3-2-3°/ La Guinée : dans l’ombre de Sékou Touré ?

Terminons cette réflexion sur le référendum par le dernier procédé argumentatif du Lynx qui permet de montrer que rien ne plaide en faveur de la reconduction de la présidence de L. Conté en Guinée : non seulement à travers les articles de sa rédaction même, mais aussi quelques autre écrits de ses lecteurs, le journal fait une comparaison entre le pouvoir de L. Conté et celui de Sékou Touré, l’ancien régime.

Or, le terrible souvenir des vingt six années de la première république laisse encore des séquelles pas très réjouissantes dans la mémoire des Guinéens. La plus insidieuse ironie du Lynx se trouve certainement dans l’article de Atighou Diallo, dans la livraison du 13 août. Parlant d’un meeting du parti au pouvoir, après des interventions de responsables politiques, A. Diallo écrit :

‘« Les mollahs politiciens étaient aussi au rendez-vous. L’un d’eux chargé de bénir le parti, les partisans et la patrie a crié haut et fort « vivou RDA ! 141  » Rien que ça ! Ce fut une panique au sein des fumeurs 142 car c’était bien la parole d’un imam. Un instant, après rectification, il crie de nouveau « Vive Lansana Conté ». Et certains de murmurer « il est facile de confondre le PUP et le PDG/RDA car c’est comme ça qu’on regroupait la population qui abandonnait ses activités pour venir acclamer le parti Etat ». »’

Et la caricature d’Oscar d’illustrer parfaitement la critique du journaliste. Fondamentalement, l’article pourrait jouer une fonction d’ancrage, selon la typologie de R. Barthes, puisque le dessin résume assez bien l’idée générale de l’article. Bien entendu, nous sommes dans la légende qui pourrait orienter la lecture de l’image. Mais, comme nous le savons, plus que l’image photographique, le dessin, la caricature, en particulier, a un besoin cruciale d’être dans une relation de complémentarité avec le discours linguistique qui l’accompagne, comme c’est le cas ici :

Pour conclure, quelques points importants se dégagent de tous les articles traitant de la modification et qui portent les critiques du Lynx . D’abord, le journal soutient que le référendum est une tromperie et une violation de la loi. Lorsque le journal suit l’opposition, c’est pour mieux rendre compte des maux énumérés par les leaders, dresser le sombre tableau dans lequel vit le pays. Cette opposition, malgré ses insuffisances, est vue sous un angle plutôt favorable : si on ne peut reprocher au Lynx de l’encenser, il regrette ouvertement son manque d’organisation et d’unité. En parlant de la constitution d’un bloc contre la modification constitutionnelle, Sanou Kerfalla Cissé ne se risquait vers un moment de critique dans son article du 9 juillet que dans un élan d’espoir : « Gageons que ce mouvement sera différent des autres ». Pour Le Bah Zooka qui couvre une conférence de presse de l’opposition qui envisagerait de présenter un seul et unique candidat contre le Président Conté lors de la prochaine consultation électorale, il considère qu’on est dans le rêve, comme pour dire que c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

L’impression qui se dégage des traitements de cette opposition Guinéenne par Le Lynx est celle d’un être qu’on aime bien et qu’on aimerait voir mieux réussir ses projets. Une insatisfaisante qui oblige le journal à avoir un regard nuancé, presque compassionnel. La Lettre Ouverte du 16 juillet est, d’ailleurs, foncièrement dans le soutien de la démarche de l’opposition ; et ce n’est pas la caricature de Slim qui nous contredira, puisque le caricaturiste offre une vision forte qui voit l’opposition comme une force capable d’empêcher L. Conté d’avoir un véritable appui pour son pied, donc pour son pouvoir, qui est implicitement dans ses pensées, à travers le fauteuil figuré dans la bulle :

Comme on peut le voir, dans ce dessin, l’opposition est figurée par un seul homme qui empêche le Président actuel de disposer d’un support stable pour continuer sa marche vers le fauteuil présidentiel auquel il pense. Une opposition persécutée par le pouvoir. C’est pourquoi, quand les sièges du RPG et de l’UFR connaissent des descentes de la Police, cela offre encore une fois de plus l’occasion au Lynx de légitimer ses attaques pour assurer que nous sommes en présence d’un régime qui n’a pas la compétence de gouverner. On couvre les points de presse du MORAD, et le soutien d’un certain Sékhou Chérif Fatiga est lui sans équivoque :

‘« … l’opposition guinéenne n’est pas moins efficace qu’une autre, elle n’est pas tortueuse, encore moins elle n’est pas lâche ».’

Deuxième constat : pour les plumes de lecteurs, les chantres du référendum sont « des arrivistes et égoïstes qui tordent le cou à la Constitution ». Ce sont des « infanticides », la démocratie étant considérée comme l’enfant qui en phase d’être assassiné. Rappelons que même lorsque la parole est donnée au président de l’assemblée nationale, pourtant issue de la majorité présidentielle, comme c’est le cas dans le numéro du 22 octobre, c’est, encore une fois, pour fustiger le pouvoir pour non respect de la loi : « la loi, rien que l’aloi » titre Le Lynx .

Elhadj Biro considère que « Le Président a trahi son serment ». Le journal se contente dans ce cas précis de reprendre textuellement le discours, non sans prendre soin de mettre des textes en gras avec des petits titres. Quant à la contre attaque du Ministre de la justice intitulée « Le Président de l’Assemblée Nationale ne maîtrise pas les dispositions de la loi fondamentale », elle ne bénéficie pas des mêmes égards de mise en scène. En tous cas, ce face à face, à coup de discours interposés, d’interprétations de la loi entre les deux premières personnalités des institutions, n’a pas échappé à la plume d’Abou Bakr dans son interrogation aux allures de fonction poétique : « C’est le K.O ou le chaos ? » Une bataille entre l’exécutif et le législatif que C. Fadil figure dans le dessin suivant, dans un ring de boxe ; à gauche, on reconnaît L. Conté, à droite le Président de l’Assemblée Nationale, Elhadj Biro :

Nous avons aussi constaté que L. Conté ne serait rien d’autre qu’un Chef d’Etat autoritaire et despote (lien avec le patriarche !). Tout est tenté pour l’écarter de la direction du pays : Dans une lettre ouverte, à la limite de supplications, un lecteur, nommé Mohamed, veut faire appel au bon sens du Président. Dans ce numéro 496, il construit son argumentaire pour diriger L. Conté vers la porte de sortie, comme le montre la caricature d’Oscar :

‘« … Jusqu’ici, vous avez mené une vie sans tache… En 1993, vous avez légitimé votre pouvoir en remportant les premières élections multipartites organisées. En décembre 1998, vous avez été réélu non sans un coup de pouce imperceptible. Notre loi fondamentale prévoit que l’ancien Président que vous serez après 2003, prenne rang protocolaire immédiatement après le président de la république en fonction et avant le président de l’assemblée nationale… Monsieur le président, votre cote de popularité est au beau fixe. C’est à présent donc, que vous devez faire vos adieux à la politique… »’

Si ce lecteur donne des exemples de présidents tels que Amadou Toumany Touré (Mali), Thomas Sankara (Burkina Faso), Nelson Mandela (Afrique du Sud), c’est pour mieux inciter L. Conté à quitter pacifiquement le pouvoir, au risque de connaître le sort d’un Hissène Habré (Tchad) ou encore d’un Pascal Lissouba (Congo) qu’il cite par ailleurs.

En somme, l’essentiel des critiques consacrées à cet événement peuvent logiquement prétendre à cette conclusion :

‘« les Guinéens sont contre le référendum de Fory Coco. Que l’on se le tienne par dit ! » ’

écrivait S. Diallo dans son éditorial du 23 juillet, même si certains soutiennent le contraire et qu’on lit le coran dans certains quartiers pour soutenir la réélection de L. Conté, comme le décrit l’article d’Abou Bakr dans le numéro 489. Fondamentalement, Le Lynx veut marquer une totale opposition à ce référendum. L’ensemble des articles peut constituer un véritable mémorandum sur la question : la satire, historienne d’une époque ? C’est bien une de ses caractéristiques élémentaires. Tout le discours de cette période repose sur cette critique d’un régime qui ne mérite pas qu’on lui accorde la survie, parce que terriblement corrompu.

Notes
141.

Il faut comprendre, « vive le RDA » (Rassemblement Démocratique Africain) ; ce mouvement regroupait, à la fin des années 50, des partis, comme le PDG (Parti Démocratique de Guinée) de Sékou Touré, ou encore le PDCI (Parti Démocratique de la Côte d’Ivoire) de Houphouët Boigny.

142.

Ainsi appelle-t-on les militants du PUP : dans la prononciation de PUP, le remplacement du son « U » par le son « » fait que le parti est appelé par la population non alphabitisée « PIP », d’où la pipe, et donc les fumeurs.