5-1°/- La structure narrative

Le Vié Koutoubou, personnage emblématique du Lynx , a deux espaces qui lui sont reconnus dans les pages du satirique guinéen : à la une et à la deuxième page. Il est vrai que l’espace qui lui est accordé est relativement petit par rapport à toutes les pages du journal. Mais le lieu, ici, semble être insignifiant au regard des propos qu’on lui fait tenir. Autrement dit, même s’il a une place réduite, il est porteur d’une parole qui s’enracine à la fois dans la sagesse africaine et dans la sphère populaire. Il est certes effacé par rapport aux longs discours des journalistes, mais sa capacité d’analyse, son humour, ses jeux de mots et son décalage permettent de construire une certaine place qui lui donne finalement un statut non des moindres : celui de juge des situations difficiles. Lorsque parle Koutoubou, c’est pour juger, avertir, admonester, mettre en garde : exactement la place du sage dans les sociétés africaines. A la une, il est souvent caché, observant la scène caricaturée qui est le grand titre de l’actualité. Dans les unes que nous avons analysées dans la partie précédente, nous avons vu que c’était lui qui donnait le La de la réflexion qui devait conduire la critique satirique. C’est à travers ce personnage que Le Lynx ouvre la phase de critique. Mais, son statut de juge nous apparaît de manière plus explicite dans la deuxième page du journal, dans la rubriqueLynxorama, juste après la Chronique Assassine. Ici, il ne se contente plus d’observer et lancer une critique déguisée, à travers une phrase interrogative dont la construction ne doit tenir compte que d’une seule règle : le jeu de mot avec la caricature centrale de la une. Par exemple, à la une du 31 décembre (cf. annexes), il lance :

‘« Koutoubou ! Mais… didon, c’est quel saut dans l’inconnu çà encore ? Mon vié pays-là ».’

Nous n’allons pas citer ici toutes les bulles de ce personnage (cf. annexes), puisque c’est la même logique est reprise dans chaque « une ». Chaque semaine, sous le crayon d’Oscar, le personnage, bien dissimulé à un coin du cadre établit par le caricaturiste, observe les aspects ridicules de la politique guinéenne. Il se dégage de son observation une attention précise de la situation. La phrase interrogative est l’expression d’un sentiment d’incompréhension dont l’issue n’est autre que l’amertume à travers son « Mon vié pays là ! ». Dans cette chute, il y a la concentration d’une amertume avouée et d’une résignation dissimulée à une fatalité. Le sage est dépassé par le monde qui l’entoure ; une dure réalité qui est sûrement à l’origine de cette pensée chaque semaine. Dans ce premier dispositif, Koutoubou ne parle pas, l’expression de son observation passe par la pensée, comme le montre les bulles. Cela ne sera pas le cas lorsqu’il assène son avertissement à la page 2, à travers son « Carton Jaune ».

En effet, dans la deuxième page, il juge. Comme l’arbitre central dans un terrain de football, Koutoubou avertit. Mais cet avertissement obéit à une structure narrative tripartite que nous avons baptisée : la règle des trois Ex : Exclamation, Explication, Expression (de la révolte ou plutôt de la sagesse).

  • d’abord l’exclamation : c’est elle qui donne son nom au personnage : Koutoubou.

Ce mot, tiré de la langue malinké, s’emploie lorsque l’on est dépassé par un événement. Son équivalent français serait un juron de surprise. Toutes ces expressions ont cela en commun d’être les moyens lexicaux par lesquels le sujet marque son étonnement et sa surprise, face à une situation délicate ou cocasse ;

  • ensuite l’explication : c’est sur ce plan que la parole est plus prolifique.

Forcément, le personnage est bien obligé, tout d’abord, d’asséner son avertissement, mais surtout d’en expliquer les raisons ;

  • enfin l’expression de la sagesse

Koutoubou joue là clairement la carte de la sagesse pour rappeler à l’ordre le responsable du forfait. Il lui signifie la part de l’erreur de son jugement et termine par une espèce de menace voilée.

Pour illustrer ces remarques théoriques, voyons quelques exemples :

‘« Koutoubou ![exclamation] Carton Jaune à palais, on dit c’est du peuple ! qui n’est pas fâché contre palais de Sékhoutouréya ![explication] Non mais… Didon, tu sais pas que M’Bemba Galbert a fait son sabar là-bas ? ça c’est trahison, go ! A tension, hein ! Mon vié ! [expression]»(N°490 du 13 août 2001)’ ‘« Koutoubou ! Carton Jaune à M’Bemba on dit calvaire du Gouvernorat ! Qui va jusqu’à dire à la Radiotélécoco, que Conakris, c’est propre et tout, et tout. Non mais… Didon, tes z’yeux-là sont où maintenant ? Hé… A tension, hein ! Mon vié ! » (N°489 du 6 août 2001)’ ‘« Koutoubou ! Carton Jaune à Ministère on dit c’est finances ! Qui doit 274 milliards à Banque Centrale de Guinée ! Non mais… Didon, tu sais pas que Banque Centrale-là, c’est Etat et Etat-là, c’est Fory Coco ? A tension, hein ! Mon vié ! »’

Comme on peut l’observer à travers ces trois extraits, c’est la même structure narrative qui est reprise dans chaque numéro. Cela a l’avantage de fixer un modèle d’écriture (ce genre de régularité étant le propre de la langue parlée), un style de discours qui à son tour fixe une habitude de consommation, une fidélité de lecture. Le lecteur n’est pas conduit, à chaque numéro, d’un univers discursif à un autre. Au contraire, il sait qu’en lisant cet encadré, il y est projeté suivant la même logique narrative. C’est un gage de complicité et une carte maîtresse dans le processus de fidélisation du lectorat. Par ailleurs, la part de l’humour contenue dans le discours permet de pénétrer dans l’environnement avec une certaine légèreté qui ne serait pas permise par un article en tant que tel, ou du moins serait surveillée par le caractère canonique de la nouvelle journalistique, même dans le cas de la satire. Nous voudrions, cependant, attirer l’attention sur la langue utilisée par le personnage qui nous occupe : malgré l’absence répétée des articles pour accompagner les noms, sa langue n’égratigne que très peu la langue française. Nous y reviendrons juste après avoir vu comment fonctionne le discours d’un autre personnage emblématique : Goama du Journal du Jeudi .

Du point de vue de l’espace qui lui est accordé, Goama a plus de présence que Koutoubou. Une rubrique lui est réservée en intégrant son nom, d’ou son titre : « Moi Goama ». En effet, quasiment une demie page est réservée aux humeurs de ce personnage aux allures d’ancien combattant (cf. annexes). Comme son homologue guinéen, apparaissant toujours la même place (mais, lui, seulement en page 2), il permet de construire un lieu de rencontre et d’expression d’une connivence avec son lectorat. La structure de son discours obéit presque à la même logique que celle de son alter ego Guinéen, même si pour lui, il reprend quelques règles journalistiques notamment, dans l’élaboration d’un titre. Pour Goama, la règle de construction de ses analyses serait plutôt binaire : constatation et suggestion. Mais avant d’entrer dans le détail de son discours, posons, tout d’abord, la question de son identité : qui est Goama ?

Il faut savoir que ce nom est l’un des plus répandus parmi la population Mossi qui parle le Moré, langue parlée sur le plateau de Ouagadougou. C’est l’influence de cette langue originelle du personnage, comme nous verrons, qui est à la base de son accent (si on devait l’entendre) où la lettre « r » se fait gentiment éclipser par la lettre « g ». Goama, c’est aussi un ancien combattant, à l’image de celui dont on parlait au début de cette partie : revenu des guerres européennes, il est toujours tiré à deux épingles avec costume, cravate et chapeau, d’un goût plus ridicule qu’élégant, malgré la chaleur, ce qui lui permet de se faire reconnaître parmi la foule africaine. Mais, on le repère par cette langue française traversée de la teneur du terroir où les mots d’ici et d’ailleurs se côtoient, se bousculent pour offrir des phrases d’une rare truculence (évidemment la satire ne pouvait que s’en emparer). Il dit ce qu’il pense, sans tenir compte du rire qui fuse lorsqu’il ouvre la bouche ; c’est sa capacité à tout dénoncer, tronquée d’une pincée d’humour qui fait son succès dans la société. Des Goama sillonnent régulièrement les rues torrides des villes d’Afrique, et vont jusqu’à se constituer une fidélité dans les médias : le Journal du jeudi lu pour le retrouver, Le Lynx feuilleté pour sourire des mots de Koutoubou, Gorgoorlou (personnage né du crayon de T. T. Fons, ancien caricaturiste du Cafard Libéré ) qui renaît à la télévision sous la caméra de Moussa Sene Absa, ou encore le Ba Sondo du comique Guinéen Yakouba Pessè, tous ont cette force véridique et créative qui s’oppose à l’autocensure et deviennent ainsi la voix du peuple, ou si l’on veut « le cri du peuple » (Anne-Cécile Robert, Le Monde diplomatique, Février 2002).

Pour revenir à Goama, nous n’avons pas résisté au plaisir de laisser le personnage, lui même, se définir. Dans le numéro 519, sous le titre « Dix n’ans, 519 parouoles ! », il déclare :

‘« Auzougd'hi, ça fiaite dix n'années que vous sont connassent moi Missié Goama, anchein coumbattant, mari de Zalissa, n'ami des Zérôme, Mor Salam, Ablass pitit-pion. Dix n'ans, c'est pas dix zours. Ouais, ça fiaite le 519 fa que saque simaine bon Dié douonne moi le fogce poug ête à le dendez-vous. Z'a concheillé, z'a félcité, z'a kirtiqué, z'a anchoulté, z'a tout fiait poug que mes ''pays'', les Broukinabè va se méliorer poug divlopper Broukina. Miême si ze n'a pas réissi zousqu'à pérsent, z'a content quand miême pasqué y a des pitits frès qui pensent que ce que ze fiaite là c'est bon épis é auchi y sontent prend lèr bouces metter là-dans poug fiaite le tarvail. Ze me pense aspéchialement mon pitit frè Nobila Cabaret que in n'étidiant miême ai fiaite le étide sig son parouoles. Pitête comme loui y l'a fiaite CM 8, c'est pougkoi on comprende son farandé plis que poug moi ze n'a pas fiait miême CP 0 » 198 .’

L’autoportrait du personnage permet de saisir trois facteurs intéressants à souligner : d’abord c’est un ancien combattant, mais surtout il se rattache à une famille dont la femme (Zalissa) est désignée, à une appartenance sociale dont les amis (Zérôme, Mor Salam, Ablass pitit-pion) sont clairement identifiés. D’ailleurs, c’est toujours ce besoin de fixer et de montrer son appartenance à la société qui le conduit dans le numéro 512, du 12 juillet 2001, à une ouverture comme celle-ci :

‘« D’ambord, ze vas coumacé poug dit bonzour mon l’ami El Kabor à Onatiel Pô. Ça fiaite miême torop longtemps que ze n’as pas son nouvielles. Mais comme dans pays-là quand que tu dires sans voit quielqu’in c’est difficile poug dimander acondé pasqué les cougtes maladies entierrement quatogzères sontent nomberé, c’est sa ze ne save pas. Mais ze n’a pas anquiet hein ! Ze save que mon l’ami a pitête facé an pé, pasqué y l’a crive moi que de vini on va pagti à Navrongo boit la ABC épis dit awayou les confort épis ze n’a pas encore gangné di temps-là, c’est acondé de çà. Mais faut pas y va fâcer. Comme c’est vacainces épis les n’enfants pagtent plis à le icole épis ze vé miême poug envayer Zalissa prende pitit conzé à le villaze, ze vas vini. El Kabor, faut metter ton kèr dans di galace (masta dit ice block) attende moi. A bientôt, mon l’ami » 199 . ’

On pourrait, naturellement, se poser la question de savoir si ces personnes dont il parle sont des hommes et des femmes existant réellement, ou des personnages à l’image du héros, c’est à dire nés de la plume et du crayon de la rédaction de JJ . Nous pensons que c’est un questionnement légitime, mais pas vraiment pertinent. Goama étant un personnage fictif, son entourage ne peut être que le fruit d’une invention. D’ailleurs, que ce petit monde s’avère réel ou non, l’intérêt de la construction de cet univers est à chercher ailleurs : il permet une proximité avec le public. Bâtir un monde, proche de la réalité, autour du personnage a l’avantage de l’inscrire dans la même société que le lectorat pour faciliter une identification. Le lectorat s’identifiera d’autant plus aisément au personnage qu’il le reconnaît comme appartenant à la même société que lui, partageant avec lui les mêmes angoisses, les mêmes questions. La clef de la fidélité, ici, se trouve dans la possibilité que chaque lecteur puisse reconnaître en Goama quelqu’un de son entourage (proche ou lointain, peu importe), mais surtout de voir qu’il est comme eux.

Goama, c’est également un parcours inscrit dans le temps (ici la temporalité même du journal : il n’apparaît que le jeudi et sa naissance coïncide avec le support, puisqu’en étant dans le cinq cent dix neuvième numéro, il dit avoir proféré cinq cent dix neuf paroles) qui permet de consolider cette fidélité de lecture, dont nous parlions plus haut, et une complicité avec son public. Mais, c’est surtout un personnage satirique au vrai sens du terme, un personnage au regard affûté et tranchant, qui pose des yeux plein de bon sens sur sa société afin qu’elle s’améliore, comme il le dit, lui même, à travers ces mots :

‘« Z'a concheillé, z'a félcité, z'a kirtiqué, z'a anchoulté, z'a tout fiait poug que mes ''pays'', les Broukinabè va se méliorer poug divlopper Broukina ».(cf. notes bas de page numéro 108) ’

Il a désormais sa place au Burkina, puisqu’on lui vaut une reconnaissance certaine qui se traduit par des études sur son discours. Ses critiques, malgré le fait que son Français soit mauvais, comme il le reconnaît, ne sont pas pour autant dénuées de logique stylistique. En effet, la dénonciation a pour principe de départ le constat d’une situation critiquable : on ne peut envisager de critiquer un fait avant de l’avoir abordé sous l’angle de la présentation. Une argumentation n’a aucune valeur persuasive si le destinataire n’est pas au fait de la situation dénoncée. Donc, si Goama veut persuader, convaincre son lectorat, il a l’obligation de lui expliquer la situation, même si celui-ci est censé en connaître le sujet. Sur ce plan, on retrouve une composante fondamentale de la construction de l’information satirique. Rappelons que dans la partie consacrée à la théorise de la satire, nous avions posé que le lecteur est censé avoir une pré-information pour entrer dans le discours qui lui est proposé. Si ce minimum d’information n’existe pas, le discours satirique se scinde en deux : information d’abord et commentaire ensuite. Prenons par exemple, la première analyse de Goama qui apparaît dans le premier numéro du Journal du Jeudi qui compose notre corpus. Goama commence son analyse en ses termes :

‘« A zédi passé, ce sontait saud mal miême à la CBC. Chimon Compaoré sontait organisé un TPR niveau mondiel poug zousser les anffiaires de pagcelles-là. Donqué, les maires qui sontent fiait les loutissements sontaient à le barre poug zoustifier les oupiachions. Ze ne save pas si Chimon maire de Wogdogo-là, ça vé dit que c’est loui qui a la papa épis la maman de tous les zense qui vi à ichi épis tous la monde doive pourg douonner loui le comptes… » 200 .’

A partir de ce morceau de discours qui ouvre la réflexion de Goama, dans la parution du 5 juillet 2001, sous le titre « Chimon a divini Halidou » (Simon a deviné Halidou, pour dire que le premier a compris ce que tramait l’autre), nous voyons évidemment que l’énonciateur ne se lance pas à l’assaut du mal sans avoir eu soin de poser son cadre, de situer le sujet à partir duquel va se développer son argumentaire. En suivant une logique rhétorique simple, (constat, explication, suggestion) il va exprimer une dénonciation dont la pointe, la charnière (ce qu’il reproche clairement à sa cible) se trouve dans ce passage :

‘« Moument que on litte pagtout contre le impinité épis poug les droites de tous la monde, y a pas aukine quielqu’in qui doive pour zousser son camarate. Miême si le piègsonne na pas rason. Le Zoustisse a là poug ça. Oubein ? Miême quand que on tarpe le voulière gnack son main dans le sac, on dit de mener loui à le pouliche. Chimon n’a pas in zendarme, y n’a pas officer de pouliche, y n’a pas zousse de anstroukchion. Y l’a maire de Wogdogo, in point deux tiraits » 201 .’

Le reproche qui est fait, ici, à Simon Compaoré, Maire de Ouagadougou, est de se constituer comme juge pour punir des personnes qui ont volé des parcelles de terres. Pour Goama, l’Etat a constitué un appareillage répressif où chaque institution doit jouer son rôle. Si des cas d’entorse à la loi sont observés, les responsables doivent être appréhendés et jugés par les services compétents. Et ce n’est certainement pas au maire de la ville de s’improviser à ce poste. Le projet satirique trouve ici sa raison d’être : dénoncer les atteintes à la norme.

Autre exemple, dans le numéro 512, pour illustrer cette règle binaire qui fonde la structuration de la parole de l’ancien combattant burkinabé. Lorsqu’il parle des mauvais maris (titre : « An bas les maris pourris ! »), la structure de sa critique n’est pas anodine puisque la parole est énoncée exactement comme celle que l’on reconnaît aux vieux sages africains. Avant d’aller au cœur du sujet, il a le soin d’ouvrir son propos par des affirmations d’ordre général, histoire de fixer le cadre, comme un griot. C’est au travers de ce premier détour que va évoluer sa parole. L’ordre du discours est planté par l’intermédiaire de cette parole primaire qui va orienter tout le propos :

‘« Hé, l’homme que ti voye coumça-là, y n’a pas bon dè ! Moi-miême z’a in l’homme mais ze reconnasse que on sont monviais compilet. Ze n’a pas dit ce sontent tous les fouemmes qui sontent bon pasqué y a des sogcières auchi làdans, mais lèrs souffrancements-là c’est torop » 202 .’

Voilà comment le décor est planté. Désormais, le personnage peut raconter son histoire :

‘« In zour, matin anvant zé vas annrivé à le bireau, z’a arrêté sig le route poug prende in soubassment de benga saud. Ze sontait mis mon tiête en bas, concentré sig mon palat. Net z’a entendi fouga-fouga-fouga épis « ouais, z’a là auchi ». Quand z’a lèfé les zyé, wala in fouemme zolie comme Zalissa qui a dibout divant quielqu’in qui a entirain poug manzer. Mon kèr ai fiait tourois pas divant, dé pas marce-en-darrière bolqué net dibout mon kèr. Ze sontais vouli miême dibout poug pagti zouffler loui. Mais fachon type-là ai calmé comme di l’eau de piscine, z’a dit dans mon ventere hohooon, fouemme-là doive poug avoit rason. Si pas non, missié-là sonterait tappé loui coussé raide. Y l’a continouyé poug fini manzer son benga, le fouemme anrrêté sig son tiête. Quand que y l’a fini lavé son mains dibout, y l’ai douonné loui zétons épis sogti. Anvant le fouemme va pagti, y lai dit « si ti vé ze vas te honter, ze vas te honter. On sont mariés-là ! »… 203  »’

Une fois terminé le récit au cœur de la critique, il peut conclure :

‘« C’est ça z’a dit dans mon ventere, le n’homme a monviais. Ti vas dibout, ti vas miême pas douonner agzent de bouillie poug les n’enfants épis toi-miême ti vas pagti dizéner bein fort. Pitête miême que si y a pas agzent de bouillie, y a miême pas agzent de condiments. Epis, à midi, ti vas vois le mal type posé à côté de Rouki entirain de manzer le viande épis boit les Falg. Le soir quand y va pagti à le mizon, c’est poug laver, cousser épis posonner son fouemme anviec les l’odères malmonviais. Tchrrr, an bas les n’hommes coumça ! » 204 .’

Comme on peut le voir, Goama a une évolution simple : la rhétorique mise en place est ce qu’il y a de plus logique, si l’on veut persuader son auditoire. C’est une argumentation qui respecte, évidemment, les règles de l’art, mais elle convoque l’univers des sages et des griots en Afrique. Jamais de parole directe au départ, mais une parole elliptique, proverbiale dont les ressorts. Le sens caché est livré, petit à petit, à l’auditoire. Encore une fois, nous employons, volontairement, la notion d’auditoire car, il s’agit d’une parole à écouter, non d’un texte à lire, même si le dispositif dans lequel apparaît ce discours est en contradiction avec lui (la presse écrite est faite pour être lue, non pour être dite et être écoutée, même si on reconnaît les phénomènes de lecture publique). Le journal est en flagrante antinomie avec Goama dont le discours, à la base, est une parole non une écriture. C’est pour cette raison que la rédaction nous met cette mention spéciale : à lire à haute voix.

Notons cependant qu’une autre césure, certainement la plus intéressante, le nec plus ultra dans la traduction du discours de ce personnage, comme dans celui du Lynx , se trouve dans la retranscription de cette langue orale : comment retranscrire une parole qui se veut originellement et finalement orale ? C’est à juste titre que l’on préconise dans la rubrique de Goama de lire cette écriture à haute voix. Ce texte n’est, en réalité, pas fait pour être lu, en tous cas pas comme on lirait un roman ou un article de presse ordinaire. C’est un discours à proférer, une parole à articuler ; sa compréhension suppose l’application des règles de l’articulation, une implication de la voix qui s’écoute parler. Nous avons, nous même, fait l’expérience et rencontré la difficulté à suivre le fil du discours dans la lecture silencieuse. Lire les paroles (le mot ici a toute son importance, ce n’est pas un texte) à voix haute permet de reconstituer plus facilement la logique argumentative du personnage et surtout de garder proche le souvenir des mots qui font le tissu de la réflexion : on le sait, lorsqu’on lit un texte, ce qui nous permet de comprendre le propos, c’est notre capacité à retenir tous les mots (sujet, verbe, complément) qui constitue la phrase. Avec Goama, notre mémoire bute contre la complexité de la lecture de ces mots, difficulté très vite balayée dès que nous nous entendons lire. Encore une fois, c’est une parole, au sens même où l’entendait Saussure, ce n’est pas un texte. Autrement dit, il s’agit de l’appropriation individuelle des éléments de la langue, même si le cas qui nous occupe, comme on le verra, glisse vers son contraire, à savoir la langue. C’est grâce (ou à cause) de la rencontre, ou plutôt de la confusion de ces deux univers qui, nous le savons, induit cette autre dichotomie écrit / oral, que l’on se retrouve face quelque chose de fascinant dans les colonnes de nos journaux : une syntaxe qui se veut indifférente à l’égard des règles grammaticales conformes à la norme, mais que l’on surprend à respecter une norme qui ressemble étrangement à celle qu’elle prétend ignorer : ce que nous avons appelé le paradoxe syntaxique.

Notes
198.

Aujourd’hui, cela fait dix ans que vous me connaissez, moi Goama, ancien combattant, mari de Zalissa, ami de Jérôme, Mor Salam, Ablass Petit Pion. Dix anx ce n’est pas dix jours. Oui ! ça fait la 519ème fois que chaque semaine que le bon Dieu me donne la force d’être au rendez-vous. J’ai conseillé, j’ai félicité, j’ai critiqué, j’ai insulté, j’ai tout fait pour que mes compatriotes burkinabès s’améliorent afin de développer le Burkina. Même si je n’ai pas encore réussi, je suis quand même content, parce qu’il y a des petits frères qui pensent que ce que je fais est bien, incitant à mieux travailler.Je pense spécialement à mon petit frère Nobila Cabaret, un étudiant qui a consacré une étude à mes discours. Peut être que parce que lui, il a fait des études au moins, jusqu’en CM 8, c’est pourquoi on comprend son français plus que le mien, puisque moi, je n’ai même pas fait CP 0.

199.

D’abord, je vais commencer par dire bonjour à mon ami El-Kabor à Onatiel-. Ça fait trop longtemps que je n’ai pas eu de ses nouvelles. Mais comme dans ce pays, quand tu dures (quand cela fait un moment) sans voir quelqu’un, c’est un peu difficile de demander à cause des nombreuses courtes maladies et les enterrements à quatorze heures. Mais je ne suis pas inquiet, hein ! Je sais que mon ami est peut être un peu fâché, parcequ’il m’a écrit me demandant d’aller avec lui à Navrongo, boire la ABC. Et puis, je n’ai pas encore du temps pour ça.. Mais il ne faut pas qu’il se fâche. Comme ce sont les vacances, que les enfants ne partent plus à l’école, je vais demander à Zalissa de prendre un petit congé pour aller au village, après je viendrais le voir. El Kabor, il faut mettre ton cœur dans de la glace (masta dit ice block) et attend moi. A bientôt, mon ami

200.

Le jeudi passé c’était chaud à la CBC. Simon Compaoré avait organisée un TPR pour juger les affaires de parcelles. Donc, les maires qui ont fait les lotissements étaient à la barre pour justifier les opérations. Je ne sais pas si Simon, étant maire de Ouagadougou, cela veut dire qu’il est le papa et la maman de tous les gens qui vivent ici. Et puis que tout le monde doit lui rendre des comptes…

201.

Au moment où on lutte partout contre l’impunité et pour les Droits de l’Homme, personne ne doit juger son camarade. Même si la personne n’a pas raison. La justice est là pour ça. Ou bien ? Même lorsqu’on attrape un voleur, on doit l’amener à la Police. Simon n’est ni gendarme ni officier de Police, ni juge d’instruction. Il est maire de Ouagadougou, un point deux traits.

202.

Hé, l’homme que tu vois comme ça n’est pas bon. Moi même, je suis un homme, mais je reconnais que nous sommes mauvais complètement. Je n’ai pas dit que toutes les femmes sont bonnes, parce qu’il y a des sorcières aussi parmi elles. Mais leurs souffrances sont de trop.

203.

Un jour, le matin, avant que j’arrive au bureau, je me suis arrêté sur la route pour prendre un soubassement de Benga chaud. J’avais la tête en bas, concentré sur mon Benga. Net, j’ai entendu fouga-fouga-fouga et puis : « ouais, je suis là aussi ». Quand j’ai levé les yeux, voilà une jolie femme comme Zalissa, debout devant quelqu’un qui est entrain de manger. Mon cœur a fait trois pas devant, deux pas en marche arrière, bloqué et debout net. Je voulais même me lever pour aller la giffler. Mais, vue la façon avec laquelle le type gardait son calme comme de l’eau de piscine, je me suis dit hohoo, la femme doit avoir ses raions. Sinon, ce monsieur l’auarit tapée au point qu’elle tombe raide. Il a continué à manger son Benga, la femme au dessus de sa tête. Quand il a fini de laver ses mains, il lui a donné des jetons et il est sorti. Avant que la femme ne parte, elle a dit : « si tu veux que je t’humilie, je vais t’humilier. On est mariés.

204.

C’est pourquoi je me disais que l’homme est mauvais. Tu te lèves, sans même donner de l’argent pour la bouillie des enfants, ensuite, tu vas déjeuner bien fort. Peut être que s’il n’y a pas d’argent pour la bouillie, il n’ y en a pas pour les condiments. Et puis, à midi, tu vas voir le mauvais type entrain de manger de la viande et puis boire de de la Flag. Le soir, quand il rentre à la maison, c’est pour se laver, se coucher et empoisonner sa femme avec de mauvaises odeurs. Tchrrr, à bas les hommes comme çà !