1-2-2 Voisinage orthographique : faits expérimentaux

Les expériences publiées relatives à l’effet du voisinage orthographique appuient généralement l’hypothèse selon laquelle le voisinage d’un mot influence l’accès au lexique ; les données qu’elles rapportent forment néanmoins un ensemble complexe, dépendant essentiellement des tâches expérimentales, des indices de voisinage utilisés et de la langue considérée. Pour autant, les résultats obtenus dans les tâches de lecture habituelles peuvent être résumés comme suit.

De manière générale, les résultats obtenus dans la tâche d’identification perceptive 2 montrent un effet inhibiteur de la taille et de la fréquence du voisinage en français (Bozon & Carbonel, 1996 ; Ferrand & Grainger, 2001 ; Grainger & Segui, 1990 ; Grainger & Jacobs, 1996 ; Ziegler, Rey & Jacobs, 1998), en espagnol (Carreiras, Perea & Grainger, 1997) et, en anglais (Snodgrass & Mintzer, 1993 ; mais voir Sears, Hino & Lupker, 1995 pour des effets facilitateurs ou nuls). Ainsi, les mots ayant au moins un voisin de plus haute fréquence et/ou possédant de nombreux voisins entraînent des pourcentages d’identification moins élevés que les mots n’ayant pas de voisins plus fréquents et/ou très peu de voisins. Cependant bien qu’un effet inhibiteur soit manifeste dans la tâche d’identification perceptive, l’effet du voisinage sur les mots est plus controversé dans la tâche de décision lexicale où le sujet doit décider le plus rapidement et le plus correctement possible si la suite de lettres présentée sur un écran d’ordinateur correspond ou non à un mot de sa langue. L’effet de fréquence du voisinage est généralement inhibiteur en français (Bozon & Carbonel, 1996 ; Ferrand & Grainger, 2001 ; Grainger, O’Regan, Jacobs & Segui, 1989 ; Grainger & Segui, 1990 ; Grainger, O’Regan, Jacobs & Segui, 1992 ; Grainger & Jacobs, 1996), en espagnol (Carreiras et al., 1997) et, en anglais (Paap & Johansen, 1994 ; Perea & Pollatsek, 1998 ; mais voir Forster & Shen, 1996, pour des effets facilitateurs ou nuls). En revanche, l’effet de la taille du voisinage est plutôt facilitateur en français (Bozon & Carbonel, 1996 ; Grainger & Jacobs, 1996) et en anglais (Andrews, 1989 ; 1992 ; Forster & Shen, 1996 ; Sears et al., 1995 ; Ziegler & Perry, 1998) ; bien que certains auteurs aient obtenu des effets nuls (Carreiras et al., 1997 ; Coltheart et al., 1977 ; Ferrand & Grainger, 2001 ; Grainger et al., 1989 ; Paap et al., 1994).

En bref, dans la tâche d’identification perceptive, les effets de fréquence et de densité du voisinage sont inhibiteurs ; des effets facilitateurs et inhibiteurs, respectivement exercés par la densité et la fréquence du voisinage sont observés dans la tâche de décision lexicale. Les études portant sur les mouvements oculaires produits au cours de la lecture, fournissant des mesures complémentaires de celles des temps de réaction et des erreurs sont compatibles dans l’ensemble avec l’hypothèse de l’influence inhibitrice du voisinage orthographique lors d’un processus « naturel » d’identification (Grainger et al., 1989 ; Perea & Pollatsek, 1998 ; Pollatsek, Perea & Binder, 1999).

Les effets de voisinage orthographique témoignent de l’intervention des mots voisins au cours de la reconnaissance des mots écrits. La nature facilitatrice ou inhibitrice des effets du voisinage orthographique a des implications théoriques importantes pour les modèles de la lecture.

Notes
2.

La tâche d’identification perceptive consiste à présenter très brièvement un mot de manière à ce que toute l’information visuelle soit disponible mais seulement pendant quelques fractions de secondes ne permettant pas généralement l’identification complète du stimulus. La tâche du sujet est d’identifier le mot. Des variantes de cette tâche sont utilisées pour dégrader le mot comme le démasquage progressif ou la présentation fragmentée.