La population

L’origine géographique précise des Môn est inconnue, mais ils seraient originaires d’une région se trouvant à l’est de la Birmanie. Ils appartiennent en effet à la famille linguistique dite môn-khmère, appartenant elle-même à la famille plus large des langues austro-asiatiques 93 . L’alphabet en usage pour transcrire la vieille langue môn était un dérivé très proche de l’ancienne écriture telugu, employée dans le sud de l’Inde 94 . On ne sait pratiquement rien sur l’arrivée des Môn en Birmanie et ce que l’on sait d’eux dans cette région jusqu’au XIème siècle est très limité. Néanmoins, par des études linguistiques et épigraphiques, G.H. Luce a pu démontrer que les plaines de Kyaukse avaient été leur première terre d’accueil en Birmanie. L’abondance des sources d’eau pérennes font de cette région, malgré sa situation au cœur de la zone sèche, un territoire particulièrement fertile une fois mis en place des aménagements permettant la culture sous irrigation. Avant la migration du peuple birman ce riche territoire était occupé surtout par des Môn mais également par des Pyu, des Karens, des Was, des Palaungs, des Kadus et peut-être des Thets ainsi que des Sgaw Karens 95 . D’après le même auteur, l’arrivée des Birmans dans ces plaines fertiles aurait probablement été un facteur majeur de leur abandon par les Môn. Après une période de cohabitation, ils se seraient déplacés vers le sud pour investir le delta de l’Irrawaddy et la région du Ténasserim, au nord de l’isthme du Kra, région dans laquelle les pluies de mousson suffisent à elles seules à l’alimentation des rizières, sans aucune nécessité d’irriguer. Ils établirent alors un royaume connu sous le nom de Ramannadesa, voisin des deux autres royaumes môn occupant la Thaïlande actuelle : Dvaravati à l’embouchure du Ménam dont les premiers sites datent du VIème siècle de notre ère et dont l’occupation dura jusqu’au XI-XIIème siècles au moins, et Haripunjaya fondé au VIIème siècle à 400 km au nord dans la région de l’actuelle Lamphun, qui disparut au XIIIème siècle 96 . C’est aux Môn, peut-être dans la région de Kyaukse, que les Birmans empruntèrent l’écriture et c’est à leur contact qu’ils découvrirent la culture et l’influence indienne, essentiellement le bouddhisme et le brahmanisme.

Les Môn furent nommés Talaing par les Birmans, puis cette dénomination conserva son usage jusque dans le courant du XXème siècle, employée notamment par les Anglais, et que les Môn récusent. Son origine fut longtemps un sujet de controverse, mais aujourd’hui, la théorie généralement admise considère que son existence est ancienne. En effet l’usage de ce nom ne remonte pas à la conquête du territoire Môn par Alaungpaya, au milieu du XVIIIème siècle, comme on le croyait mais à des époques, semble-t-il, antérieures. Le mot Talaing serait, d’après les traditions locales, tamoules et telugu, un dérivé du nom Telingana 97 , région qui correspondrait aux environs de Madras d’où étaient originaires les immigrants indiens arrivés en Basse Birmanie. Cette idée est reprise dans un manuscrit môn 98 qui précise, pour sa part, le métissage des deux populations. Cette descendance aurait alors été désignée par le nom Talinga 99 qui se serait transformé en Talaing. Le roi, mécontent de cette descendance, lui attribua le nom Ita Lerm, ce qui signifie “demi caste” 100 et, transposé dans la langue birmane, ce terme donna le nom Ita Laing qui semble également être une origine possible du mot Talaing 101 . Quoi qu’il en soit, le nom Talaing fut indistinctement appliqué à la totalité du peuple môn par les Birmans, et ce dès l’époque d’Anawratha, alors qu’à l’origine il ne désignait que la descendance issue du métissage entre Indiens et Môn.

Une minorité de Môn vit aujourd’hui dans l’état du Myanmar, représentant ainsi la plus ancienne ethnie encore présente sur le territoire 102 .

Ainsi l’étude des anciennes villes môn, par leur diversité et surtout leur nombre important, met en lumière des différences majeures dans le système politique et la gestion du territoire par rapport aux Pyu. Ceux-ci, comme nous l’avons vu, semblent avoir adopté une organisation territoriale proche ou inspirée du modèle de la cité-état lorsque l’on étudie la répartition et la morphologie des villes, tandis que les Môn ont choisi un mode d’occupation où les implantations urbaines se répartissaient en réseau hiérarchisé et/ou spécialisé. En créant à la fois des fondations maritimes avec des villes implantées sur le littoral, ou ayant un accès facile à la mer, et des fondations fluviales édifiées à l’intérieur des terres, la population Môn basait son économie et ses revenus sur au moins deux types de ressources, agricoles et commerciales 103 . Il est vrai que les données textuelles ne nous renseignent pas sur ce sujet, mais c’est par analogie avec les Môn de Thaïlande à la même époque que l’on peut comprendre la situation des Môn de Basse Birmanie. On peut également supposer que la mise en place et le maintien d’un tel système de gestion, tant sur le plan économique que territorial, nécessitait l’intervention d’un pouvoir dirigeant fort et centralisé.

On peut également s’interroger sur l’influence possible que ce système, politiquement centralisé et économiquement diversifié, a pu avoir sur les Birmans lorsque ceux-ci conquirent le Sud et prirent le pouvoir au XIème siècle. L’image que l’on a néanmoins de la situation en Birmanie méridionale à cette époque est bien plus floue qu’au Siam.

L’usage mixte ou varié de matériau n’existait pas chez les Pyu, notamment en raison de l’absence de carrière de latérite en Birmanie centrale. Ce matériau, à forte granulométrie, est d’usage idéal dans les régions très humides et arrosées comme la Birmanie méridionale pour ses qualités de drainage. De même que chez les Pyu, lorsque la brique est employée, les gabarits mis en œuvre sont de dimensions importantes et on trouve des lignes tracées aux doigts avant cuisson sur l’une des faces.

Notes
93.

Luce 1985, chap. I, p. 1-10.

94.

Duroiselle & Blagden, vol. 1, part 2, p. 78.

95.

Luce 1959 « Old Kyaukse … », p. 81.

96.

Dupont 1959, p. 1

97.

Cooper 1913, p. 2.

98.

Ce manuscrit se nomme le Weerng Dhat Saterm, ou le Livre des Reliques de Thaton (cf. Cooper, 1913).

99.

Imperial Gazetteer of India, vol. 23, p. 208.

100.

Cooper 1913, p. 2.

101.

Cooper 1913, p. 8.

102.

Luce 1953, p. 1.

103.

Saraya 1999, pp. 46 & 48.