1-3-3 Stratégies de lecture et décision lexicale

Les modèles décrits ci-dessus sont globalement compatibles avec l’effet inhibiteur de la fréquence du voisinage observé dans les tâches de décision lexicale et d’identification perceptive et, en particulier avec l’effet inhibiteur du nombre de voisins des pseudomots dans la tâche de décision lexicale. Dans le modèle AV (Paap et al., 1982), seuls les voisins plus fréquents d’un stimulus mot contribuent à retarder sa reconnaissance. Dans le modèle AI (McClelland & Rumelhart, 1981), l’intervention d’un mécanisme d’inhibition lexicale lors du processus d’identification d’un stimulus mot permet de rendre compte de l’effet inhibiteur du voisinage orthographique. Par ailleurs, le modèle AV prévoit que les pseudomots activent des représentations lexicales selon un mécanisme similaire à celui des mots. D’après Coltheart et al., (1977), déterminer qu’un stimulus n’est pas un mot revient à établir qu’il est absent du lexique. Cette décision peut être obtenue après vérification de toutes les entrées lexicales sélectionnées. Ainsi, tout voisin orthographique activé, quelle que soit sa fréquence, doit être vérifié et rejeté, ce qui retarde d’autant plus le rejet du pseudomot qu’il possède de mots voisins. Dans le modèle AI, les résultats obtenus pour les pseudomots, dans la tâche de décision lexicale sont généralement attribués à l’activité globale du lexique (niveau mots). Plus un pseudomot produit d’activation dans le lexique, plus il est difficile à rejeter.

Cependant, il est beaucoup plus difficile de réconcilier les modèles AV et AI avec l’effet facilitateur de la densité du voisinage sur la décision lexicale des mots (e.g., Andrews, 1989 ; 1992). Une modification apportée au modèle AV par Paap et Johansen (1994) et au modèle AI par Grainger et Jacobs (1996) consiste à attribuer l’effet facilitateur de la densité du voisinage à un processus propre à la tâche. Ces auteurs postulent que la réponse de décision lexicale est donnée soit sur la base du traitement de vérification lexicale « profond », soit lorsque l’activation produite dans le lexique atteint un seuil critique. Ainsi, en décision lexicale, les participants pourraient ne pas effectuer un traitement complet des stimuli et répondre prématurément sur la base de l’activité globale du lexique, dans ce cas un effet facilitateur de la densité du voisinage émerge. En revanche, dans d’autres circonstances (non précisées par ces auteurs), lorsque les participants effectuent un traitement plus profond des stimuli, un effet inhibiteur de la fréquence du voisinage se produit.

En résumé, la définition traditionnelle du voisinage orthographique prend en compte uniquement les mots voisins qui possèdent exactement le même nombre de lettres que le stimulus. Cette définition est compatible avec les modèles d’accès au lexique privilégiant l’existence d’un processus analytique où les mots sont reconnus sur la base des unités sous-lexicales, les lettres. Selon un postulat commun à ces modèles, la longueur du mot est codée et toutes les lettres d’un mot le sont en fonction de leur position respective à l’intérieur du mot. La représentation du mot cible requièrt alors d’être sélectionnée parmi l’ensemble des candidats lexicaux activés. Deux grandes conceptions théoriques du processus de sélection lexicale sont envisagées. (1) En accord avec l’hypothèse d’inhibition lexicale, les modèles AI supposent que les mot voisins entrent en compétition pour la reconnaissance du mot cible, c’est à dire qu’ils s’inhibent mutuellement. La compétition entre les mots retarde par conséquent l’identification du mot cible et un effet inhibiteur du voisinage émerge (McClelland & Rumelhart, 1981, voir aussi Grainger & Jacobs, 1996 ; Jacobs & Grainger, 1992). (2) Selon le mécanisme de vérification sérielle des modèles AV, les candidats lexicaux sont vérifiés un par un par ordre décroissant de fréquence d’usage des mots. Seuls les candidats lexicaux plus fréquents seraient susceptibles d’interférer avec la reconnaissance du mot cible (Paap et al., 1982). Des extensions récentes des modèles AV et AI ont été élaborées afin de rendre compte des effets spécifiques liés à la tâche de décision lexicale.

Dans l’ensemble, l’hypothèse d’inhibition lexicale semble fournir la meilleure explication des effets de voisinage orthographique lors de la reconnaissance des mots écrits.