Selon Shinoda et al (2001) les processus bottom-up ne sont apas suffisants pour assurer l’intégration des éléments de signalisation. Les auteurs souligent par exemple que l’intégration des panneaux « stop » nécessitent une recherche active et donc la mise en œuvre de processus top-down. Ils précisent également que cette recherche peut être facilitée par les connaissances acquises au cours de la pratique et par la stabilité des infrastructures (ie : intersection). En revanche, ils suggèrent que ce n’est peut être pas le cas pour des éléments plus saillants, tels que les autres véhicules.
Par ailleurs, Neboit a proposé un modèle des activités perceptives et cognitives impliquées dans la conduite (figure 12). L’auteur distingue l’exploration perceptive, l’identification, la prévision et la décision. Selon ce modèle, le conducteur recueille des indices nécessaires à l’exécution de sa tâche (ie : exploration perceptive). Puis, il classe ses indices (ie : identification). L’auteur précise qu’au fil de la pratique de conduite, le conducteur étant confronté à de plus en plus de situations, il utilisera de moins en moins d’indices en se limitant aux plus pertinents pour une situation donnée. En d’autres termes, avec l’expérience les catégories d’indices, d’événements se multiplient ainsi, la classification devient de plus en plus fine. A partir des indices perçus et organisés le conducteur pourra anticiper les événements possibles de la situation (ie : prévoir).
Enfin, le processus de décision ne réfère pas aux actions entreprises par le conducteur, mais à l’ensemble des processus impliqués dans l’activité de conduite, du prélèvement de l’information jusqu’aux prévisions. En outre, Neboit insiste d’une part sur le lien entre les connaissances et les représentations, et d’autre part entre connaissances, représentations et comportements. Pour l’auteur, le conducteur doit construire une représentation probabiliste des événements qu’il rencontre (Neboit, 1980, p219). Ici aussi, le terme de probabiliste sous-entend que cette représentation ne concerne pas que la situation courante, mais aussi les anticipations. Cette représentation est au cœur de son modèle car elle déterminera les comportements (ie : attitudes) du conducteur. L’auteur souligne les difficultés inhérentes à l’élaboration de cette représentation : puisque le conducteur procède par échantillonnage, l’information recueillie et utilisée ne constitue qu’un échantillon restreint de l’information disponible dans l’environnement (Neboit, 1980, p219). Par ailleurs, rappelons que le conducteur est également soumis à une forte pression temporelle. De ce fait, Neboit précise le dilemme du prélèvement de l’information : recueillir le maximum d’indices pour minimiser le risque d’erreur, ou recueillir le minimum utile pour que le délai de réponse soit court, il -le conducteur- doit ainsi composer entre une exigence de sécurité et une exigence de rapidité (Neboit, 1980, p220).
C’est sur la base de cette représentation mentale, opérative, fonctionnelle et lacunaire que le conducteur prendra ses décisions. Ainsi, une représentation mentale erronnée peut conduire à des prises de décisions erronnées et donc à l’accident. Ainsi, l’erreur sera interprétable comme un écart entre la représentation développée et la réalité qu’elle est censée représenter (P. Van Elslande, 2002, p14). A titre d’exemple nous nous rapportons à la figure 13, proposée et commentée par Van Elslande (1992).
Après un démarrage au feu, le conducteur A se rapproche de la voiture B située sur la voie de gauche et dont le clignotant gauche est activé. Alors que les 2 véhicules dépassent une file plus lente située à droite, le conducteur B, arrivé à hauteur d’une route sécante, se met à freiner. Surpris le conducteur A le percute à l’arrière. A l’issue de l’accident, le conducteur A déclarera « il avait le cligno comme moi pour doubler la file de voitures… jamais j’aurai pensé que le gars allait tourner ici ».
Comme le démontre cet exemple, Pour Van Elslande (1992), les erreurs de compréhension de la situation peut provenir d’une mauvaise catégorisation de la situation-problème et d’une instanciation connexe de schémas de traitements co-activés par les situations catégorisées (1992, p131). Pour cet exemple l’auteur précise que plusieurs éléments contribuent à favoriser l’erreur d’interprétation. Certains sont liés au conducteur. Bien qu’il ait une forte fréquentation de ce lieu, le conducteur A n’a jamais rencontré de véhicule en bifurcation à cet endroit. Si non il aurait pu le considérer comme un carrefour et pas uniquement comme une voie de dépassement. L’auteur souligne que d’autres éléments sont liés aux indices situationnels : la polysémie du clignotement qui permet deux types d’interpréation (ie : dépassement ou tourne à gauche) et la faible saillance de l’intersection. Enfin, par inférence le conducteur A qui voit le conducteur B agir comme lui (ie : accélaration depuis le feu précédement et émission du clignotant) peut inférer qu’ils poursuivent le même objetctif : dépasser les véhicules plus lents. Ainsi, pour Van Elslande (1992) la catégorisation de la situation par le conducteur A, l’a mené a activer un schéma qui n’a pas pu être remis en cause compte tenue de la faible saillance des informations environnementales (ie : l’intersection à gauche). Le conducteur n’avait donc aucune raison suffisante pour remettre son interprétation de la situation en cause. L’erreur est alors considérée comme une distorsion entre la représentation mentale et le réel (Pierre Van Elslande, 1997). Cet exemple illustre pourquoi l’analyse des représentations mentales des conducteurs est importante en terme de sécurité routière.
Par ailleurs, depuis les années 70-80 les chercheurs en sciences cognitives ont souvent cherché à modéliser l’activité des conducteurs automobiles. Comme le rappelle Bellet (1998) différents types de modèles ont été élaborés : modèle de l’homéostasie du risque, modèle du risque zéro, modèle de l’évitement de menace, modèle hiérarchique du risque. Nous avons choisi de présenter un modèle de simulation cognitive : COSMODRIVE (Bellet, 1998). D’une part, parce que nous verrons qu’il met très bien en évidence l’importance des représentations mentales dans l’activité de conduite. Et d’autre part, parce que nos travaux s’inscrivent dans la lignée des études réalisées au LESCOT pour l’élaboration de ce modèle.