3.1.2.2 Place de la représentation mentale dans l’activité du conducteur automobile : COSMODRIVE

L’architecture cognitive sous-jacente au modèle du conducteur de Bellet (1998) est représentée par la figure 14. Elle est composée de deux types de structures mnésiques. Tout d’abord, la mémoire à long terme qui contient l’ensemble des connaissances et souvenirs acquis par le sujet au cours de sa vie. Comme nous l’avons vu précédemment, ces données stockées en MLT sont des connaissances permanentes (ie : schémas). Ensuite, une mémoire de travail, ou mémoire opérationnelle, où sont construites des structures de données transitoires : les représentations mentales. En outre, le fonctionnement du système cognitif résulte de processus cognitifs (ie : raisonnements, anticipation, prise de décision, planification d’actions et contrôle de l’activité).

Figure 14 : Architecture cognitive élémentaire du système cognitif humain conçu comme un système de traitement de l'information (Bellet 1998)
Figure 14 : Architecture cognitive élémentaire du système cognitif humain conçu comme un système de traitement de l'information (Bellet 1998)

Bellet (1998, p85) souligne que la nature et la complexité de ces traitements sont fonction, d’une part, du type d’activité considérée et, d’autre part, des contraintes inhérentes à la tâche (eg : pression temporelle, risques encourus). Par ailleurs, avant que l’information perceptive de l’environnement soit intégrée en MDT son traitement relève de processus périphériques. En dernier lieu, la figure 13 permet de souligner l’importance des processus de gestion des ressources du système cognitif.

COSMODRIVE est composé de 7 modules (figure 15). Le module perception joue le rôle d’interface entre l’environnement routier et le modèle (Bellet, 1998, p169). Néanmoins, son rôle ne se limite pas à l’intégration des informations perceptives recueillies dans l’environnement. Il intervient également dans les recherches d’informations initiées par les différents processus cognitifs en cours. Le module stratégique, est chargé des processus de planification d’itinéraire et de navigation. Le module tactique a en charge la gestion de la situation courante. Et, le module opérationnel intervient dans la planification des actions de conduite définies par le module tactique. Cependant, lors de la mise en œuvre de procédures automatisées, le module opérationnel est plus autonome et directement en lien avec le module perception. Ensuite, le module exécution permet la réalisation des actions de conduite déterminées précédemment par les modules tactique et opérationnel. Par ailleurs, lorsque la situation de conduite est jugée critique (eg : détection d’un incident) le module gestion d’urgence intervient. Dans ce cas, les modules tactiques et stratégiques sont court-circuités et le module gestion d’urgence assure à leur place le contrôle de l’activité de conduite. Le dernier module de COSMODRIVE gère la répartition des ressources cognitives du modèle, il s’agit du module gestion et contrôle. Conçu afin de simuler l’activité cognitive d’un conducteur, COSMODRIVE est à son image limité par la quantité de ses ressources. Les processus cognitifs envoient des demandes d’allocation de ressources, que le module gestion et contrôle gère en fonction de l’ensemble des demandes. Par ailleurs, il revient également à ce module de gérer le passage entre les différents modes de fonctionnement du modèle. C’est lui qui lors de la détection d’un incident bloquera les modules tactiques et stratégiques en ne leur allouant plus de ressources cognitives, et inversement lorsque la situation aura été rattrapée.

Figure 15 : Architecture générale de COSMODRIVE (d'après Bellet 1998, 2003)
Figure 15 : Architecture générale de COSMODRIVE (d'après Bellet 1998, 2003)

Dans COSMODRIVE, le module auquel nous portons le plus d’attention est le module tactique. En effet, il est considéré par l’auteur comme un générateur de représentations internes de l’environnement routier ; c’est ici que sera élaboré la Représentation Tactique Courante (RTC). Ce module est en charge de simuler les processus d’interprétation de la situation de conduite et de prise de décision en vue d’évoluer dans l’environnement routier. Cela requiert l’élaboration de représentations circonstancielles (ie : modèles mentaux) capables de décrire le contexte situationnel actuel ou futur. Toute l’activité du module tactique est orientée vers l’élaboration et la manipulation de ces représentations internes (Bellet & Tattegrain-Veste, 2003, p86). La Représentation Tactique Courante correspond à ce que nous avons décrit plus haut comme représentation mentale (ie : représentation opérationnelle, image opérative). Appliquée à la conduite, elle est une représentation mentale de la situation routière. Elle constitue un reflet du réel pour le conducteur. Comme nous l’avons dis plus haut, ce reflet n’est pas une copie conforme du réel. Il est plus ou moins déformé, plus ou moins lacunaire, mais toujours finalisé en fonction des objectifs du conducteur. Le module tactique produit également une sorte de représentation mentale : les représentations anticipées (RA). Pour une RTC il existe plusieurs Représentations Anticipées. Elles correspondent aux devenirs possibles de la situation courante, c’est-à-dire, des déclinaisons potentielles de la RTC. L’élaboration de ces différents produits cognitifs repose sur l’implication de différents agents cognitifs. Dans COSMODRIVE, les agents traitent en parallèle l’information et échangent des données par l’intermédiaire de structures transitoires de stockage communes, les tableaux noirs (annexe). En fait, ces agents cognitifs cherchent à simuler les processus cognitifs du conducteur.

Cette brève présentation de cOSMODRIVE permet de constater que le noyau central de l’activité cognitive du conducteur est l’élaboration de la représentation de la situation courante, modèle interne de la situation. Quel est le lien entre cette représentation mentale et la conscience de la situation telle que nous l’avons vu plus haut ?

Premièrement, nous pensons que les représentations mentales telles que nous les avons abordées à travers différents auteurs correspondent aux produits élaborés par le module tactique : la représentation tactique courante et ses représentations anticipées. C'est-à-dire des modèles mentaux du mondes, plus ou moins déformés, mais permettant à l’opérateur d’agir dans l’environnement de manière efficace. Deuxièmement, nous avons vu que la théorie de Conscience de la Situation permet de considérer aisément la construction d’un tel produit cognitif en prenant en compte les limites du système cognitif, ainsi que ses effets positifs tels que les bienfaits de l’expérience d’un opérateur. Par conséquent, nous pensons que la conscience de la situation d’un conducteur automobile doit répondre aux mêmes exigences tout en tenant compte des particularités de l’activité de conduite que nous avons pointées plus haut. En d’autres termes, tout conducteur automobile élaborera une représentation mentale de sa situation courante de conduite, qui correspondra à sa Conscience de la Situation. En revanche, en fonction des exigences de la situation (ie : niveau de pression temporelle, niveau de complexité de la situation, et des capacités du conducteurs : expérience, âge, ressources cognitives disponibles), cette représentation mentale sera plus ou moins adéquate à la situation. Par conséquent, les actions engagées par le conducteur seront plus ou moins pertinentes en regard des caractéristiques de la situation. En outre, les anticipations qu’il fera seront plus ou moins appropriées. Bref, sa conscience de la situation sera plus ou moins bonne.

Arrivant au même constat que nous, plusieurs auteurs ont appliqué le concept de Conscience de la Situation à l’étude des conducteurs automobiles (Gugerty, 1997; Matthews, Bryant, Webb, & Harbluk, 2001; McGowan & Bandury, 2004; Sommer, Rothermel, & Verwey, 2002). Cependant tous ont juste juxtaposé théoriquement le modèle de Endsley à ce qui est connu de l’activité du conducteur. Peu d’études ont, à ce jour, cherché à analyser la conscience de la situation d’un conducteur en tant que le modèle mental qu’il a élaboré de la situation de conduite (Bolstad, 2001, unpublished; Bolstad & Hess, 1995; Bolstad & Hess, 2000; Parkes & Hooijmeijer, 2000; Sommer et al., 2002). Au cours de 3 sous-parties suivantes, nous allons présenter des champs de recherche sur les conducteurs automobiles. Premièrement, nous aborderons le problème du manque de ressources cognitives du conducteur, deuxièmement, la question de l’expérience de conduite, et troisièmement, les effets du vieillissement cognitif sur la conduite automobile. Chacune de ces parties sera bâtie en trois temps. Dans un premier temps nous aborderons la question d’un point de vue général de l’activité cognitive. Dans un second temps, nous présenterons les résultats des recherches, les méthodologies et les principales conclusions, appliquées à la conduite. Enfin, dans un troisième temps, nous envisagerons la question du point de vue la Conscience de la Situation du conducteur, en nous appuyant dès que possible sur des recherches applicatives.