Les 11 khayaing de Mlasca

Parmi les trois domaines irrigués que nous connaissons de cette période, les 11 khayaing de Mlasca, situés dans la région de Kyaukse, constituaient sans aucun doute le grenier à riz le plus important de l’empire par le nombre de villes chargées de l’administrer et l’étendue de ces terres. C’est aussi à son sujet que les textes et le matériel épigraphique nous donnent le plus de détails, notamment sur les dons de terre et d’esclaves, alloués parfois à la sangha, le clergé bouddhique. Certains des ces khayaing assumaient une double fonction puisqu’ils jouaient aussi le rôle de poste militaire, comme par exemple Mekkaya. On peut alors supposer, que ce secteur ne courait pas forcément un danger potentiel très important ni permanent, et que, de ce fait l’attribution d’une double charge à une seule ville n’entravait pas le bon fonctionnement de chacun des deux rôles. Il est vrai que ce domaine est implanté au pied du plateau Shan, et donc à proximité d’un ennemi que les Birmans ont longtemps redouté, mais sur une latitude qui le laisse loin de la frontière nord qui semble pour sa part, avoir représenté une source de menaces sérieuses et relativement permanentes.

L’origine des systèmes hydrauliques dans cette région est obscure. G.H. Luce a émis l’hypothèse, à la lumière du matériel épigraphique, des études linguistiques et de la tradition ancestrale des populations Môn-Khmer dans les pratiques d’irrigation, que les Môn étaient probablement les fondateurs d’un certain nombre de ces ouvrages dans les environs de Kyaukse avant la venue des Birmans. Rappelons par ailleurs que les Pyu, déjà maître en matière d’agriculture irriguée à la même époque, utilisaient des systèmes analogues, également dans la région de Kyaukse, comme le montrent les études du site de Maingmaw. L’origine de ces premiers équipements est probablement plus complexe, et l’éventualité d’un apport du Nanchao n’est pas à exclure d’amblée, dans la mesure où le site de Pinlè, l’une des plus anciennes villes, tiendrait peut-être son nom d’un mot nanchao 286 . Quelles que soient l’ascendance et la genèse des systèmes d’irrigation en Birmanie, ceux-ci ont été considérablement développés dès la prise de pouvoir par les Birmans au XIème siècle. D’ailleurs, parmi les nombreux travaux hydrauliques attribués à Anawratha, une bonne partie n’auraient pas été de véritables constructions de barrage mais auraient consisté à l’installation de régulateurs de canaux 287 . Son œuvre en la matière aurait donc plus largement concerné l’amélioration et le perfectionnement de structures d’irrigation déjà en place que de réelles créations de nouveaux ouvrages.

Le choix de ce secteur pour le consacrer à la riziculture tient au fait que l’exploitation du terroir bénéficiait toute l’année du cours de quatre rivières pérennes : le Zawgyi, le Panlaung, le Samon et le Myitnge. Sur les deux premières étaient aménagés de multiples canaux, ainsi que sept barrages qui existaient à la période de Pagan : trois étaient sur le Zawgyi, tandis que les quatre autres étaient alimentés par le Panlaung 288 . La légende et les textes attribuent la paternité de ces sept ouvrages à Anawratha 289 qui, au cours d’un songe se serait vu attaqué par trois serpents : celui venu du sud aurait été tué et découpé en quatre morceaux par le souverain, celui au centre aurait été coupé en trois, tandis que celui ayant surgi du nord aurait réussi à prendre la fuite. Les astrologues interprétèrent le songe et en déduirent qu’il fallait aménager trois barrages sur le Zawgyi et quatre sur le Panlaung, tandis que le serpent qui était parvenu à s’enfuir symbolisait le Myitnge sur lequel il était inutile d’entreprendre des travaux. De nos jours encore, ce fleuve reste indompté, malgré les efforts des ingénieurs britanniques en leur temps !

L’appellation « 11 khayaing de Mlasca » ou « 6 khayaing de Khrok » ne résulte pas du nombre de barrages ou de réservoirs mais de celui des villes qui administraient l’ensemble des ressources de la région. Mlasca représentait le cœur de ce domaine, la ville à laquelle les 10 autres khayaing étaient subordonnés. Mlasca est en réalité l’ancien nom de Myittha, elle aussi une ville forteresse. L’établissement de ces 11 villes, dont voici la liste 290 accompagnée de la date de la première inscription qui la mentionne, est généralement attribué à Anawratha 291  :

Nom moderne Nom ancien Date de la 1 ère inscription
Pinlè Panlai 593 BE – 1231 AD
Myitmana Plañmana 560 BE – 1198 AD
Myittha Mlasca 554 BE – 1193 AD
Myingondaing Mrankhuntuin 560 BE – 1198 AD
Yamôn Ranum 560 BE – 1198 AD
Panan Panan 560 BE – 1198 AD
Mekkhaya Makkhara 560 BE – 1198 AD
Tabyettha Tapraksa 610 BE – 1248 AD
Thindaung Santon 560 BE – 1198 AD
Tamôt Tamut 560 BE – 1198 AD
Hkanlu Khamlhu 564 BE – 1202 AD

Notes
286.

Luce 1959, « Old Kyaukse… », p. 84.

287.

Stewart 1925, vol. A, p. 13.

288.

Les barrages de Nwadet, Kunhsè et Gutaw étaient aménagés sur le Zawgyi, et ceux de Kinda, Nga Naingthin, Pyaungbya et Kumè dépendaient des eaux du Panlaung.

289.

Pour la liste des travaux hydrauliques d’Anawratha, voir GPC, p. 96.

290.

Ces informations sont tirées de Luce 1969, vol. 1, p.30.

291.

GPC, p. 97.