Ayetthema : Une cité tournée vers la mer

Située au bord du golfe de Martaban, par 92°7’ de longitude est et 17°2’ de latitude nord, l’ancienne cité d’Ayetthema, installée au pied du mont Kelasa et peut-être antérieure à Thaton, est réputée pour avoir joué le rôle de capitale (cartes 3 et 29). Parfois nommée Taikkala, elle portait le nom pali de Golamattikanagara car, comme l’indique les inscriptions de la Kalyani Sima 143 qui demeurent la source essentielle à son sujet, ses maisons ressemblaient à celles du peuple du Gola 144 . La région du Gola a été identifiée avec le Gauda 145 , nom ancien du Bengale qui, durant le premier millénaire de notre ère, possédait des ports de mer importants, notamment celui de Tamralipta. Ces inscriptions de Pegu rappellent l’arrivée (légendaire) des deux missionnaires d’Asoka, Sona et Uttara, en ces lieux au IIIème siècle avant notre ère, mais surtout elles précisent que la moitié est de la ville était installée sur la colline et la moitié ouest dans la plaine 146 , schéma traditionnel que l’on retrouve dans les Jatakas concernant la ville d’Amaravati 147 . Ayetthema a également été identifiée avec la ville de Takola citée dans la géographie de Ptolémée, ainsi qu’avec celle de Kalah présente dans les récits des géographes arabes 148 . Il y a peu de doute sur la présence d’un port maritime si l’on observe la morphologie du site. Entre le mont Kelasa, qui culmine à 340 m d’altitude, et le bord de mer, l’espace intermédiaire présente une zone déprimée en son centre. De même qu’à Thaton, le comblement entre cet espace déprimé et la côte actuelle est constitué de sédiments très récents, accumulés au cours des trois derniers siècles, tout au plus. À l’époque qui nous intéresse, la présence d’un port à Ayetthema, dans cette zone récemment comblée, semble tout à fait plausible. Il est d’ailleurs important de souligner la présence d’aménagements portuaires dans ce secteur aux XVIème et XVIIème siècles 149 . Au nord et à l’ouest du site, le paysage se compose de petites collines et de plaines où la culture du riz inondée est possible car les précipitations annuelles sont suffisantes pour se passer d’irrigation.

Une petite section du mur d’enceinte subsiste au nord du village actuel d’Ayetthema et s’étend d’est en ouest, ainsi que la pagode Kyaik Telan, restaurée par le roi Kyanzittha à la fin du XIème siècle, au sud-ouest. À quelques mètres de la pagode, un petit tumulus abriterait, d’après la tradition orale, la dépouille d’une reine môn. Le palais royal se serait situé dans l’angle nord-est. Les fouilles conduites dans les années 1970 par les équipes birmanes ont montré que le mur d’enceinte était une construction de terre dont le sommet s’achève par deux assises de latérite. La quantité de fragments de brique dans la couche de démolition qui recouvrait directement la partie supérieure de rempart, laisse penser que la superstructure de la muraille était construite en brique 150 . La face nord était revêtue d’un parement de pierre et de brique descendant jusqu’à la bordure de la douve qui l’accompagne. les vestiges du rempart se lisent actuellement avec beaucoup de difficulté, et seule une haute butte de terre est encore en place (ph. 104-105, pl. XXXIV). Par contre, lors des prospections que nous avons menées en 2002, la pagode Kyaik Telan était en cours de rénovation (ph. 106, pl. XXXV). Au cours de ces travaux, des dégagements préalables et partiels ont exhumé des briques marquées au doigt de tailles importantes 151 (ph. 112 à 114, pl. XXXVII), des fragments de sculptures bouddhiques en latérite, en terre cuite et une en marbre (ph. 107 à 109, pl. XXXV-XXXVI), mais également de nombreuses tablettes votives de la période de Pagan dont une portait une inscription mentionnant un don à la pagode du roi Anawratha 152 . D’autres briques marquées au doigt ont été découvertes lors de prospections conduites dans les années 1980 153 .

À proximité, dans le village voisin de Winka (cartes 3 et 29), plusieurs structures de brique ont été mise au jour entre 1975 et 1978. L’une plus importante, connue sous la numérotation WK1, présente un plan carré composé de 13 pièces disposées autour d’une cour centrale. La face ouest se compose d’une large pièce étirée ouvrant au centre sur la cour (n° 2) et flanquée de deux pièces d’angles (n° 1, 9). Les côtés nord et sud sont symétriques, constitués de trois cellules comprises dans la largeur de la cour (n° 8, 11, 12 & n° 7, 4, 5), celles de l’est étant plus restreintes que les deux autres (n° 12, 5). La face orientale se compose de quatre cellules (n° 6, 10, 14, 13) dont deux pièces d’angle (n° 6, 13), celle au sud étant la plus grande. Le mur extérieur de l’est présente trois avancées, les trois autres faces étant quant à elle rectilignes. Le seul accès possible à cet ensemble surélevé qui a été dégagé se trouve au sud, face à la chambre n° 7. Il serait alors un palier accompagné à l’époque d’un escalier de bois 154 . Le plan de ce bâtiment ressemble à celui des résidences monastiques que l’on trouve à Pagan notamment au monastère Somingyi, mais il est également très proche des vestiges que l’on connaît en Inde à Nagarjunakonda et à Sarnath où, à l’inverse, les pièces sont toutes de taille identique et en nombre symétriquement réparties autour de la cour. La présence d’une résidence monastique à Winka est fort probable si l’on se base sur des structures similaires connues mais, lors des fouilles, aucun objet religieux n’a été exhumé de ce bâtiment 155 , alors que les fouilles de trois autres structures en brique du même site ont mise au jour 127 plaques votives en terre cuite 156 représentant le Bouddha parmi lesquelles 4 portent une inscription en vieux môn. Dans le cas d’un monastère, les différences de taille et de forme des cellules indiqueraient-elles des fonctions diverses allouées à certaines d’entre elles ou une hiérarchisation au sein des résidents ? Les archéologues qui ont dégagé cette structure dans les années 1970, ont proposé de la dater de la période de Pagan, par analogie avec les structures présentes dans l’ancienne capitale birmane.

Figure 25. Winka – la structure WK1
Figure 25. Winka – la structure WK1

(d’après Khin Maung Kyi 1996)

Le type de céramiques exhumé lors des fouilles du bâtiment WK1 se limite exclusivement à une production de céramique commune à pâte rouge. Les études réalisées à partir du matériel céramique ont montré de nombreuses similitudes avec les poteries découvertes sur des sites pyu, principalement avec celui de Beikthano dont les céramiques de même type se situent dans une fourchette chronologique allant du Ier au IVème siècle de notre ère. Ces données s’accordent avec les études typologiques et stylistiques qui les mettaient en parallèle avec celles du début de l’ère chrétienne dans le nord et le sud de l’Inde, particulièrement avec le matériel découvert sur les sites de Rupar, Hastinapur, Brahmapuri et Nagarjunakonda 157 . L’écart chronologique entre l’analyse architecturale du bâtiment (XI-XIIIème siècle) et l’étude du matériel céramique (début de l’ère chrétienne) indique sans doute que ce monastère s’est installé sur un site d’occupation plus ancienne.

À proximité immédiate de ce bâtiment, une autre structure de brique, connue sous la numérotation WK2, a été dégagée et demeure encore visible aujourd’hui. Il s’agit d’un édifice rectangulaire, orienté approximativement selon un axe nord-sud et divisé à l’intérieur par un mur longitudinal qui coupe inégalement l’espace en deux. Le secteur occidental occupe environ un tiers de la largeur tandis que les deux tiers restant sont alloués à la partie orientale. Cette vaste pièce est également subdivisée dans son extrémité nord. La subdivision interne de l’ensemble de l’espace compte au total 8 chambres : trois dans la partie ouest, trois dans le secteur oriental et deux aménagées dans l’espace nord. À l’extérieur, le bâtiment présente une avancée vers l’est. Les dimensions des briques qui le composent relèvent d’un gabarit important (38 x 28 x 6,5 cm). La fonction de ce bâtiment n’a pu être déterminée, mais plusieurs tablettes votives en terre cuite parmi les 127 y ont été découvertes. Le matériel céramique témoigne ici de techniques un peu plus variées que celle du “monastère” (WK1), puisque l’on retrouve une production d’ustensiles à pâte rouge mais également grise.

Figure 26. Winka – la structure WK2
Figure 26. Winka – la structure WK2

(d’après Khin Maung Kyi 1996)

Figure 27. Winka – organisation des structures WK1 et WK2
Figure 27. Winka – organisation des structures WK1 et WK2

(d’après Khin Maung Kyi 1996)

Au nord du village de Winka, un ensemble composé d’un stupa, qui était déjà connu, et d’un bâtiment dégagé par les équipes birmanes a fait l’objet d’autres investigations archéologiques, toujours entre 1975 et 1978. Le stupa, nommé Kumarazedi, est une construction en latérite à base octogonale, plan traditionnel môn. Le bâtiment édifié à proximité est éloigné de 650 m environ, et il est connu sous la numérotation WK5. Construit de brique, son plan forme un ensemble rectangulaire dont l’organisation interne est difficile à lire puisque l’espace intérieur a été en grande partie vandalisé par des fouilles sauvages. Il suit une orientation nord-est / sud-ouest, et la partie nord a été la plus endommagée par les chasseurs de trésors. Les briques sont ici de taille légèrement supérieure à la structure WK2 mais correspondent à un gabarit similaire (40,5 x 20 x 7,5 cm). La rigueur apparente du plan et la proximité de cet édifice au stupa Kumarazedi ont conduit les archéologues à interpréter ce bâtiment comme un éventuel monastère. Par contre, en ce qui concerne la datation, ces derniers ont considéré que l’emploi différencié de matériau entre les deux édifices, l’un en latérite, l’autre en brique, traduisait une différence d’époque de construction 158 . On ne retiendra pas cette hypothèse pour notre étude, dans la mesure où aucun élément n’est jamais venu soutenir ou prouver ce phénomène en Basse Birmanie. Bien au contraire, comme on le voit dans le rempart d’Ayetthema ou dans la structure WK6 (paragraphe suivant) ou encore sur d’autres sites môn, l’emploi, au même moment, des deux matériaux dans une construction est tout à fait possible. En conséquence, on ne peut considérer l’emploi mixte ou varié de la brique et de la latérite comme un marqueur chronologique.

Figure 28. Winka – relation entre la structure WK5 et le stupa Kumarazedi
Figure 28. Winka – relation entre la structure WK5 et le stupa Kumarazedi

(d’après Khin Maung Kyi 1996)

Figure 29. Winka - la structure WK5
Figure 29. Winka - la structure WK5

(d’après Khin Maung Kyi 1996)

Enfin, une dernière structure (WK6) a été mise au jour par cette équipe. Il s’agit de deux bases de stupas superposées l’une à l’autre. La plus ancienne est de forme carrée, construite à la fois de brique et de latérite ; la seconde montre clairement les premières assises du stupa circulaire sur une base également carrée mais d’orientation décalée par rapport à la précédente. Les pilleurs ont, comme pour la structure WK5, endommagé une partie des vestiges, essentiellement dans la moitié nord. Parmi l’ensemble des tablettes votives de Winka, nombreuses sont celles qui proviennent de cette structure ; les quatre qui portent des inscriptions en vieux môn y ont été exhumées. L’étude paléographique a démontrée que ces inscriptions étaient nettement plus anciennes que celles de Pagan, également rédigées en môn, et qu’elles dateraient probablement du VIème siècle 159 .

Figure 30. Winka – la structure WK6
Figure 30. Winka – la structure WK6

(d’après Khin Maung Kyi 1996)

Notes
143.

Les inscriptions de la Kalyani Sima, près de Pegu, forment un ensemble de dix pierres gravées sur les deux faces. Toutes sont incomplètes à cause de leur état fragmentaire, et trois d’entre elles comportent quelques lignes en pali, le reste du texte étant inscrit en moyen môn. Cet ensemble a été érigé par le roi Dhammaceti en 1476.

144.

Imperial Gazetteer of India 1908, vol. 23, p. 205.

145.

Majumdar 1963, p. 224.

146.

Duroiselle et Blagden 1919-28, vol. III, part. 2, p. 185.

147.

Guillon 1974, p. 275, note 15.

148.

Imperial Gazetteer of India 1908, vol. 23, p. 205.

149.

Imperial Gazetteer of India 1908, vol. 23, p. 205.

150.

U Myint Aung 1999, pp. 23-24.

151.

Les dimensions que nous avons relevées sont les suivantes : 33 x 16,5 x 5 cm ; 37 x 15,5 x 6,5 cm ; 29 x 14,5 x 5 cm ; ? x 20 x 5,5 cm.

152.

Ces propos, émanant du Département d’Archéologie, m’ont été rapporté par le responsable des travaux.

153.

Aung Myint & Moore 1991, fig. 18, p. 99.

154.

U Myint Aung 1977, p. 47

155.

U Myint Aung 1977, p. 47

156.

U Myint Aung 1999, p. 40.

157.

U Myint Aung 1977, p. 48-50

158.

U Myint Aung 1999, p. 32.

159.

U Myint Aung 1999, p. 53.