L’indianisation de la Basse Birmanie

La Birmanie est, parmi les pays d’Asie du Sud Est, le plus proche de l’Inde, accessible à la fois par la route terrestre qui depuis le début des périodes historiques traversait les montagnes de l’Assam et de Manipur, débouchant ainsi sur la Haute Birmanie, et par les voies maritimes qui rejoignaient les côtes de l’Arakan, le delta de l’Irrawaddy et la côte du Ténasserim le long du golfe de Martaban. Sa situation géographique ne pouvait donc que favoriser l’intérêt des marchands indiens pour y installer des comptoirs. Les Môn et les Pyu ont chacun leur histoire et leur tradition vis-à-vis de l’arrivée et de l’installation des immigrants indiens sur leur territoire. La tradition môn propose différents récits qui varient selon les lieux colonisés. Les légendes de fondation de chaque ville, lorsque par le biais de l’oralité ou des écrits cette tradition les a transmises, montrent la diversité relative des régions dont ces nouveaux venus indiens étaient originaires. Ainsi, la présente étude s’efforcera, dans la mesure du possible, de mentionner ces légendes au cas par cas, considération faite qu’un fond de vérité potentiel existe dans leur contenu, malgré leur forme bien souvent fabuleuse. Si l’on veut présenter ici une récapitulation plus ou moins schématique des mouvements de population entre l’Inde et la Basse Birmanie, on peut dire que les environs de Thaton, à l’embouchure du Salween, furent “colonisés” par des habitants en provenance d’une région nommée Karanatta, tandis que les immigrés des environs de Pegu venaient, d’après la tradition, d’une région qui se situait entre la Krsna et la Godaveri 104 . Ayetthema fut, semble t-il occupée par une population venue du Bengale, et la partie orientale du delta, plus précisément le secteur compris aux abords du fleuve Hlaing et du Sittang, portait le nom d’Ukkala ou Ukkalaba qui n’est autre que l’ancien nom de l’Orissa : les vestiges découverts, notamment des sculptures, ont été rapprochées d’un point de vue stylistique aux productions de l’Orissa.

À l’exception de la légende de fondation de Thaton et de Pegu dans laquelle intervient directement le dieu Indra, nommé Thagya Min ou Sakka en Birmanie. Ces légendes de fondation des autres établissements font souvent intervenir le Bouddha en personne. Des disciples de celui-ci auraient également vécu en Basse Birmanie ou, selon les traditions, certains d’entre eux en seraient originaires. Les deux missionnaires d’Asoka, Sona et Uttara, auraient été envoyés par le troisième concile bouddhique afin d’y prêcher la parole du Maître. Cette histoire est contée dans les chroniques cinghalaises le Mahavamsa et le Dipavamsa datant du Vème siècle, mais cette mission n’apparaît pas dans les inscriptions d’Asoka lui-même, à l’inverse des autres, c’est pourquoi cette ambassade est considérée comme mythique. Il faut donc probablement envisager que les auteurs cinghalais, à défaut de raconter un épisode véridique, considéraient la tradition bouddhique en Birmanie comme un phénomène ancien. De même, la légende des deux marchands, Taphussa et Bhallika 105 , qui selon les sources étaient originaires soit de l’Inde soit de Suvannabhumi, qui auraient motivé la fondation de Dagon, l’actuelle Rangoun, sont traditionnellement considérés comme les premiers dévots du Bouddha qu’ils auraient rencontré durant la septième semaine après son illumination 106 . Bien connue dans le contexte bouddhique, cette légende a été souvent reprise dans différentes régions avec des variantes locales.

L’immigration indienne s’est bien entendu fait ressentir dans l’appellation des villes. Pour les plus importantes un nom sanskrit ou pali est venu doubler le nom vernaculaire. Par ailleurs, plusieurs noms de villes situées en Basse Birmanie se retrouvent, sous leur forme indienne, dans la géographie de Ptolémée.

Notes
104.

Majumdar 1963, p. 219.

105.

On rencontre également l’orthographe Tapussa et Bhalluka.

106.

Majumdar 1963, p. 224.