1-3-2 Le modèle à activation interactive (AI)

Selon le modèle AI développé initialement par McClelland et Rumelhart (1981, voir aussi Rumelhart & McClelland, 1982), le processus de reconnaissance d’un mot écrit implique trois niveaux de traitement, opérant entièrement en parallèle : les « traits visuels distinctifs » (e.g., lignes horizontales, verticales et diagonales), les « lettres » et les « mots ». Les lettres sont codées en fonction de leurs positions à l’intérieur du mot et traitées simultanément. Les différentes unités sont interconnectées à l’intérieur d’un même niveau et à travers les niveaux adjacents. Les connexions sont excitatrices entre deux unités compatibles (par exemple, la lettre « t » en première position et les mots « TAKE » et « TIME ») et inhibitrices entre deux unités incompatibles (par exemple, les mots « TAKE » et « TIME »). Les connexions entre les unités lexicales sont inhibitrices. Plus précisément, au niveau des mots, il existerait un mécanisme d’inhibition lexicale qui entraînerait une inhibition mutuelle de tous les candidats lexicaux actifs afin de permettre la reconnaissance du mot cible, ce qui introduit la notion de compétition entre les différentes unités mots. La représentation qui excède la première son seuil d’activation sera identifiée comme la cible. La compétition entre les mots retarde par conséquent l’identification et un effet inhibiteur du voisinage émerge.

Selon ce modèle, la perception d’un mot est influencée non seulement par les informations de bas niveau (niveau des lettres) mais aussi par les informations de plus haut niveau (niveau des mots). Lorsqu’un stimulus est présenté, les caractéristiques des lettres détectées activent simultanément les unités des lettres qui les contiennent et inhibent les autres unités de lettres. De même, les lettres activées activent les unités des mots qui les contiennent et inhibent les autres unités lexicales. En retour, les mots activés activent les lettres dont ils sont composés et inhibent les autres lettres, il s’agit de la réverbération. Le niveau d’activation d’un mot est ainsi déterminé par l’excitation en provenance des lettres, par l’inhibition latérale entre les mots ainsi que par sa fréquence d’usage ; un mot s’active d’autant plus que sa fréquence d’usage est élevée. La force de l’inhibition latérale est proportionnelle au niveau d’activation du mot : plus une représentation lexicale est activée plus sa force inhibitrice est grande. Ce jeu des activations et inhibitions se poursuit jusqu’à ce que l’unité lexicale la plus activée atteigne le seuil critique d’activation : le mot est alors reconnu. C’est donc le produit final de deux phénomènes antagonistes, l’activation et l’inhibition, qui détermine la vitesse de reconnaissance d’un mot.

Les données expérimentales montrant un effet du voisinage orthographique sont globalement en accord avec les modèles de la reconnaissance des mots qui postulent l’activation d’un ensemble de candidats lexicaux formellement proches du stimulus mot. Toutefois, au-delà du consensus actuel concernant l’influence des voisins orthographiques sur la reconnaissance des mots, les mécanismes en jeu restent à préciser. Les modèles de lecture acceptent généralement l’hypothèse selon laquelle les tâches expérimentales qui nécessitent l’accès à une représentation lexicale unique mettent en œuvre un processus commun d’identification lexicale (e.g., Jacobs & Grainger, 1992 ; Grainger & Jacobs, 1996). Cependant, des processus non lexicaux spécifiques aux tâches utilisées sont également susceptibles d’intervenir lors du traitement d’un stimulus.

Nous allons examiner dans quelle mesure les modèles AV et AI décrits plus haut, ainsi que leurs extensions plus récentes (Paap & Johansen, 1994 ; Grainger & Jacobs, 1996), prennent en compte les processus spécifiques aux tâches expérimentales. Les effets de fréquence et de densité du voisinage obtenus dans les tâches de reconnaissance des mots seront discutés en référence à ces deux grands cadres théoriques.