3-1-2 Contrainte lexicale et position du regard dans le mot

Étant donné la différence de structure orthographique véhiculée par les deux parties d’un mot, certains chercheurs ont suggéré que la reconnaissance d’un mot serait facilitée lorsque le regard se pose sur la partie informative du mot car celle-ci bénéficie alors d’une meilleure acuité visuelle et permet ainsi de mieux distinguer le mot donné des représentations lexicales voisines (e.g., Brysbaert et al., 1996 ; O’Regan, 1981 ; O’Regan et al., 1984 ; Pynte, 1996, voir la Figure 3 pour une illustration).

Figure 3. Illustration de la contrainte lexicale. Les quatre premières lettres « TABL* » du mot « table » sont plus contraignantes que les quatre dernières lettres « *ABLE », lesquelles sont présentes dans plusieurs mots.

La première étude ayant manipulé la contrainte lexicale et la position du regard dans le mot a été réalisée par l’équipe d’O’Regan et collaborateurs (1984). Ces auteurs ont sélectionné sur la base d’un comptage des entrées lexicales à partir de dictionnaires, des mots français « à début informatif » et « à fin informative ». Par exemple le mot à début informatif « COCCINELLE » constitue le seul mot de 10 lettres qui commence par les six premières lettres « COCCIN » ; tandis que le mot à fin informative « ARCHITECTE » est le seul mot de 10 lettres qui se termine par les six dernières lettres « ITECTE ». Les résultats de cette étude sont présentés dans la Figure 4. Comme on peut le voir sur la figure, les mots à début informatif ont donné lieu à des temps de fixation plus courts, lorsqu’ils étaient fixés sur la première moitié des mots en comparaison avec les fixations sur la seconde moitié des mots. Toutefois, bien que les durées de fixation dans les mots à fin informative sont inférieures à celles observées pour les mots à début informatif lorsque l’œil se pose sur la fin des mots, la tendance ne s’inverse pas complètement. Les temps de fixation enregistrés pour les mots à fin informative se sont avérés similaires pour les fixations sur le début ou sur la fin des mots (O’Regan et al., 1984, Expérience 3 ; voir aussi Pynte, Kennedy & Murray, 1991 et Pynte, 1996, pour des résultats similaires).

Figure 4. Durée totale de fixation des mots à début informatif et des mots à fin informative en fonction de la position des yeux dans les mots (début vs fin) lors d’une tâche de jugement de relation sémantique (le sujet doit décider si deux mots sont liés sémantiquement comme par exemple « fraise-framboise », d’après O’Regan et al., 1984, Expérience 3).

Des résultats similaires ont été observés plus récemment,dans une étude en hollandais par Brysbaert et collaborateurs (1996). Ces auteurs ont estimé l’informativité de mots de 5 lettres dans une tâche de complétion de mots.Les mots à début informatif étaient hautement prédictibles à partir des trois premières lettres ; à l’inverse, les mots à fin informative étaient hautement prédictibles à partir des trois dernières lettres. Ils ont montré que les mots à début informatif étaient mieux identifiés lorsque les yeux fixaient le début des mots comparativement aux fixations sur la fin des mots. Cependant, bien que les mots à fin informative tendaient à donner lieu à de meilleures performances d’identifications que les mots à début informatif lorsque les yeux fixaient la fin des mots, la courbe de l’EPR des mots à fin informative ne présente pas une asymétrie inversée (voir la Figure 5).

Figure 5. Pourcentages de réponses correctes des mots à début informatif et à fin informative en fonction de la position du regard dans le mot (fixation sur la 1° lettre, 3° lettre ou 5°lettre, d’après Brysbaert et al., 1996, Expérience 3).