Ngasauggyan

Ce fort, qui ne figure pas dans la liste des 43 forteresses d’Anawratha, semble avoir marqué la frontière nord qui séparait le jeune empire birman de la Chine, et ce dès le début de la période de Pagan (cartes 5 et 14). La première mention qui nous soit parvenue, et qui indique clairement sa position à la frontière septentrionale du royaume, date du règne de Narapatisithu, plus exactement de 1196 275 . La forteresse est implantée au nord-est de Bhamo, au point de contact entre le plateau du Yunnan et les basses terres de l’Irrawaddy. Les sources chinoises, dans lesquelles la ville apparaît sous le nom de Na Chon Khyam, mais aussi les récits de Marco Polo résidant à la cour du grand Khan à la fin du XIIIème siècle, relatent la prise et la chute de Ngassauggyan. La ville tomba sous la coupe de l’armée mongole le 3 décembre 1283 276 , après avoir âprement résisté. Ces récits ne nous apportent rien quant à la morphologie de la citadelle ou de ses fortifications, mais le discours du voyageur vénitien est intéressant en termes de stratégie militaire, d’attaque et de défense, et donne surtout des descriptions de l’éléphanterie de guerre, point fort de l’armée birmane qui contribua largement à la stabilité et au maintien de l’empire durant deux siècles et demi. Voici quelques extraits de la bataille de Ngasaunggyan menée, du coté des Tartares, par le général Nasreddin 277  au royaume de Mien 278  :

‘« …Or advint que les rois de Mien et de Bengala, quand ils surent que l’armée du Grand Can était en Uncian, en furent fâchés et terrifiés, craignant qu’elle vînt envahir leur terre. Ils se dirent donc qu’il leur fallait lui tomber dessus pour se défendre, avec tant de gens qu’ils les mettraient tous à mort, en telle manière que jamais plus le Grand Can n’aurait volonté d’envoyer ensuite une autre armée. Adonc firent ces rois très grands préparatifs, et je vous deviserai lesquels. Or, sachez très véritablement qu’ils eurent deux mille éléphants très grands ; et firent faire sur chacun de ces éléphants un château de bois très fort, bien fait et bien disposé pour combattre ; et sur chaque château étaient au moins douze homme pour lancer des flèches et combattre ; en tel autre il y en avait seize, et en tel autre plus ; et encore soixante mille homme à cheval ainsi que des piétons. […] Ces rois, quand ils eurent fait si grands préparatifs, ne firent point de retard, mais tout incontinent se mettent en route avec tous leurs gens pour tomber sur l’armée du Grand Can qui était à Uncian. […] Et quand le sire des armées tartares sut avec certitude que ces rois lui venaient sus avec tant de gens, il s’en inquiéta fort, car il n’avait que douze mille hommes à cheval […] Sachez très véritablement que les douze mille Tartares à cheval s’en viennent à la plaine d’Uncian et là attendent que leurs ennemis viennent à la bataille. […] sachez que cette plaine était un bois fort grand, et plein de très grands arbres. Il (Nasreddin) les posta près de ce bois pour pouvoir y entraîner les ennemis, sachant bien que les éléphants n’y pourraient entrer avec leurs châteaux ; si donc que les éléphants leur arrivaient sus avec tant de furie qu’ils ne pussent leur résister, ils se retirèrent dans le bois et les arroseraient de flèches en toute sécurité. […] Et quand il (le roi des Mien) fut venu en cette plaine, à environ un mille des ennemis, il disposa ses éléphants avec leur châteaux, et les hommes dessus bien armés pour combattre. Derrière il ordonne ses hommes à cheval et à pieds fort bien et sagement, comme sage roi qu’il était […] et il se mit à aller avec toute son armée vers ses ennemis. […] Quand les Tartares en sont proches et qu’il n’y a fors que de commencer bataille, alors les chevaux des Tartares, quand ils ont vu les éléphants, si énormes, avec leurs châteaux, et tout rangés de front, ils en ont une telle épouvante que les Tartares ne les peuvent mener en avant vers les ennemis, mais toujours ils tournent bride et s’enfuient. Et le roi et ses gens, avec les éléphants, vont toujours de l’avant. […] Or sachez que les Tartares, quand ils voient leurs chevaux tant épouvantés, ils en descendent, les mettent dedans le bois et les attachent aux arbres ; puis mettent la main aux arcs, dont ils sont si habiles, encochent les flèches et vont à pied vers les éléphants qu’ils commencent à arroser de flèches. Ils leur en lancent tant que c’en est merveille, et bien des éléphants sont blessés durement, et bien des hommes aussi. Mais les gens du roi qui étaient dans les châteaux tirent aussi des flèches très généreusement sur les Tartares, et leur donnaient un rude assaut ; toutefois, leur flèches ne blessaient point aussi cruellement que celles des Tartares, car elles étaient décochés avec moins de force. […] quand les éléphants furent ainsi blessés que je vous l’ai conté, je vous dis qu’ils se tournent et qu’ils se mirent à fuir vers les gens du roi, avec si grand fracas qu’il semblait que le monde entier se dût fendre. Ils ne s’arrêtent pas au bois ; et se mettent dedans, démolissant les châteaux qu’ils avaient sur le dos, gâtant et détruisant toute chose, avec un beau petit massacre de ceux qui se trouvaient dedans, car ils couraient or çà or là par le bois en poussant d’effrayants barrissements de terreur. Et quand les Tartares ont vu que les éléphants s’étaient enfuis, […] ils montent immédiatement sur leurs chevaux avec grand ordre et discipline, et foncent sur le roi et ses gens, qui n’étaient pas peu effrayés de voir la ligne d’éléphants dispersée. […] et quand ils eurent tirés toutes les flèches, ils mirent la main à l’épée et à la masse, et se coururent sus très âprement. […] Les Tartares avaient le dessus dans l’affaire […] et quand la bataille dura jusqu’à midi passé, le roi et ses gens étaient si malmenés, […] ils ne voulurent plus demeurer, mais se mirent à fuir tant qu’ils purent. […] s’étant rassemblés (les Tartares), ils retournent au bois pour prendre des éléphants. […] de cette manière ils en prirent plus de deux cents. Et c’est depuis cette bataille que le Grand Can commence à avoir des éléphants assez pour ses armées. Et c’est grâce à cette journée que le Grand Can conquêta tous les pays de Mien et de Bengala, et les soumit à sa seigneurie. » 279

Il ne reste qu’un tronçon de rempart en terre, considéré comme l’ancien rempart de la citadelle (ph. 233-234, pl. LXXVII). Les constructions de terre posent continuellement d’énormes problèmes d’identification. On ne saurait néanmoins s’étonner de l’utilisation de ce matériau dans l’architecture, étant donné que toutes les structures défensives dans cette région et à cette époque semblent avoir été systématiquement faites de terre.

Notes
275.

Luce 1958-59, p. 126

276.

Luce 1958-59, p. 135-136.

277.

Dans le Livre des merveilles, il porte le nom de Nescradin ; on le rencontre parfois sous l’orthographe Nâsir ed-Dîn. Cet homme était, à l’époque, inspecteur général du Yunnan.

278.

“Mien” est le nom qui désigne les birmans et leur pays dans les textes chinois et mongols.

279.

Marco Polo 1998 (éd.), tome 2, pp. 309-314.