départ est le président zambien, Frédérick Chiluba :

‘« Du haut de ses 159 centimètres, le successeur de Kaunda est un être retors et bourré de complexes. Cela explique certainement pourquoi il est MECHANT. […] Après deux quinquennats à la tête de la Zambie, il a ruiné tout son crédit. Au point que même son épouse, Vera, a activement milité pour son départ. C’est que, entre temps, Chiluba a fait preuve d’une incroyable incurie politique. soutenir la comparaison avec son prédécesseur, il a carrément versé dans le grotesque. En décrétant que Keneth Kaunda, qui a dirigé le pays pendant 25 ans, n’était pas zambien, mais Malawite. Dans son propre parti, les purges et les liquidations sont monnaie courante. Quant à l’opposition, c’est par la terreur et le chantage que le président les traite. Sur le plan économique, tous les indicateurs sont au rouge. Malgré ce bilan catastrophique, Chiluba a tenté de modifier la Constitution afin de demeurer au pouvoir ».’

Comme on l’avait titré, les présidents africains sont effectivement sous les tirs croisés des satiriques du continent. Ces journaux sont les lieux de portraits grimaçants de ces hommes qui se croient au dessus de la mêlée. Que ce soient les surnoms (cf indexe) ou les caricatures graphiques, ce sont plusieurs niveaux discursifs qui sont déployés pour offrir au lecteur des cibles dont on peut se moquer et rire : de «  l’album du sorcier  » (cf. annexe ; le Gri-Gri International propose de vieilles photos de ces hommes politiques pour, soit se moquer de leur look, soit montrer que des décennies plus tard, rien a changé ; ils sont toujours là, au pouvoir) à la sous-rubrique «  Zoographie  » (cf. annexes ; où Le Marabout invite le lecteur à suivre ses « scientifiques dans un safarire à travers la jungle zoographe [pour découvrir] la faune africaine), ce sont là quelques uns des espaces qui confirment bien que le terrain politique constitue un lieu privilégié de satire et de caricature.

Nous allons en rester là pour les caricatures présidentielles. Comme nous l’avions annoncé, nous voulions nous intéresser, uniquement, aux cibles récurrentes dans ces journaux. Dans chaque pays faisant partie de notre corpus, nous avons vu le chef local 137 . Par ailleurs, nous l’aurons remarqué, et nous le préciserons dans cette partie, ces identifiants sont de forts indices qui profilent l’image du lectorat : actualiser l’implicite dissimulé en eux nous construit, indubitablement, comme lecteur modèle. En outre, comme nous l’avions posé sous forme d’hypothèse, nous rappelons que la représentation des cibles est à l’image de leurs traits physiques et psychologiques. Il ne faut pas oublier que ce qui importe dans ces discours, c’est la caractéristique de base de la caricature, à savoir la charge et le grossissement des traits, dans les limites des possibilités d’identification. Déformer la cible en y distillant des indices qui permettront au destinataire de faire plus simplement et plus rapidement l’association entre la caricature et le personnage caricaturé. Bien entendu, c’est à partir de ces traits, qu’ils soient physiques ou liés à la culture, que sont construites les critiques de ces journaux à l’égard des chefs d’Etat. D’ores et déjà, nous allons voir quelle place occupent ces personnages « suprêmes » dans le dispositif de ces journaux. Il faut cependant préciser que, dans la continuité de ce que nous venons de voir, nous nous intéresserons à la fois à la une et aux pages intérieures. Mais, il faut retenir que, fondamentalement, c’est à première page que l’essentiel des caricatures sont proposées, à l’image de Charlie Hebdo .

Enfin, nous l’aurons bien observé, il y a une véritable difficulté à dissocier les personnages des faits qui sont liés à leurs actes. Pour le satirique guinéen, par exemple, l’évocation du Président Conté, dans cette période, est très souvent reliée à la question du référendum qui sera étudiée plus longuement maintenant, puisque c’est d’ailleurs à partir d’elle que nous avons constitué notre corpus. Ainsi nombreux sont les numéro qui font une part « belle » à la question de la prorogation du mandat présidentiel de L. Conté. Six numéros auront consacré leur une à cet événement, sans compter que l’essentiel de l’actualité politique en Guinée est dominée par cette affaire. C’est à l’étude des événements dans notre corpus que nous allons, à présent, nous atteler, en commençant bien sûr par Le Lynx et la question référendaire.  

Notes
137.

Pour les deux journaux panafricains, à part le cas de D. S. Nguessou, il n’y a pas de récurrence. Cependant, lorsque nous envisagerons l’étude approfondie de la gestion politique de l’Afrique, nous toucherons au passage d’autres présidents dont les surnoms feront, certainement, partie du chapitre consacré à l’étymologie des identifiants ( à la fois de personnes et de lieux) distribués à travers les colonnes de nos journaux.