2-1-3 Robustesse du phénomène

L’EPR qui tire son origine des études portant sur les mouvements oculaires a donné lieu à un grand nombre de travaux dans le domaine de la reconnaissance visuelle des mots au cours de cette dernière décennie. Ces études ont indiscutablement reproduit un EPR dans les mots à travers différentes tâches de lecture (dénomination, identification perceptive, décision lexicale, comparaison de mots, etc), utilisant différentes variables dépendantes (latences, précisions des réponses, comportements oculaires), pour des mots de différentes longueurs, de différentes fréquences et dans plusieurs langues: français (Aghababian & Nazir, 2000 ; Brysbaert, Vitu & Schroyens, 1996 ; Montant, Nazir & Poncet, 1998 ; Nazir & Montant, 1996; Nazir, 1993 ; Nazir, Jacobs & O’Regan, 1998; Nazir, O’Regan & Jacobs, 1991, 0’Regan, 1981 ; O’Regan et al., 1984; Pynte, 1996 ; Stevens & Grainger, 2003 ; Vitu, 1991 ; Vitu et al., 1990 ) allemand (Nazir, Heller & Sussman, 1992 ; Radach & Kempe, 1993), anglais (McConkie, Kerr, Redix, & Zola, 1988 ; McConkie et al., 1989 ; Zola, 1984), hollandais (Brysbaert & d’Ydewalle, 1988 ; Brysbaert & Meyers, 1993; Brysbaert, 1994; Brysbaert et al., 1996), arabe (Farid & Grainger, 1996), hébreu (Deutsch & Rayner, 1999) et, japonais (Kajii & Osaka, 2000).

L’EPR compte parmi les facteurs les plus robustes de la reconnaissance visuelle des mots, du moins dans les systèmes d’écritures alphabétiques. Il reste néanmoins un challenge pour les modèles actuels de la lecture qui ne considèrent pas l’influence de la variation de la position du regard dans le mot (cf. O'Regan & Jacobs, 1992).

L’interprétation communément admise de l’EPR tire son origine des propriétés du système visuel. En raison de la diminution de la concentration des cônes au niveau de la rétine, l’acuité visuelle chute de manière dramatique au sein même de la fovéa 6 . L’acuité est maximale à la fixation et diminue linéairement avec l’augmentation de la distance séparant l’objet du centre de la fixation de l’œil (Levi, Klein, Aitsebaomo, 1985; Olzak & Thomas, 1986; Weymouth, Hines, Acres, Raaf & Wheeler, 1928). La signification pratique de ce fait est qu’un objet est d’autant mieux perçu qu’il est proche du point de fixation de l’œil. Ainsi, la probabilité d’identifier une lettre individuelle placée directement sous la fixation est égale à 1 et diminue de manière linéaire à mesure qu’on s’éloigne de la fixation (Taylor & Brown, 1979, voir aussi Bouma, 1970 ; Townsend, Taylor & Brown, 1971). Toutefois, l’hypothèse simple en terme d’acuité visuelle « pure » prédit une courbe de l’EPR dans le mot parfaitement symétrique avec une position optimale au centre du mot où un maximum de lettres serait alors visibles(voir McConkie et al., 1989).

Au-delà du consensus actuel concernant le rôle majeur des limitations de l’acuité visuelle, l’origine de l’asymétrie de la fonction de l’EPR reste encore une énigme. Différentes théories ont été proposées pour rendre compte du phénomène de l’EPR dans les mots, chacune proposant un facteur critique qui, combiné aux effets de l’acuité visuelle explique l’asymétrie de l’EPR.

Notes
6.

La fovéa est définit comme les 2-3 degrés d’angle visuel autour du point de fixation (1 degré de champ visuel équivaut à une distance de 1 cm vue à 57 cm de distance).