3-2°/- De la manipulation des titres

Parmi les fonctions du langage que détermine R. Jakobson 175 , la fonction poétique ou rhétorique nous intéresse. Centrée sur le message, elle est définie comme permettant d’attirer l’attention du lecteur sur la façon dont le message est tourné par le procédé sélection-combinaison (l’exemple I like Ike que donne l’auteur est éloquent à ce sujet). On peut donc classer dans cette catégorie toutes les structures relatives aux règles de versification, mais aussi tous les jeux de mots qui font de la satire un lieu privilégié pour cette fonction poétique. C’est là d’ailleurs toute la pertinence du nom attribué à cette fonction : poétique. Jeux de mots ou jeux de poésies, les titres des journaux satiriques sont de véritables espaces de connexion entre les instances de la communication. A cet endroit, se jouent et se mettent en oeuvre plusieurs discours implicites qui fondent la complicité de l’émetteur et du récepteur. Dans toutes les analyses précédentes, que ce soit au niveau des critiques politiques ou dans nos observations concernant le traitement de l’information liée aux attentats du 11 septembre, les journaux satiriques africains attirent l’attention par la (re)composition de leurs discours, notamment dans la construction des titres, repérables très souvent à la une (quoi de plus normal si l’on considère que la une est la vitrine du journal ? ) 176

« Al Qaï… diams », « Eyadé… ment », « Attention à la busherie ! », « Pour les talibans, c’est une Busherie », « 353 disparus en pet ! », « Bon âniversaire, Professeur Gbagbo », « Manou sous les verrous ! », « Remboursement Manou militari ! », « On riz jaune ! », etc (d’autres titres en annexes), ce sont là quelques uns des discours que l’on peut lire à la une de nos journaux. La construction de ces titres obéit, sans conteste, à une règle de formalisation simple : l’hybridation, autrement dit la prise en compte à la fois d’une expression ou d’un mot de départ pour lui coller une seconde notion qui permet de faire passer un message implicite.

En fait, la compréhension effective de ces titres passe obligatoirement par un système de référence dont le lecteur doit disposer, même si pour certains, il suffirait de lire l’article auquel il renvoie pour exhumer une partie du message implicite. Les jeux de mots font allusion, soit à des adages connus et latents dans la société que le satiriste a en commun avec son destinataire (exemple : « manu militari » bascule en « Manou militari », Manou étant la gendarme impliquée dans cette affaire de magouilles ; cf. annexes, une 491), soit en fonctionnant comme une structure poétique où la rime devient la règle de base (exemple : « Manou sous les verrous ! »). Dans l’un des cas comme dans l’autre, le jeu de mot a ce rôle d’interpellation du lecteur et d’activation de ses compétences encyclopédiques. Ces systèmes de référence deviennent les clefs qui ouvrent les portes de l’ironie, afin de percevoir l’humour, tel que le satiriste l’a dissimulé. Ainsi, les titres apparaissent comme des énoncés aux contenus complexes auxquels on ne peut accéder que par un détour hors de l’énoncé lui-même. Cet impératif se doit d’être respecté dans tous les textes de ces journaux, encore mieux lorsque nous sommes en phase de lecture des différents identifiants (les noms des lieux, par exemple ; sans précision aucune, c’est que le destinataire est bien supposé les connaître), notamment les surnoms des différentes cibles. Pour les comprendre et surtout percevoir l’ironie, on est bien obligé de remonter à la source de leur conception.

Notes
175.

Jakobson, 1973, pp.213-220

176.

Le premier lieu où il entre en contact avec son lectorat qui se doit d’être percutant et choquant !