Thagara

Il n’y a pas de mention de cette forteresse dans le corpus des inscriptions. Le site est néanmoins l’un des plus intéressants parmi les postes militaires de cette période, compte tenu des vestiges qui sont encore en place. Implantée au pied du pays Shan et de ses hauts plateaux, la configuration des lieux souligne la fonction de forteresse et de poste frontière de cette ville, fonction qui s’impose de manière presque évidente et immédiate à l’œil du spectateur (cartes 5 et 22). Le plan de l’enceinte est presque unique puisqu’il présente une forme de pied, la pointe orientée vers le nord-est. Ce type de plan est, à ma connaissance, le second que l’on rencontre en Birmanie. En effet, étaient encore visibles il y a plusieurs décennies, dans le sud du pays ou dans l’ancien territoire Môn, les vestiges de Twante dont le rempart, à en croire le plan des années 50, présentaient une forme et une orientation très semblables au site de Thagara. G.H. Luce en a restitué le plan 271 , mais hélas, ce rempart est aujourd’hui très difficile d’accès, et je n’ai pu trouver, lors de mes prospections à Twante, que quelques fragments du mur d’enceinte noyés sous la végétation d’une bambouseraie. À Thagara, l’enceinte de brique s’étend sur un périmètre de 1400 mètres et couvre une surface de 11,70 hectares (ph. 306 à 308, pl. CI ; ph. 310 à 315, pl. CII-CIII). Plusieurs brèches, peut-être d’anciennes portes pour certaines, s’ouvrent dans le rempart. L’une, aménagée dans la longueur est, présente sur son côté sud et contre sa face intérieure les vestiges d’une structure de brique circulaire (ph. 309, pl. CII). Il s’agit peut-être d’une tour qui serait, dans ce cas, l’une des seules repérées lors de mes prospections 272 . Les vestiges de structures défensives à proprement parler, telles que des tours, sont rarissimes en Birmanie, et cette absence contribue à soutenir l’idée de construction en matériaux mixtes et l’usage quasi systématique du bois et/ou du bambou en plus de la brique dans l’architecture urbaine et militaire. De plus, à Thagara, la totalité de l’espace intra muros est aujourd’hui un espace de cultures non irriguées. Les agriculteurs qui travaillent cette terre archéologique, nous ont indiqué retrouver fréquemment du mobilier métallique, notamment de l’armement tel que des lames de couteaux, mais ils nous ont également affirmé avoir exhumé du métal sous forme de lingots, ce qui implique des techniques bien particulières dans la réduction du métal. Trois édifices religieux sont actuellement présents sur le site, dont deux à l’intérieur des murs. La pagode située extra muros a été l’objet, comme très souvent, de rénovation récente qui rend impossible une quelconque lecture de l’architecture d’origine. Les deux autres sont peut-être contemporaines de l’édification de la ville. L’un des stupas a l’aspect d’un simple tertre recouvert de végétation et laissé à l’abandon mais on distingue toutefois une base circulaire ; le second stupa, également à base circulaire se présente sous la forme d’un tertre dans lequel une chambre contenant une statue du Bouddha en posture assise reste à ciel ouvert (ph. 316-317, pl. CIV). La tête a disparu. Ces deux édifices, situés à proximité immédiate l’un de l’autre (une trentaine de mètres seulement les sépare), sont établis dans le secteur sud-est de la ville. Dans l’hypothèse d’une contemporanéité entre la fondation de la ville en tant que poste militaire et l’un ou l’autre des stupas, ces derniers montrent qu’un quartier religieux pouvait être aménagé à l’intérieur d’un espace urbain à destination défensive et militaire. Ce fait n’est pas surprenant en soi mais ne semble pas s’être généralisé à toutes les villes garnisons de l’époque.

Figure 67. Thagara – relevé des structures au sol (GPS)
Figure 67. Thagara – relevé des structures au sol (GPS)
Notes
271.

Luce 1969, vol. 1, plan non paginé, entre les pages 20 et 21 ; infra chap. V.

272.

Deux autre ouvrages circulaires, interprétés comme de probables tours, sont encore visibles sur le rempart de Sampanago (la vieille ville de Bhamo). Il faut cependant rappeler que l’implantation de cette dernière n’est pas l’œuvre des birmans mais de la population shan qui en aurait fait une capitale.