Les 6 khayaing de Khrok

Ce domaine irrigué se situe dans la région de Minbu, et occupe une plaine bordée à l’est par l’Irrawaddy et à l’ouest par les contreforts de la chaîne montagneuse de l’Arakan (carte 7). Bien moins célèbre que les 11 khayaing de Mlasca, le nom de Khrok n’apparaît qu’une seule fois dans le matériel épigraphique, en 1207 298 . Son importance économique, était probablement un peu inférieure à celle de la région de Kyaukse qui, administrée par le double de centres urbains, disposait aussi d’une surface cultivable bien supérieure. Le terroir des 11 khayaing de Kyaukse, en tenant compte de la répartition des villes chargées de son administration, de la distribution de l’eau et du relief, atteint une surface exploitable d’environ 700 km². Dans le cas de la zone de Minbu, en intégrant les mêmes critères, c’est-à-dire l’implantation urbaine des khayaing, la diffusion du réseau d’irrigation et les aléas du relief, la surface d’exploitation agricole ne dépasse guère les 160 km². Le poids économique de cette région était néanmoins de taille puisqu’elle représentait le second grenier à riz de l’empire. De plus, sa position stratégique permettait le contrôle des passages et des échanges terrestres avec l’Arakan. Son éloignement de la capitale était tout à fait similaire à celui des 11 khayaing de Kyaukse.

La mise en place du réseau hydraulique a été rendue possible par la présence de trois rivières pérennes : le Man, le Salin et le Mon. De nombreux aménagements sur le Man sont dûs au roi Alaugsithu, tandis que le creusement de plusieurs canaux a été l’ouvrage du roi Narapatisithu. Le Salin est le cours d’eau qui semble avoir été le moins exploité des trois, et les travaux qui y ont été entrepris dateraient, semble-t-il, du règne de Kyawswa, l’un des derniers monarques de Pagan. Ainsi, à l’image de la région de Kyaukse, on retrouve le même schéma de développement à travers l’histoire, puisque les mêmes monarques sont impliqués dans l’édification et l’amélioration des systèmes en place, à savoir Anawratha pour la création et la première élaboration du système économique et administratif, Alaungsithu et Narapatisithu que l’on considère comme des rois ayant mené une politique de consolidation du pouvoir dans son ensemble, et enfin Kyawswa qui, à défaut d’assurer les assises de son pouvoir, tenta au moins de le reprendre en main.

Comme dans la région de Kyaukse, les Birmans ne sont pas arrivés dans la plaine de Minbu sur un terrain vierge d’occupation. De Minbu à la vallée du Chindwin, le long de la rive occidentale de l’Irrawaddy, les Palaungs (Ponlon), une population appartenant au groupe Môn-Khmer, étaient déjà installés dans ce secteur et avaient déjà mis en œuvre les premiers systèmes d’irrigation 299 . Les inscriptions témoignent également, dès le VIIIème siècle, de la présence dans ce secteur des Cakraw, identifiés sans certitude absolue avec les Sqaw Karens. Ces derniers auraient également exploité des systèmes d’irrigation comme le mentionne une inscription retrouvée à Salin 300 . Le khayaing central Khrok était certainement la ville actuelle de Salin, mentionnée souvent sous la transcription Calan ou Clan 301 . Les cinq autres villages qui lui étaient subordonnés n’avaient pas été identifiés avec certitude par G.H. Luce. En l’absence de la publication du volume À du Minbu District Gazetteer, ce dernier avait tenté de les reconnaître, par recoupement des formes linguistiques entre le matériel épigraphique en sa possession et les noms modernes appliqués dans la circonscription de Salin. J’ai pu, au cours de mes enquêtes de terrain, interroger de nombreux habitants à Salin et dans les environs, puis prospecter les sites que Luce avait identifié provisoirement. Il en résulte que la tradition orale et l’histoire locale de chacun des villages confirment totalement les identifications que G.H. Luce avait proposées en son temps. En voici la liste avec en caractères droits les noms modernes de ces villages et en italique la transcription des noms qui apparaît dans les inscriptions : Kyethagaing (Kyaksakuin), Mayagon (Muruiwkun), Yamagaw (Yapakaw), Yinmapya (Lanmapla), Aukhlaing (O’Luin).

Notes
298.

Luce 1959, « Geogrphy of Burma… », p. 46.

299.

Luce 1959, « Old Kyaukse… », p. 86.

300.

Op. cit., p. 87 et note 57 de la même page.

301.

Luce 1959, « Geography of Burma… », p. 46.