3.2.3 Ressources cognitives du conducteur et Représentation de la Situation

Pour Gibson et al (1997) 86% des problèmes de Conscience de la Situation rencontrés par les pilotes d’avions, sont dus à des problèmes attentionnels (charge de travail trop élevée ou distractions). Comme nous l’avons vu, l’activité d’un pilote d’avion et celle d’un conducteur sont comparables, de ce fait, il est légitime de se demander quel sera l’impact d’un manque de ressources cognitives sur la conscience de la situation, la représentation mentale d’un conducteur. C’est ce que Parkes et Hooijmeijer (2000) ont voulu étudier dans leur étude sur l’influence de l’utilisation du téléphone mobile. Leur expérimentation se déroulait sur simulateur. Les sujets avaient à répondre à deux stimuli apparaissant pendant environ 2 secondes. A l’apparition d’un carré vert devant la voiture, ils devaient faire clignoter les phares du véhicule aussi rapidement que possible, ce stimulus apparaît deux fois dans le circuit. En outre, lorsqu’un carré rouge, représentant un danger, apparaissait les sujets devaient réaliser un freinage d’urgence et stopper le véhicule (une seule fois dans le circuit). Par ailleurs, chacun des trois niveaux de Conscience de la Situation a été mesuré par trois questions posées aux sujets à deux endroits fixes (à 6,5 milles et à 9 milles après le début de la séquence). La simulation s’arrêtait et l’écran devenait blanc. A ce moment là, une voiture était dans le rétroviseur central et trois ou quatre voitures s'approchaient sur la rue opposée. Après avoir posé les questions, la simulation reprenait là où elle s’était arrêtée.

Tableau 3 : Questions sur la Conscience de la Situation du conducteur (traduit de Parkes et Hooijmeijer 2000)
1. Pouvez vous me dire quels véhicules étaient présents avant que j’arrête la simulation ?
2. Pouvez-vous me dire la couleur de la voiture qui était dans votre rétroviseur central ?
3. Est-ce que la voiture dans votre rétroviseur central, roulait plus vite que vous ?

L’étude porte sur 15 sujets (âge moyen 24 ans, expérience de conduite plus de trois ans). Les tests sont effectués dans deux conditions expérimentales différentes : sans conversation téléphonique et avec conversations téléphoniques. Par ailleurs, l’utilisation du simulateur permet de recueillir diverses données telles que la vitesse, la position latérale et le maintien de la trajectoire.

Les résultats de cette étude mettent en évidence une augmentation du temps de réaction pour le premier stimulus vert lorsque les sujets sont en condition de double tâche, par rapport à la situation sans conversation téléphonique. Les temps de réactions pour les deux autres stimuli (2ème signal vert et signal rouge) ne sont pas influencés par la conversation téléphonique. Cependant les auteurs notent que le premier stimulus vert intervient juste après le début d’un appel téléphonique. De ce fait, leur résultat est cohérent avec leur hypothèse selon laquelle un appel téléphonique gênerait plus le conducteur en début de conversation (Parkes, Fairclough, & Ashby, 1993).

Cependant, les résultats les plus importants pour nous portent sur les trois questions posées afin de « mesurer » la Conscience de la Situation des conducteurs (tableau 3). Les différences observées dans le tableau 3, pour le nombre de réponses correctes entre les deux conditions expérimentales sont significatives (Parkes & Hooijmeijer, 2000). Les performances de réponses correctes sont deux fois moins bonnes lorsque les sujets sont en conversation téléphonique.

Les auteurs soulignent que dans la situation « téléphone » beaucoup de sujets avaient une très petite idée de ce qu’il se passait autour d’eux, et qu’ils n’étaient pas capables de rappeler la présence ou les actions des autres usagers. De ce fait, les auteurs concluent que si les autres résultats de leur étude montrent que les conducteurs arrivent très bien à contrôler la vitesse et la trajectoire du véhicule en situation de double tâche, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’intégration des éléments de la situation de conduite.

Tableau 4 : Nombre de réponses correctes (traduit de Parkes et Hooijmeijer 2000)
1er arrêt
  Sans téléphone Avec téléphone
1ere question
(présence véhicule devant)
14 4
2ème question
(couleur du véhicule derrière)
14 6
3ème question
(vitesse du véhicule derrière)
13 6
2ème arrêt
  Sans téléphone Avec téléphone
1ere question
(présence véhicule devant)
12 5
2ème question
(couleur du véhicule derrière)
12 4
3ème question
(vitesse du véhicule derrière)
12 5

Cette étude permet donc de constater que les ressources cognitives monopolisées par la conversation téléphonique font défaut aux conducteurs pour prendre en compte leur environnement de conduite. Les trois questions posées lors de cette expérimentation portent toutes sur des événements de l’environnement (ie : véhicules). Toutefois, nous pouvons nous demander si la diminution des ressources cognitives du conducteur agit de la même manière sur les événements et sur les éléments de signalisation routière. De plus, l’environnement routier simulé est simple : l'itinéraire utilisé dans la simulation a été conçu pour garder l'attention du conducteur sur la route ; une route à une voie dans un environnement de campagne a été employée (Parkes & Hooijmeijer, 2000, p2). Les simulateurs simplifiant déjà les environnements de conduite, au vu de ces résultats, nous pouvons nous demander si dans un environnement complexe (ie : conduite urbaine), l’impact d’une activité parallèle à la conduite sera encore plus important que celui mesuré par cette étude ? Enfin, cette étude porte sur de jeunes conducteurs, (expérience de conduite : environ 3 ans). La diminution des ressources cognitives aurait-elle le même impact sur des conducteurs plus expérimentés ?

Nous allons voir dans la partie suivante en quoi la pratique d’une activité modifie l’activité cognitive de l’opérateur. Nous nous centrerons ensuite sur l’activité de conduite et l’expérience de conduite.