3-4 Un modèle mathématique « visuel » (Nazir et al, 1991 ; 1998)

3-4-1 Probabilité de reconnaissance d’un mot

Afin de rendre compte de l’influence de l’asymétrie de la lisibilité des lettres sur la reconnaissance des mots, Nazir et collaborateurs (Nazir, et al., 1991 ; 1998) ont développé un modèle mathématique probabiliste basé sur des mesures empiriques de lisibilité des lettres (cf paragraphe 3-3, voir aussi McConkie et al., 1989 pour une proposition similaire). Ce modèle repose sur trois hypothèses. 1) La contribution d’une lettre à la reconnaissance d’un mot est proportionnelle à sa lisibilité. 2) Les lettres d’un mot sont reconnues indépendamment les unes des autres. 3) La probabilité de reconnaître un mot est fonction de la probabilité d’identifier toutes ses lettres. La probabilité de reconnaître un mot en fonction de sa longueur, et de la lettre fixée peut être estimée par l’équation (1) suivante:

P word (f, a, l, bl, br) est la probabilité de reconnaître un mot en fonction de f, la position relative de la lettre fixée dans la séquence, a, la probabilité d’identifier la lettre directement fixée, bl et br, les taux de diminution de lisibilité des lettres en fonction de l’excentricité à gauche et à droite de la fixation respectivement et l, la longueur du mot (Nazir et al., 1998). La Table 1 présente la probabilité de reconnaître une séquence de 5 lettres, pour un taux de diminution à droite br arbitrairement fixé à .06.

Table 1. Probabilité théorique de reconnaître une séquence de 5 lettres en fonction de la position du regard dans la séquence (représentée ici par la position de la lettre fixée). La probabilité de reconnaître la lettre directement fixée est égale à 1. Cette probabilité diminue linéairement d’une valeur arbitraire constante de .06 pour chaque lettre à droite de la lettre fixée et de .06*1.8=.11 à gauche. La probabilité de reconnaître la séquence entière pour une position du regard donnée est obtenue en multipliant les probabilités des lettres individuelles (dernière colonne, d’après Nazir et al., 1991).

La probabilité d’identifier la lettre directement fixée (a) prend la valeur de 1. Considérant la diminution linéaire de la lisibilité des lettres avec l’excentricité, la probabilité d’identifier les lettres chute d’une valeur constante à mesure que l’on s’écarte à droite (br) ou à gauche (bl) de la lettre fixée. Toutefois, le ratio de l’asymétrie bl/br a été estimé à 1.8 (cf paragraphe précédent, Nazir et al., 1991), autrement dit bl = br * 1,8. La probabilité de reconnaître la séquence entière pour une position du regard donnée est obtenue en multipliant les probabilités d’identification des lettres individuelles constitutives. Par exemple, la probabilité de reconnaître la séquence entière lorsque la 3ème lettre est fixée est égale à 0.78 * 0.89 * 1 * 0.94 * 0.88 = 0.57. La dernière colonne de la Table 1donne la probabilité de reconnaître une séquence de 5 lettres en fonction de la lettre fixée (présentée dans la Figure 10).

Figure 10. Probabilité théorique (trait plein) et empirique (trait pointillé) de reconnaître un mot de 5 lettres en fonction de la position du regard dans le mot. La courbe empirique représente les données obtenues pour des mots de 5 lettres dans une tâche de décision lexicale (d’après Nazir et al., 1991).

Comme on peut le voir sur la Figure 10, la forme de la courbe de l’EPR prédite par le modèle de « multiplication des probabilités des lettres individuelles » (MPLI par la suite) est fortement similaire à la forme de la courbe de l’EPR obtenue empiriquement (Nazir et al., 1991). La probabilité la plus grande de reconnaître un mot est obtenue lorsque le regard se pose légèrement à la gauche du centre du mot et décroît progressivement à mesure que les yeux s’éloignent de cette position optimale.

Néanmoins, en dépit du fait que ce modèle rend compte de l’asymétrie de l’EPR dans les mots par l’asymétrie de la lisibilité des lettres dans les deux champs visuels, le MPLI rencontre plusieurs difficultés qui résident essentiellement dans l’absence de la prise en considération de l’influence des facteurs lexicaux sur la reconnaissance des mots.