Première partie. Des origines de l’urbanisation à la conquête birmane

I. Apparition de la ville en Birmanie centrale : la « cité-état » Pyu

Introduction

L’agriculture et ses méthodes ont, en grande partie, guidé le développement urbain en Birmanie centrale. C’est pourtant dans la zone sèche que la population pyu s’est implantée, dans cette région subdésertique où la culture du riz ne peut se passer de système d’irrigation, phénomène qui a en quelque sorte modelé la ville pyu tant par le besoin d’aménagements hydrauliques (réservoirs et canaux) que par l’étendue des terrains nécessaires pour cultiver. Les murailles de la ville encerclent toujours une vaste surface rendue cultivable, et l’eau, pour des besoins agricoles, fait partie intégrante du réseau urbain des établissements de cette époque. La particularité d’inclure les terroirs agraires à l’intérieur de l’espace fortifié restera une caractéristique constante à travers toute l’histoire urbaine de cette population. L’intérieur de la ville, délimité par le tracé du rempart, s’organise toujours de manière hiérarchisé : au-delà de l’aire agricole se trouve le quartier résidentiel, qui occupe souvent la place centrale, réservé aux dirigeants et aux hommes de pouvoir ; on rencontre également des espaces religieux qui prennent forme, notamment avec l’adoption du bouddhisme ; enfin des espaces à vocation funéraire, par exemple à Sri Ksetra où des terrasses funéraires sont aménagées hors les murs mais à proximité immédiate des remparts. À Halin, des jarres contenants des ossements humains ont été retrouvées près des bâtiments de brique édifiés à l’intérieur de la vieille ville.

L’urbanisme pyu et l’occupation du territoire, reflètent également le système politique mis en œuvre à cette époque, système que l’on peut qualifier de “cité-état” 1 dans la mesure où chaque unité urbaine semble avoir contrôlé un territoire peu étendu, territoire qui se limitait probablement à la ville elle-même et sa périphérie immédiate, au terroir qui en dépendait directement. On connaît ce système dans de nombreuses régions d’Asie, à des moments similaires, qui marquent le passage de l’âge du fer ou du bronze au début des périodes historiques. C’est par exemple le cas en Chine, à l’époque de la dynastie de Printemps et d’Automne (771-481 avant JC) 2 , période qui naquit de l’éclatement des monarchies de l’âge des métaux et qui précéda celle des “Royaumes combattants”. C’est également le cas en Thaïlande et dans le nord du Laos où les Müang sont aujourd’hui considérés comme relevant d’une organisation politique en “cité-état” 3 .

Le terme de “cité-état” renvoie à des critères sélectifs qui ont été définis, entre autres, par M.H. Hansen 4 , mais les nombreuses et diverses caractéristiques qu’il donne à ce sujet ne peuvent, en aucun cas, s’appliquer à un seul et même exemple. Parmi les éléments majeurs qui permettent de distinguer ces “cité-états”, on retiendra, pour l’étude de la civilisation pyu, certains critères qui nous paraissent essentiels. Tout d’abord le territoire d’une “cité-état” est considéré comme restreint et sans frontières réelles puisqu’il se limite à la ville et son terroir immédiat ; on doit ensuite pouvoir déceler une identité ethnique et politique commune ; le territoire de la “cité-état” est centré sur une seule ville ou sur un seul centre urbain ; dans le domaine économique, elle doit présenter une organisation qui spécialise les rôles et qui réparti les tâches et travaux ; la population doit être hiérarchisée ; la ville est le plus souvent munie d’un rempart ou de systèmes défensifs ; son territoire est autonome et une reconnaissance collective de la population envers le souverain doit être effective au moins à l’intérieur de la “cité-état”, c’est-à-dire qu’elle peut être tributaire d’un autre état plus puissant mais doit bénéficier de cette reconnaissance interne ; enfin, la “cité-état” doit être autosuffisante. Comme nous le verrons, les villes pyu répondent à une majorité de ces critères, et c’est pour cette raison que nous qualifions l’organisation du territoire chez les Pyu comme telle. On reprendra également une réflexion de Kenoyer à propos de la civilisation harapéenne, qu’il considère comme organisée en “cité-état” : « Due to the long distance between the four major cities [Mahenjo-Daro, Harappa, Ganweriwala et Rakhigarhi], it is highly unlikely that a single ruler ever dominated the entire Indus Valley. Each of the largest cities may have been organised as an independent city-state,… » 5 . Cette remarque semble s’appliquer également à notre contexte, et l’on imagine péniblement un seul souverain ou dirigeant exercer son pouvoir sur l’ensemble de la vallée de l’Irrawaddy.

Notes
1.

Frasch, 1994, résumé du chapitre I.

2.

Lewis M.E., 2000, p. 359.

3.

O’Connor R., 2000, pp. 431-443.

4.

Hansen 2000, pp. 17-18.

5.

Kenoyer 1998, p. 100.