3-3°/- A La source des identifiants

Nous appelons identifiants tous les discours qui permettent de nommer ou un lieu ou un personnage qui apparaît dans ces journaux. Cependant, nous étudierons ici, exclusivement, les surnoms des différentes personnalités politiques récurrentes dans les journaux de notre corpus, au premier rang desquelles se trouvent le Président Guinéen, L. Conté ou Fory Coco.

La première chose que l’on peut dire à propos de ce sobriquet, est qu’il faut savoir que pour le créer, Le Lynx est parti de l’expression câline, répandue dans les sociétés africaines de l’ouest, qui est « Chérie Coco ». En langage courant, « chérie coco » fait référence à quelqu’un qu’on aime et qui fait bien ce que l’on aime. Le jeu ironique se trouve dans la transposition de l’expression : à l’opposé, Le Lynx a trouvé « Fory Coco », c’est-à-dire quelqu’un qui ne fait pas bien ce que l’on attend de lui. Pour la seconde explication, il faut revenir à la langue nationale soussou : Comme nous l’avons vu dans le portrait du président guinéen, Fory est celui qui est considéré comme l’aîné. Ce personnage est aussi appelé « N’taara ». Mais, dans les contes et légendes guinéens, Fory, c’est l’aîné brut, qui n’a pas la tête sur les épaules. Dans ces contes, ce « fory » synonyme d’hyène, ne réfléchit pas à ce qu’il fait, il n’est pas du tout raisonnable, au contraire, il est instictif.

Le satirique est parti d’une expérience professionnelle de la cible : En fait, Bâ Mamadou, avant de devenir ce politicien qu’on connaît en Guinée, avait, d’abord, travaillé à la Banque Mondiale. A la création de son parti, ses militants l’ont surnomé Banque Mondiale. Mais, pour Le Lynx , sachant qu’il avait essuyé bien de revers dans ses entreprises, notamment en Côte d’ivoire (il faut rappeler que les têtes de turc du journal étaient quasiment tous exilés à Abidjan), mais aussi en Guinée, au lieu de retenir « Banque Mondiale », comme l’appellent ses militants, le journal l’affuble du sobriquet de « Banque Route » ( en deux mots ; le second est retenu parce qu’il fut le premier à demander à ses militants d’occuper les rues comme le font les militants du parti au pouvoir, le PUP : Parti de l’Unité et du Progrès).

Rentré au pays, il fonde le PRP (Parti pour le Renouveau et le Progrès) A la faveur des dernières élections présidentielles, il fonde avec Bâ Mamadou et devient président de l’UPR ( Union pour le Progrès et le Renouveau ). Sira est le diminutif de Siradiou. Quant à l’allusion au mois de novembre, elle renvoie à l’agression militaire dont la Guinée fut victime le 22 novembre 1977 et à laquelle beaucoup de Guinéens croient que Siradiou Diallo avait participé.

Ce pseudonyme est venu du meeting qu’Alpha Condé avait organisé, en 1991, au Stade de la Mission de Kaloum. Les autorités locales avaient envoyé les forces de l’ordre pour disperser ses militants. Pendant la débâcle, on a aperçu le leader du RPG fuir, en grimpant le mur du stade pour échapper aux agents de la sécurité. Depuis, Le Lynx l’a surnommé Alpha Grimpeur. A partir de ce surnom, on a créé celui qui permet d’identifier ses militants : on les appelle les « grimpereaux  »

On a transformé son nom « Sow » en « Show » parce que le personnage luttait, très souvent, avec le secrétaire général de son parti, Bah Oury, pour le leadership au sein de l’UFD. Son incapacité à être plus pacifique et en voulant coûte que coûte être le chef crée régulièrement des conflits au sein de son parti. Pour Le Lynx , il faisait donc un show. Il se donnait en spectacle.

Ici, la transformation part du nom de famille, Bédié, pour devenir Gros Bébé. La raison ? Parce qu’il s’était « engraissé » en tant que dauphin de feu Houphouët Boigny. De telle sorte qu’il avait le visage d’un bébé joufflu.

Avant qu’il n’accède au pouvoir, Le Lynx le considérait comme un héros Il était, à l’époque, surnommé par la rédaction, Laurent Bravo. Ses prises de position et ses idées dans l’opposition, pour dénoncer les tares du régime du PDCI (Parti Démocratique de la Côte d’Ivoire), lui avaient valu cet honneur. Devenu chef de l’Etat, il passe de Bravo à Bravorien pour avoir contribué, notamment, à diviser la Côte d’Ivoire en voulant appliquer la politique de l’ivoirité. En fait, de Gbagbo Le Lynx a décliné vers Bravo, puis a ajouté Rien , pour signifier qu’il ne vaut rien. Pour Le Cafard Libéré , le physique associé à l’assonance de son nom, suffit pour lui attribuer un surnom : Laurent-pas-beau .

Abacha = Abat Chats. Cet homme au pouvoir est devenu dictateur, abattant « tout ce qui bougeait pour son fauteuil présidentiel, y compris les chats », selon A. Abraham Keïta.

Le jeu de mots vient de la focalisation sur son nom : Kaba. A partir de là, on lui ajoutee « Kabako » (un juron en langues soussou et malinké, pour exprimer l’étonnement). On lui a trouvé ce sobriquet lorsqu’il gérait la Sierra Leone en proie à la rébellion du RUF et surtout quand il a fuit pour se réfugier en Guinée. Sa fuite est aussi un aveu de faiblesse qui étonne Le Lynx .

Une transformation de Sidimé en Sidi…mais. Il était au départ Président de la Cour Suprême. Ensuite il a été nommé Premier ministre. Cela avait l’air d’une promotion, mais celle-ci a eu ses revers. On l’a vu s’exprimer moins en tant que Président de la Cour Suprême qu’en tant que Premier Ministre. Donc, il aurait pu être un Sid (seigneur en arabe), mais, son incapacité à mener convenablement son travail est à l’origine de la prudence du Lynx qui lui oppose donc un « mais »

Le journal a, donc, joué sur son nom, « Solano », parce qu’il paraissait un agneau par rapport à la tâche qui l’attendait. D’ailleurs, lui aussi, « le Loup de Fory Coco a fini par le dégommer pour ne pas dire dévorer ».

Le Lynx avait prédit qu’il serait à bout de souffle, tant son programme semblait vaste et impossible à réaliser.

Elle a été nommée pour s’occuper de la promotion des femmes et des enfants. Jeu d’ironie pour Le Lynx qui a estimé qu’elle avait besoin de beaucoup de tétines pour mieux gérer les enfants. D’où ce nom composé de Saran-la-tétine.

Il s’appelle Ibrahima Kassory Fofana. Ce fut le ministre favori et le « chouchou » de L. Conté. Aux yeux du Lynx , cet homme n’était donc rien d’autre qu’un cas complexe pour le Président. Kassory = Cas Sory.

Premier niveau de jeu : la transformation de son nom de famille, Sampil, en Sans Piles. Deuxième niveau de mise en œuvre de l’implicite : l’homme aurait l’air tristounet, certainement parce qu’il manque de piles (comme s’il était une machine qui marche avec des piles) pour être capable de garantir la sécurité les citoyens : d’où Sans Piles à la place de Sampil.

En Guinée, Somp, c’est le diminutif de Somparé ; et Pipe parce qu’il avait été secrétaire Général du PUP ( Parti de l’Unité et du Progrès) qui soutient L. Conté. Nous rappelons que la référence à la pipe vient de la déformation langagière du nom du parti dont l’homme est le chef de fil. L’absence de la lettre « » dans les langues locales, conduit la population analphabète (du français évidemment) à remplacer ce son par un « ». Ainsi, au lieu de prononcer « pup », on prononce « pip ». Et c’est à juste titre que Le Lynx surnomme les militants du parti les « fumeurs »… de pipe. Le parti, pour rester dans le même champ sémantique, est aussi appelé la tabatière.

Doum, c’est le diminutif du nom de famille Doumbouya. Le Lynx y a ajouté un second Doum pour rappeler le doum doum qui est, en fait un tam tam sourd permettant de marquer le temps dans la musique guinéenne. Et, pour Le Lynx , au lieu d’être le vrai chancelier de la République, il en est le chansonnier, c’est-à-dire le laudateur de Lansana Conté.

Au départ, il avait pour surnom « Galbert ». Mais compte tenu des misères qu’il fait subir aux populations de Conakry, il est devenu un véritable calvaire pour le Gouvernorat de Conakry.

On est parti du terme « Jeannot lapin » pour le surnommer : Le lapin est retenu en référence à son prénom et à Jeannot lapin. Le second mot lui reprend tout simplement son nom de famille. On obtient ainsi : Lapin Doré.

Le Lynx construit l’identifiant, à la fois, à partir de son premier prénom, à savoir Chaïkou pour dériver vers Cent Coups. Cela a pour conséquence d’évoquer les coups qu’il donne au nom du Président L. Conté.

C’est à partir de son prénom, Fodé, que Le Lyn x a construit son pseudonyme. Le choix de retenir l’axe phonétique a pour but d’insinuer que le personnage est un tricheur, un « Faux-dé », parce qu’il soutient des causes auxquelles il ne croit pas forcément.

Le Lynx part donc des initiales de son nom, pour fonder son discours ironique : SAK, par allusion à sac. Pour le journal, l’homme n’avait, assurément, pas les moyens de sa politique sportive et n’était donc qu’un sac vide pour encaisser (recevoir) nos scores, à travers notamment léquipe nationale de football.

La transformation s’opère juste entre Jean Paul qui devient Popaul (ainsi appelle-t-on aussi le président camerounais, Paul Biya, dans les colonnes du Messager Popauli ) et Sarr sortant en char.

Le jeu de mots fait évidemment référence à l’expression française « grise mine » qui veut dire être triste et peu actif. C’est à juste titre que l’on comprend la critique du journal : « Il s’occupe de nos mines qui ne nous rapportent pas grand chose », dénonce-t-on au Lynx .

On l’appelle au Lynx cocotaillé parce qu’il a le crâne rasé. Il est appelé N’Diombor ou Gorgui par le satirique sénégalais (cf. portrait du rusé)

De son vrai nom Hadja Mariama Déo Baldé. Sa nomination ressemblerait beaucoup, selon les journalistes du Lynx , à un véritable cadeau du chef de l’Etat. A partir de là, le journal propose cet identifiant, Déo Gracias, par allusion à Déo Gratias, expression latine signifiant « Dieu Merci ». Une façon certaine d’ironiser sur la nomination de cette ministre.

« Il avait galéré entre la direction nationale du Trésor Public et d’autres services avant d’être promu au poste de ministre de l’Economie », d’après Le lynx. Le choix de ce surnom, Cheikh-la-Galère, a pour effet d’ironiser avec le changement et surtout l’ascension rapide de l’homme vers de hautes responsabilités, et son enrichissement.

Pour Le Lynx , ils sont comiques parce qu’ils ne sont pas de véritables opérateurs économiques. Par ailleurs, comme la plupart d’entre eux s’expriment très mal en français, leur façon de parler ressemble à une véritable comédie.

Il s’appelle Mamadi Condé et pour Le Lynx , il avait été nommé, d’abord pour soigner le ministère de l’Information, (donc c’est un médicament) et maintenant il continue ses soins au ministère des Affaires Etrangères.

On le dit jeune, parce que, justement, il ne l’est pas. Au contraire, il est vieux. Comme toujours, la Pipe fait référence au PUP dont il avait été le secrétaire général.

Au Lynx , puisqu’elle s’appelle Koumba, la dérivation découle du raisonnement suivant : elle a été nommée pour mener le combat pour le rayonnement du tourisme guinéen. Ainsi, devient-elle une Koumbattante, par allusion à l’adjectif, combattante.

Au lieu d’un véritable journal télévisé, Le Lyn x voit un journal « télé vicié » parce que la RTG est viciée par le pouvoir : on y dit rarement la vérité. C’est « la voix de son maître », L. Conté. Cela justifie qu’on l’appelle, par ailleurs Télégbantama : gbantama étant le nom du village dont est originaire le président.

Pour Le Lynx , l’homme est loin d’être un ange pour la démocratie et les droits de l’homme au Togo. Son surnom, Eyademon est la contraction de deux mots : Eyadema +démon.

Aux yeux du Lynx , cet ancien rebelle, devenu par la suite président, a été une véritable terreur (le mot rappelle le nom « Taylor ») pour la paix dans la sous région ouest africaine, au point même que L. Conté a régulièrement refusé de le rencontrer (cf. annexes, une 492).

Nous avons fait le choix, comme dans d’autres parties, de nous arrêter aux sobriquets récurrents. Ailleurs, le lecteur peut-il rencontrer aussi d’autres appellations comme : Ulimort, en référence à l’organisation rebelle qui sème la mort au Libéria, l’Ulimo), la Cocoteraie ou Sékhoutouréya (pour parler du palais présidentiel guinéen), Kibanyi (trône en soussou), Cocoseth (la femme de L. Conté ; Seth étant son deuxième prénom), En haut de en haut (les élites), Cellule paparazzique (en lien avec le photographe du Lynx qui s’appelle Cellou), Soobi (habits, uniformes cousus à l’occasion de fêtes, comme les mariages ou les baptêmes), Yala Le gros Lynx (surnom attribué à Souleymane Diallo : Yala, petit nom de tous ceux qui portent le prénom de Souleymane ; le gros, surnom affectif de l’administrateur général du Lynx ), Abdou Girafe (surnom d’Abdou Diouf, appelé N’diol dans Le Cafard Libéré , petit nom pour les Abdoulaye au Sénégal), Gnari makha ou, littéralement, laveur de chats (hypocrite, encenseur, prêt à tout pour s’attirer les faveurs du chef, lèche-botte), Kibareurs (journalistes de l’émission Kibaro  : sorte de JT en langues nationales guinéennes), Sunugaal (c’est à partir de ce mot, qui est en fait doit s’écrire Sunu Gaal, qui veut dire ma pirogue en wolof, que l’on a trouvé le nom du Sénégal, qui s’appelle aussi, à la fois dans Le Lynx et Le Cafard Libéré , la Téranga dont la capitale est N’Dakaru), Dialgaty (danse en vogue ces dernières années à Dakar), Dépités (transformation orale de députés, signifiant du même coup la déception de ces personnages politiques), Xalwa (retraite souvent effectués par les marabouts, en Afrique, pour prier), Gornement (déformation orale du mot gouvernement et mélange de « garnement »), tous ces noms sont de véritables concentrations de discours implicites qui permettent de construire l’image du lecteur.

En dernier ressort, il faut retenir que, très souvent, la construction des identifiants tient d’une transformation mettant en première ligne la proximité entre les sons de l’identifiant de base et celui que proposent les journaux. Parler de son, donc de prononciation, nous amène, inévitablement, à poser, désormais de manière claire la question de l’oralité, et de son opposition avec l’écriture. Dans cette presse, c’est la cohabitation, la coexistence, la conjugaison de ces deux univers qui fait sa richesse. C’est à l’analyse de l’oraliture, véritable base identitaire de ces journaux, que nous allons désormais nous atteler. Mais loin de reprendre le discours négationniste de l’écriture au continent africain, nous commencerons par montrer qu’une telle démarche est infondée. Le détour par ce chemin historique aura l’avantage de mieux voir la place de l’oralité et surtout l’évolution de l’écriture en Afrique qui a abouti à cette façon particulière d’écrire que l’on trouve, d’abord dans les romans, ensuite, dans les journaux qui nous occupent.