4.5.2.1 Représentation mentale de la situation de conduite

En simple tâche, les trois populations comparées au groupe de référence obtenaient des performances globales moins bonnes que ce dernier. D’une part, ce résultat confirme l’hypothèse initiale selon laquelle les conducteurs jeunes et expérimentés disposent du maximum d’atouts pour élaborer un représentation de la situation adéquate. D’autre part, ce constat atteste également que notre protocole permet de mettre en évidence des difficultés spécifiques à chaque population. OSCAR détient donc un pouvoir de diagnostic (ie : potentiel outil d’évaluation) des capacités et des difficultés des conducteurs.

En ce qui concerne les jeunes conducteurs non expérimentés, nous avons souligné leur difficulté à prendre en compte les éléments de signalisation et les événements aussi efficacement que les conducteurs expérimentés. Cette faiblesse les conduits à élaborer une représentation mentale plus pauvre de la situation ou, pour le moins, ne contenant pas toujours les informations nécessaires pour garantir une conduite adaptée. Nous avons également vu que les novices étaient surtout focalisés sur l’environnement proche du véhicule (ie : zone 1, moins de 15m). Ce résultat corrobore des études plus anciennes (eg Neboit 1981) soulignant la focalisation « loin devant » et par conséquent, l’anticipation des conducteurs expérimentés. La combinaison de ces deux conclusions nous amène à penser que les jeunes conducteurs seront les plus surpris par les données l’environnement. En effet, focalisés sur l’environnement immédiat, et bénéficiant de moins de connaissances pour explorer efficacement l’environnement et en extraire l’information pertinente les conducteurs peu expérimentés s’inscrivent de fait dans un mode de conduite plus « réactif » qu’anticipatif. En conséquence, ils risquent de découvrir les éléments critiques trop tardivement. Ainsi, ils auront moins de temps pour mettre en place les actions de régulation (ie : s’arrêter). Par ailleurs, il bénéficie de moins de connaissances sur « tout ce qu’il peut se produire sur la route », de ce fait, il sera plus facilement déstabilisé par une situation, pour lui inattendue, voire « critique », alors que pour un conducteur expérimenté, elle serait jugée « banale ».

Sur ces aspects, nous pensons qu’OSCAR pourrait dans un premier temps permettre d’identifier les situations qui posent des difficultés à cette catégorie de conducteurs. Et à l’inverse d’identifier des conducteurs pour lesquels certaines situations particulières posent problème. Dans un second temps, il est à envisager qu’un outil basé sur le même principe qu’OSCAR pourrait permettre de sensibiliser et former les conducteurs en cours d’apprentissage à identifier ces situations et à « apprendre » à guider leur prise d’indices dans la scène routière. L’ambition ne serait pas de remplacer des années de pratique, mais (1) de sensibiliser les jeunes conducteurs à l’importance de prélever les « bonnes » informations dans la situation (2) de leur permettre de s’entraîner (hors de la circulation) à la compréhension de situation complexe lorsque l’on manque d’expérience de conduite (3) de prendre en compte l’aspect cognitif de la conduite automobile de la même manière que l’on considère le code de la route et le maniement d’un véhicule.

De la même manière des actions de sensiblisation pourraient être menée auprès des populations, ou des conducteurs, « diagnostiqués » en difficulté pour tel ou tel type de situation. OSCAR a par exemple permis de constater les difficultés rencontrées par les conducteurs âgés. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de conducteurs dont le souci premier est le manque de connaissances sur « la route », ou le manque d’expérience de conduite. En effet, tous les sujets de nos échantillons étaient des conducteurs expérimentés, mais âgés. Les différences que nous avons alors mis en évidence découlent directement du vieillissement cognitif normal. Nous avons vu que toutes les dimensions testées via OSCAR ont été dégradées par le vieillissement. Mais, pour plusieurs dimensions, les conducteurs âgés et les jeunes conducteurs non expérimentés ont des performances très proches. Pouvons-nous alors considérer que les seniors sont plus des conducteurs « à risque » que les jeunes conducteurs ?! Compte tenu de nos résultats expérimentaux, nous pouvons conclure que ces deux populations ont des difficultés de nature différentes, dont les causes ne sont pas identiques. Par conséquent, si pour les jeunes conducteurs de nouveau moyens de formation sont recherchés et mis en œuvre (cf partie 6), pourquoi ne pas suivre la même démarche pour les conducteurs âgés ? A l’heure où il est question de mettre en place des visites médicales pour diagnostiquer les conducteurs âgés « à risque », afin de retirer le permis au plus « dangereux » nous pensons qu’il ne faut pas oublier (1) les capacités acquises par l’expérience (2) les capacités d’adaptation de l’humain ! En outre, comme le prouve, de nombreuses études, par exemple la thèse de Frédérique Obriot-Claudel (Obriot-Claudel & Gabaude, 2003, 2004), actuellement en cours au sein du LESCOT, la tendance des recherches actuelles sur les seniors ne visent plus à les stigmatiser en tant que « mauvais conducteurs », mais à identifier leurs besoins afin de mettre en place des formations continues spécifiques leur permettant de rester sur la route en toute sécurité en fonction de leur capacité individuelle. OSCAR pourrait nous renseigner, au cas par cas, sur les difficultés rencontrées par ces conducteurs. Aussi, la passation d’un grand nombre de sujets pourrait sans doute nous informer précisément sur les situations qui leur posent le plus de difficultés. Et ainsi, de constituer des programmes de formation adéquats pour cette population, adaptable selon les besoins de l’individu. De ce point de vue, comme aurpès des conducteurs non expérimentés, ou comme pour toute autre population de conducteurs spécifique, OSCAR peut permettre de réaliser un diagnostic sur les difficultés d’une population donnée et d’évaluer ainsi potentiellement les besoins en formation de cette population. C’est du moins ce que laissent espérer les résultats que nous avons obtenus dans le cadre l’expérimentation VISA.

Notre protocole permet en effet de discriminer des populations a priori proches (ie : des conducteurs âgés), mais dont les capacités de conduire de façon sécuritaire dont différentes. Les Etudes Détaillées d’Accidents (eg Van Elslande 1992) semblent bien indiquer que la distortion entre la situation réelle et la représentation mentale qu’en élabore le conducteur est à l’origine de certains accidents. Cependant, aucun outil de mesure ne permet de le démontrer expérimentalement 4 . OSCAR pour sa part a permis de mettre en évidence des différences précises entre les deux populations de conducteurs âgés. En effet, les conducteurs âgés multi-accidentés sont les sujets qui ont rencontré le plus de difficulté face à OSCAR (partie 4.4.3). Leurs performances sont les plus basses, notamment en ce qui concerne les éléments de signalisations. Par conséquent, le lien entre la qualité de la représentation mentale de la situation et le risque d’accident ne peut être nié. Pour des raisons de confidentialité, nous n’avons pas eu accès aux registres d’accidents des sujets, néanmoins il aurait été intéressant de connaître les circonstances dans lesquelles ils ont eut leurs accidents : mettent-elles en jeu des erreurs conséquentes à la non prise en compte d’éléments de signalisation par le conducteur âgé ? Nous nous interrogeons également sur les performances que de jeunes conducteurs expérimentés mais multi-accidentés obtiendraient à OSCAR. Retrouverions nous le même pattern de données ? En outre, comme nous l’avons souligné plus haut, à partir des performances qu’un sujet obtient à OSCAR, il est envisageable d’évaluer ses propres difficultés et donc de développer un programme personnalisé de formation spécifique à ses besoins. L’utilisation de cet outil pourrait donc être envisagé non plus en aval (ie : pour analyser les caractéristiques d’une population à risque), mais en amont. Sous cet angle, l’intervention viserait à réduire les difficultés d’un conducteur afin d’éviter qu’il n’entre dans une catégorie de « conducteurs à risque ».

En outre, l’introduction d’une double tâche a également permis de constater que l’évaluation établie en simple tâche est également possible via OSCAR pour identifier les difficultés spécifiques des sujets alors qu’une partie de leurs ressources cognitives est monopolisée par une activité parallèle. Nous avons choisi d’utiliser le calcul mental car cette tâche est facilement contrôlable et ce à plusieurs niveaux : (1) la difficulté des opérations (2) l’exactitude des réponses fournies (3) la synchronisation avec la tâche principale. En effet, les opérations étaient annoncées par l’expérimentateur, ce qui nous a permis d’intervenir exactement lorsque nous le souhaitions : quelques instants avant la fin de la séquence vidéo. En outre, le jeu de questions/réponses ainsi instauré entre l’expérimentateur et le sujet devenait assez proche d’une situation de conduite où le conducteur gère une seconde activité en fonction de sa conduite. En d’autres termes, bien que nous ayons essayé de capter l’attention des sujets à des moments clefs des séquences, ces derniers avaient toujours le choix de ne pas nous répondre. De ce fait, les résultats que nous obtenons en double tâche sont encore plus écologiques que si nous les avions contraint et forcé de répondre par exemple en des temps limité. On notera toutesfois qu’à des fin de sensibilisation (eg : téléphoner en conduisant) il pourrait être avantageux de proposer des tâches parallèles plus écologiques.

Notes
4.

La thèse de Arnaud Koustanaï (INRETS-MA) récemment achevée porte sur cette question.