La chute de Thaton

L’expansion territoriale mise en œuvre dès le début du règne d’Anawratha n’épargna pas la basse Birmanie. Après qu’il eut renforcé les nouvelles frontières du nord et de l’est, il entreprit la conquête du Delta et de la partie septentrionale de l’isthme du Kra. Les motivations du nouveau souverain de Pagan sont présentées dans les textes birmans ou môn comme étant principalement religieuses. Une mise au point et une récapitulation de la situation face à laquelle se trouvait Thaton au XIème siècle est ici de rigueur. Sur le plan démographique, d’une part, la ville dut accueillir, dans la première moitié du XIème siècle, une vague d’immigration en provenance du royaume môn d’Haripunjaya meurtri par une épidémie de choléra, et peut-être aussi par une invasion khmère 129 . Cette population, qui était profondément bouddhiste, aurait probablement contribué au développement ou au renforcement de cette religion sur le territoire de Rammanadesa, car les vestiges archéologiques de la capitale tendraient à montrer que les habitants étaient plus tournés vers les croyances brahmaniques. Il est également probable, comme le rapportent plusieurs chroniques, que la basse Birmanie ait eu à résister aux invasions de l’est, c’est-à-dire des Khmers, sous réserve que les “Krom” dont parlent les textes soient les occupants du Cambodge à cette période 130 . Les inscriptions du Kalyani mentionnent une invasion khmère dans la région de Pegu, autour des années 1050 131 , où les troupes de Suryavarman Ier auraient été vaincues par l’armée birmane conduite par le futur roi de Pagan Kyanzittha. Il faut peut-être rapprocher les vestiges brahmaniques de Thaton et l’intrusion des Khmers qui, à cette époque, étaient plus enclins à l’hindouisme qu’au bouddhisme 132 , notamment les plaques de terres cuites retrouvées dans la pagode de Thagyapaya, dont l’iconographie serait sivaïte 133 . Il est possible que cet antagonisme religieux ait provoqué le départ du célèbre moine natif de Thaton, Shin Arahan, vers la cour de Pagan, où il convertit Anawratha au fondement des conceptions theravadin. Toutes les chroniques donnent des motivations religieuses à la conquête du sud, motivations liées à la conversion récente du roi. En effet, Anawratha désireux de posséder la collection des saintes écritures, les Pitaka, envoya des messagers pour formuler sa requête auprès de Makuta 134 . Ce dernier refusa de remettre une copie des saintes écritures, car, d’après P. Fistié, cela aurait été une reconnaissance de la suprématie de Pagan 135 . Ce refus offrit à Anawratha un prétexte religieux à ses désirs de conquête, et s’alliant au roi de Pégu, il partit en campagne contre Thaton au cours de l’année 1057. Par voies terrestres et fluviales, les forces armées composées de fantassins, de l’éléphanterie et de la cavalerie, assiégèrent la ville durant trois mois 136 . La Chronique du Palais de Cristal rapporte, de manière très exagérée, que les troupes se constituaient de 18 millions de fantassins, de 800 000 éléphants et de 8 millions de chevaux 137 . Ce texte rapporte également que Makuta, ayant appris l’arrivée des forces militaires s’enferma dans la cité en obstruant la totalité des portes d’accès et renforça les remparts. Makuta se rendit après avoir subi trois mois de siège, et les quatre commandants de l’armée, Kyanzittha, Nga Htweyu, Nga Lonlephpe et Nyaung-u Hpi entrèrent dans la ville pour le capturer 138 . Anawratha put alors s’emparer des trente collections complètes du canon pali 139 qu’il rapporta à Pagan, emmena Makuta avec sa famille et ses ministres, mais surtout déporta de nombreux prisonniers de guerre, principalement des artisans et des religieux. Makuta et sa famille furent installés dans le village de Myinkaba, au sud de Pagan où il fit construire le Nanpaya avec, à l’intérieur, une salle de trône, ainsi qu’un temple portant son nom ; c’est vers 1060 140 que furent édifiés ces deux monuments qui font partie des plus anciens de la capitale birmane. Au contact des Môn, la population de Pagan s’est beaucoup enrichie de leur culture à laquelle les Birmans empruntèrent leurs techniques artisanales, architecturales, littéraires, mais surtout leur écriture. D’ailleurs, la plus ancienne inscription en langue birmane écrite en caractères môn daterait de 1058, soit un an après la conquête 141 .

Ainsi, Anawratha se trouvait en possession d’un royaume d’une considérable étendue puisque les limites de son empire étaient très proches des frontières de l’actuel état du Myanmar. Le renversement de Thaton, le rendit maître de tout le Delta et des principautés hindoues dont quatre localisées dans la région de Rangoun, c’est-à-dire Pokkharavati, Trihakumbha, Asitanjana et Rammanagara. Le roi de Pegu, qui s’était comporté en allié pendant la campagne contre Thaton eut le droit de garder son indépendance jusqu’à sa mort, après quoi, Pegu fut soumise et dirigée par un gouverneur nommé par le souverain de Pagan.

Ce nouvel empire disposait enfin d’un accès maritime, et pouvait contrôler une partie des échanges commerciaux par voie terrestre entre l’océan indien et la mer de Chine 142 .

Après sa destruction, l’ancienne capitale de Suvannabhumi tomba totalement dans l’oubli car aucun texte ne la mentionna au-delà des évènements du XIème siècle.

Notes
129.

Coedès 1964, p. 27.

130.

Luce 1922, p. 39. Cette assimilation des Kroms aux Khmers est très majoritairement admise par les historiens.

131.

Luce 1965, p. 270.

132.

Fistié 1985, p. 50.

133.

U Tin Gyi 1931, p. 13.

134.

Suite à une faute de lecture, le nom du dernier souverain de Thaton est souvent écrit Manuha (voir Coedès 1964, p. 275, note 2).

135.

Fistié 1985, p. 50.

136.

Coedès 1964, p. 275.

137.

Luce & Pe Maung Tin 1923, p. 77 (2ème édition 1976).

138.

U Tin Gyi 1931, p. 17.

139.

Selon les sources, Makuta possédaient 30 ou 32 collections des Pitakas.

140.

Coedès 1964, p. 276.

141.

U Tin Gyi 1931, p. 18.

142.

Fistié 1985, p. 50.