3-4-2 Limites du modèle MPLI

La principale limite du modèle MPLI concerne l’ajustement de la hauteur et de la forme de la courbe théorique à la courbe obtenue empiriquement. Bien que la forme des courbes théorique et empirique de la fonction de l’EPR soit fortement similaire (cf Figure 10), la courbe calculée selon le MPLI se trouve largement en dessous de la courbe empirique. Compte tenu du fait que les estimations théoriques étaient entièrement basées sur des mesures empiriques de lisibilité des lettres, la différence de hauteur constatée entre les deux courbes a été interprétée comme la conséquence de l’intervention de ‘«’ ‘ facteurs lexicaux ’ ‘»’ (Nazir et al., 1991). Plus précisément, Nazir et al. (1991, p.173) ont suggéré que le taux de diminution br/bl ne serait pas transposable directement aux mesures de reconnaissance des mots empiriques, pour lesquelles les « conditions visuelles sont favorables » (ces « conditions » n’ont pas été précisées par ces auteurs) ; la diminution de lisibilité des lettres serait ainsi moins « importante » lors de la reconnaissance des mots.

Dans le MPLI, la probabilité de reconnaître la lettre directement fixée ( a = 1) et le ratio de l’asymétrie ( bl/br = 1.8) sont des paramètres fixes ; le taux de diminution à droite ( br ) constitue par conséquent le seul paramètre libre du modèle permettant d’ajuster la courbe théorique aux données empiriques. La Figure 11 présente différentes courbes théoriques calculées pour différentes valeurs de br .

Figure 11. Probabilités théoriques d’identifier un mot de 5 lettres en fonction de la position du regard dans le mot pour différentes valeurs du taux de diminution de lisibilité des lettres br (le rapport d’asymétrie gauche/droite est maintenu constant à 1.8/1). Plus le taux de diminution (br) diminue, plus la courbe est élevée (augmentation de la hauteur). La courbe en ligne pleine représente les données empiriques (Nazir et al., 1991).

En conservant le rapport de l’asymétrie gauche/droite à 1.8/1 mais en diminuant théoriquement la chute de lisibilité des lettres (via le paramètre br), la courbe théorique « gagne » en hauteur. Afin d’obtenir la courbe théorique qui ajuste le mieux les données empiriques, on peut calculer la « somme des carrés des erreurs » ou RMSD (« Root mean square deviation », voir par exemple Nazir et al., 1998 pour l’utilisation de cette même procédure et l’annexe 1) ; plus cette somme est petite, meilleur est l’ajustement. Une valeur minimale du RMSD a été obtenue pour br = .024 (RMSD = .05).

Toutefois, comme l’indique la Figure 11, à mesure que la courbe théorique approche la hauteur de la courbe empirique, la forme de la courbe ainsi prédite par le modèle MPLI « s’aplatit » (i.e., l’EPR est moins prononcé) et ne correspond plus alors à la forme de la courbe obtenue empiriquement, laquelle est par ailleurs mieux prédite pour br = .06.

En résumé, la prise en considération de la variation de la lisibilité des lettres en fonction de la position du regard a permis de montrer que l’EPR dans le mot ne peut se réduire à la seule contribution des facteurs liés à la contrainte lexicale des mots mais tirerait son origine de la combinaison de plusieurs facteurs. Un premier pas vers la quantification des effets intra-lexicaux de la contrainte lexicale et de la lisibilité des lettres sur la reconnaissance visuelle des mots a été réalisé grâce au développement de modèles dits « visuo-lexicaux ».

Outre le fait que ces modèles postulent tous l’existence d’une interaction entre les facteurs visuels et les facteurs lexicaux, l’entremise entre les deux diffère selon les auteurs (Clark & O’Regan, 1999 ; Kajii, 2000 ; Kajii & Osaka, 2000 ; Stevens & Grainger, 2003).