3-3-2°/- Autour du népotisme

Le « mensuel satirique africain… d’Afrique » a consacré, entièrement, son premier numéro à la question du népotisme. A sa une, D. Glez propose une caricature (cf. annexes) où on peut reconnaître neuf présidents africains autour d’une table qui semble être un dîner (en tous cas, ils attendent de manger, puisqu’ils ont des fourchettes). Ces personnalités politiques africaines sont : Abdoulaye wade (du Sénégal), Alpha Oumar Konaré (du Mali), Paul Biya (du Cameroun), Omar Bongo (du Gabon), Gnassimgbé Eyadéma (du Togo), Laurent Gbagbo (de la Côté d’Ivoire), Mathieu Kérékou (du Bénin), Blaise Compaoré (du Burkina Faso) et Mamadou Tandja (du Niger). Les bulles qui sont au dessus de chacun des personnages sont des traits de caractère que le caricaturiste retient pour les définir. A travers la gestion politique et népotique de chacun, D. Glez utilise les messages linguistiques pour créer la structure ironique de son discours. Ces pensées, ou plutôt ces paroles que chaque personnage livre à ses convives autour de la table, deviennent plus explicites lorsqu’on les met en relation avec le dossier du mois :

- A. Wade  : « Je « mange » toujours avec mon fils et ma fille… ». Cela fait référence à ses enfants qui, après des études en France, rentrent au pays pour se retrouver en première ligne dans la gestion politique du Sénégal:

« … Me Wade… rassasie la boulimie de ses enfants… Le couple Wade a un couple d’enfants, Karim et Sindjéli… Karim, qui travaillait dans une banque, a pris une disponibilité pour épauler son père pendant la campagne présidentielle et a saisi au vol un pompon de conseiller du nouveau président. On le soupçonne d’être l’homme fort du palais, intervenant dans le choix de l’attelage gouvernemental, au même titre que le directeur du cabinet, Idrissa Seck. Karim serait par ailleurs très actif dans le monde des affaires. Rentrée d’Europe, Sindjéli s’est aussi mise au service de son père ».

- M. Kérékou  : « Prions pour la sainte famille… ». Celui-ci semble être le Chef d’Etat, parmi le lot, qui se démarque de la gestion corrompue des ses compères. Gouverner le Bénin doit se faire en dehors du cercle familial. Une famille qui devient ainsi sainte, par la distance qu’elle prend vis à vis du pouvoir politique :

‘« La Confusion des cercles familiaux et républicains n’est pas du goût de tout le monde. Pas en tout cas de celui de Saint Mathieu de Cotonou. L’ex-grand Kamarade de lutte du Bénin, Mathieu Kérékou, on le sait, est non seulement un Kaméléon, mais aussi un « K » difficile pour les membres de sa famille qu’il tient religieusement à carreau… Pour Kérékou, la famille biologique doit être aux antipodes de la famille politique, ou alors ça se mérite… Les seuls rejetons qui arpentent les couloirs du palais présidentiel… ont dû jouer des coudes et des godasses pour s’imposer… Cette austérité dans laquelle l’ex-grand Kamarade tient sa famille tranche avec la conception africaine où pouvoir rime souvent avec mangeoire pour la famille ».’

- B. Compaoré  : « Gare aux frères de sang  ». Le président Burkinabé sera éternellement associé au crime, au sang versé, et à l’affaire Norbert Zongo, d’autant que, dans le cas qui nous intéresse, la disparition de ce journaliste est rattachée à une enquête où le frère du président était suspect. Le PF aussi, comme le surnomme JJ est entouré de personnages de sa famille :

‘« Certains observateurs avaient déjà relevé le foisonnement de Compaoré dans les rouages de la nation : chef de l’Etat, maire de la capitale (Simon Compaoré), archevêque (Mgr Jean-Marie Compaoré), ministre stratégique chargé des Fiances et du Budget (Jean-Baptiste Compaoré), président du comité de soutien de l’équipe nationale (Franck Compaoré)… ». ’

Le foisonnement ne s’arrêterait pas à ce niveau car, il y a aussi le frère, François Compaoré, conseiller à la présidence. Pour cet homme, B. Compaoré aurait une écoute assidue au point que beaucoup de ministres lui devraient leur nomination, d’où l’ironie du Marabout qui l’appelle le « petit président ». Dans cette famille, il y a également le beau frère, Lucien Marie-Noël Benbamba, époux de la sœur cadette du président et surtout Directeur général du Trésor.

‘« Mais le personnage le plus visible dans les affaires reste la belle-mère du petit frère. Alizèta Ouédraogo dite « Gando », la mère de l’épouse de secondes noces de François Compaoré, est une richissime femme d’affaires et sa prospérité ne serait pas étrangère à son titre de « belle-mère nationale »… »’

- M. Tandja  : « Vive la polytique polygame ». Ce sur quoi semble fonctionner cette bulle est surtout la polygamie du président nigérien. Celui-ci, comme M. Kérékou, est aux antipodes des autres puisque, écrit le journaliste,

‘« s’il y a un domaine dans lequel le président Tandja a rompu avec les mœurs politiques précédemment en vigueur au Niger, c’est bien celui de l’implication de la famille présidentielle dans la gestion de l’Etat ».’

Effectivement, avec son prédécesseur, on avait un beau frère qui était ministre-directeur de cabinet de la présidence, un second, exploitant du plus grand hôtel du pays, un autre, directeur-adjoint de l’Office National du Tourisme, un cousin était conseiller en communication et le petit frère conseiller à la présidence. La presse indépendante nationale avait, à l’époque, qualifié la 4ème République de « régime des parents, amis, alliés et connaissances ».

‘- G. Eyadéma  : « Famille, c’est pas femmile, mmh… ». Le discours du président togolais se construit aussi dans la prise en compte des femmes qui l’entourent. L’homme est reconnue pour la kyrielle d’épouses qui arpentent les couloirs du palais. Le Togo est un pays qui connaît une gestion quasi monarchique, royale. Comme l’observe si bien L. Paret, ’

«Le grand leader n’a eu aucun scrupule à impliquer sa ribambelle d’enfants dans les sphères influentes de la vie de la nation togolaise. Avec machisme toutefois : les filles restent quelque peu en retrait. Les garçons, par contre, sont à l’avant-garde. L’aîné des fils dit général, le lieutenant-colonel Ernest Gnassingbé,... commande la garnison des bérets rouges du camp de Landja de Kara dans le Nord du pays. Il y règne en potentat et n’hésite pas à titiller les leaders de l’opposition qui ont la témérité de fouler « ses » terres… Quant au capitaine Rock Gnassingbé, il commande le groupement des blindés… Kpatcha est directeur de la Société d’administration de la zone franche (SAZOF)… On trouve encore un Eyadéma fils au sein de l’auguste Assemblée nationale monocolore… Si les filles Eyadéma sont tenues l’écart du pouvoir, elles y sont impliquées d’une manière indirecte car Eyadéma se fait un malin plaisir de les marier aux hommes forts du régime : le Premier ministre… et le ministre des affaires étrangères… La république bananière qu’est le Togo pourrait aussi bien s’appeler « Entreprise Eyadéma et fils et beau fils »… ».

- O. Bongo  : « L’alliance renforce la famille ». Cette bulle est à l’image d’un caractère reconnu au président gabonais : la capacité à nouer de « bonnes » alliances, des rencontres « opportunes et opportunistes » :

‘« Grand amateur de belles femmes et de beaux costumes, Bongo a aussi un sens élevé de la famille. Largement entouré de ses parents, de sang ou d’alliance, il a épousé la fille de son « frère congolais » Sassou Nguessou. Son propre gendre Paul Toungui veille jalousement sur la mamelle nourricière du pays, le pétrole dont il est le ministre… après avoir choyé sa fille Pascaline dans le pétrole et la diplomatie, il mise aujourd’hui sur son fils, Ali Bongo… ».’

Le président gabonais est, à l’évidence, un homme qui tient son pouvoir dans une logique familiale. C’est une cible majeure qui fait les choux gras du Gri-Gri International (n’oublions pas que le journal était au départ une page du satirique gabonais, La Griffe ). A l’image de L. Conté et son entourage en Guinée, pour Le Lynx , O. Bongo est un « client » privilégié de la rédaction de M. Ongondou. Un président qui n’entend pas se laisser « ridiculiser », d’où de réguliers bras de fer entre lui et la presse privée, en particulier les impertinents journalistes satiriques. Le numéro 1 du « quizomadaire satirique panafricain » faisait état, dans son biais « Flagrant délire de mensonge Noir sur Blanc » (en référence au livre d’O. Bongo, Blanc comme Nègre, publié en 2000, chez Grasset), d’une plainte déposée par le président gabonais contre deux journalistes du satirique de son pays. Cette plainte était liée à des dénonciations incriminant la femme et le gendre du chef de Libreville. Une confusion entre cercle familial et cercle républicain que dénonce le Gri-Gri qui rappelait, également, que la belle-sœur de Bongo, curieusement, a bénéficié d’un non lieu après qu’elle soit accusée de complicité d’assassinat. L’adverbe, (curieusement) permet à Agath’ Assomo d’introduire la suspicion quant à l’issue de cette affaire ; et Sylvie Aléwina s’inscrit dans la même trame de critique de l’affairisme qui règne dans ce pays :

‘« Pendant que le peuple gabonais passe des moments difficiles, le président et sa tribu brassent des pétro-CFA à travers les diverses petites compagnies qui pompent allègrement le peu de pétrole dont dispose encore le pays ».’

O. Bongo implique sa famille dans toutes affaires, y compris dans la rénovation de son palais. C’est à son gendre qu’il offre le marché, comme lui reproche C. A. Metoghe :

‘« Alors que les techniciens viennent de décider de se retrouver tous les mois à Paris pour travailler dans la sérénité, Bongo convoque Doumba [Ministre des Finances] et lui ordonne de ne pas lancer d’appel d’offre pour la partie concernant le gros œuvre. Selon les instructions du patron du Gabon, cette partie du marché doit être cédée en catimini à Socoba, autrement dit à son propre beau-fils Baloche. Et l’attentionné beau-papa d’avancer cet argument implacable : son gendre est le seul savant sur cette planète capable de réparer les ratés réalisés par Socoba. En clair une prime de sabotage… la facture s’envole à près de 110 milliards de F. CFA. « Et la note n’est pas totalement bouclée », hurle-t-on du côté de « Bercy ». Encore des aigris qui n’ont pas compris que le Gabon était une petite entreprise familiale ».’

La famille, l’actuel président ivoirien en dispose atour de lui, même si sa femme est celle qui est au premier plan :

- L. Gbagbo  : « Je ne suis pas Bill, mais j’ai ma Hillary… ». La place qu’occupait Hillary Clinton aux côtés de son ancien chef d’Etat de mari a inspiré les ivoiriens pour qualifier le statut de Simone Gbagbo avec leur président. ’

Et c’est justement ce discours que retient D. Glez dans la caricature. Hillary est le surnom de la Première Dame ivoirienne. Elle semble avoir une grande influence dans la conduite des affaires du pays, au point qu’elle n’hésiterait pas à tancer, publiquement, des membres du gouvernement. Elle s’est battue, aux côtés de son époux, pendant toute la durée de l’opposition contre H. Boigny et H. K. Bédié. C’est, apparemment, une femme au premier rang des combats, une « politicienne chevronnée depuis une quinzaine d’années ». Cette ambition politique la différencie largement de son homologue Malienne, Adam Ba Konaré, dont le mari estime qu’elle est son « Eve ». Il faut noter qu’Alpha Oumar Konaré, de même que P. Biya, sont absents du traitement dans le dossier. Ils ne sont vus, ici, qu’à travers leurs pensées pour leur femmes.

‘« La barbe exécute le jour ce que la tresse lui a dicté la nuit, dit le proverbe. Loin d’être une simple boutade, il souligne le rôle discret mais non négligeable qui est celui des femmes des hommes d’Etat ».’

Ce passage est le chapeau d’un article consacré à ces femmes, justement, dont on fait un portrait dans ce même numéro du Marabout (p.7). Des peintures certes, décalées, mais qui gardent toujours une référence solide vis à vis de la réalité des personnages. On parlait, précédemment, de Simone Gbagbo qui aurait une grande influence dans les décisions politiques, elle est reconnue dans cette galerie-portrait comme l’Ambitieuse du groupe ; les épouses Laraba et Fati Tandja comme des Siamoises, parce qu’inséparables dans leurs activités de charité ; Adam Ba Konaré, est la Paresseuse, toujours encline a paresser dans son lit ; Edith Lucie Bongo, née Sassou Nguessou, se voit en Consoeurternelle de Bongo, parce que refusant de jouer la « potiche » ; la Parvenue est au Cameroun, issue des quartiers populaires de Yaoundé ; il y a aussi la Tête froide du Sénégal, première dame « teint clair » (à cause de ses origines françaises), l’Exubérante du Burkina Faso avec ses mondanités, la Discrète béninoise dans ses allures de timidité, et enfin l’Effacée du Togo qui ne joue que son rôle de mère, tellement effacée qu’elle reste l’unique personnage qui n’est pas dessiné par la caricaturiste. Comment mieux figurer l’effacement que dans l’absence de caricature ? Ces portraits permettent de montrer la place que chacune de ces femmes occupent dans leurs différents pays aux côtés de leurs présidents de mari.

Que ce soit les femmes, les enfants, les alliés des belles femmes, le pouvoir politique en Afrique, avec le vent de la démocratie, arbore les couleurs d’un ethnocentrisme patent que chacun des journaux dénonce. Dans une réflexion antérieure 143 , nous avions posé, justement, cette question de l’ethnie qui devient le principal facteur de constitution des partis politiques en Afrique, et principale cause des guerres civiles qui secouent le continent. Dans les périodes électorales, le phénomène revient comme un leitmotiv, comme unique moyen de fédération des voix des électeurs. On en use, on en abuse et les querelles fusent de tous côtés, plongeant les pays dans un chaos indescriptible. Au moment où nous commencions cette recherche, un pays, la Côte d’Ivoire faisait la une de l’actualité.

Notes
143.

Mémoire de DEA : Identité (s) de lecteur (s) et opinion (s) dans Le Lynx, sous la direction de J-F. Tétu, 2000