Étant donné que les mots sont lus de gauche à droite dans les langues alphabétiques romanes, l’attention serait davantage portée vers la droite que vers la gauche de la fixation. Certains auteurs ont par conséquent suggéré que l’asymétrie de l’EPR serait liée aux habitudes de lecture et notamment à la direction de lecture, laquelle contraindrait notre manière de percevoir les lettres et les mots (e.g., Kirsner & Schwartz, 1986 ; Nazir, 2000). Ainsi, il a été montré que la taille de l’empan perceptif (i.e., la région à partir de laquelle on extrait l’information visuelle « utile » lors d’une seule fixation) diffère selon le sens de la lecture des mots. L’empan perceptif est plus large à droite qu’à gauche de la fixation chez les lecteurs anglais, tandis qu’il est plus large à gauche qu’à droite de la fixation chez les lecteurs hébreux (Pollatsek, Bolozky, Well & Rayner, 1981 ; Rayner & Pollatsek, 1989).
Selon une conception originale proposée par Nazir (2000 ; 2003 ; Nazir et al., 1998), l’apprentissage perceptif, lié aux habitudes de lecture serait à l’origine de l’asymétrie de la courbe de l’EPR dans les mots. Comme nous l’avons vu plus haut, les yeux des lecteurs, en condition de lecture « naturelle » tendent à se poser le plus souvent à gauche du centre des mots et la probabilité avec laquelle le regard se pose ailleurs dans les mots décroît avec l’éloignement de cette position préférée (Dunn-Rankin, 1978 ; McConkie et al., 1988 ; Rayner, 1979 ; Vitu et al., 1990) 7 . Plus précisément, la corrélation observée entre le patron de mouvements des yeux en lecture et les courbes de reconnaissance du mot en fonction de la position du regard a conduit ces auteurs (Nazir et al., 1998 ; 2000 ; 2003) à formuler l’idée d’un apprentissage perceptif au cours de la lecture. L’asymétrie de la fonction de l’EPR est ainsi expliquée comme résultant de la fréquence avec laquelle les mots sont vus dans une région particulière du champ visuel.
Dans l’objectif de tester l’hypothèse liée aux habitudes de lecture, Farid et Grainger (1996) ont montré à l’issue d’une étude trans-linguistique menée auprès de locuteurs francophones et arabophones, que les lecteurs français présentaient une asymétrie de la fonction de l’EPR classique avec une position optimale à gauche du centre des mots ; en revanche, chez les lecteurs de la langue arabe, la fonction de l’EPR est davantage symétrique avec un maximum au centre des mots, suggérant que la direction de lecture influence la forme de la courbe de l’EPR mais n’explique néanmoins pas la totalité du phénomène de l’EPR (voir aussi Deutsch & Rayner, 1999 pour des résultats similaires en hébreu).
La distribution des sites d’atterrissage au cours de la lecture « normale » serait le résultat de facteurs de bas niveau de type visuo-oculomoteur (Nazir et al., 1998 ; voir Ducrot & Pynte, 2002 pour une proposition similaire).