Le rempart

Le rempart de Pagan aurait connu plusieurs étapes de construction. Des recherches archéologiques récentes sur la fortification basées sur des datations au C14, les premières dont on dispose à propos de cette structure, sont venues enrichir et bouleverser en partie l’état de nos connaissances sur l’histoire du système défensif de la ville. Ces études de datation ont été menées par une équipe australienne dans les années 1990 314 , lorsque le gouvernement du Myanmar entreprit des travaux de restauration et de reconstruction d’une portion du rempart de Pagan, ce qui a permis d’effectuer une série de prélèvements dans les décombres de la structure. Il y a peu de temps encore, on considérait que le rempart avait connu deux états de construction : le premier daterait du règne du roi Pyinbya qui l’aurait édifié en 849 de notre ère, percé de 12 portes et entouré d’une douve ; le second état résulterait des remaniements de la fin de la période de Pagan lorsque, menacé par l’avancée des troupes Mongoles, Naratihapathi aurait fait renforcer les fortifications de la ville en démantelant de nombreux temples pour en récupérer les matériaux. De vains efforts puisque le roi pris la fuite avant même que les Mongols n’atteignent la capitale en dérive. Le rempart visible aujourd’hui daterait, au moins en grande partie, de cette période qui marqua la chute irrémédiable de l’empire. Il est fort probable en tout cas que l’enceinte originelle n’ait jamais subi d’agrandissement, et son élément le plus ancien encore en place reste sans doute la porte Tharaba, ouverte dans la muraille est et qui daterait, d’après les sources épigraphiques, du début du règne de Kyanzyttha 315 , soit de la fin du XIème siècle. Quatre échantillons ont été prélevés par l’équipe australienne. L’un provient de la face nord, de la partie supérieure du mur d’enceinte, près de la seule porte qui demeure ouverte sur cette face, tandis que les trois autres sont issus de la face orientale : deux proviennent des niveaux de fondation du mur principal, et le dernier a été recueilli à l’intérieur d’une structure identifiée par les archéologues du Département d’Archéologie de Pagan comme des latrines. Composée d’anneaux en terre cuite de 45 cm de diamètre qui s’emboîtent les uns sur les autres, avec une lèvre légèrement éversée dans la partie supérieure, il est également possible que ces structures soient des puits comme on en connaît de très nombreux exemples dans le Nord de l’Inde et au Bengale. Plusieurs installations de ce type ont été trouvées le long de la face est, dans l’espace qui s’intercale entre le mur d’enceinte et le fossé qui constitue la douve. Le prélèvement dont il est question ici provient d’un de ces aménagements situé à 60 m de la porte Tharaba. Cet échantillon a fourni la datation la plus ancienne, calibrée entre 990 et 1210, ce qui va néanmoins à l’encontre d’une construction de l’enceinte au IXème siècle. Pourtant, on trouve encore aujourd’hui des briques sur le rempart qui portent des marques de doigts, pratique que l’on rencontre largement sur des sites antérieurs à la prise de pouvoir par les Birmans, et qui semble clairement disparaître dans les constructions édifiées par ces derniers. Les deux autres prélèvements issus des niveaux de fondation de la face orientale donnent des fourchettes chronologiques de 1030-1300 pour l’un, et 1020-1220 pour le second, trop larges pour être un résultat véritablement satisfaisant et novateur. Enfin, l’échantillon provenant de la face nord fournit pour sa part une datation s’échelonnant de 1390 à 1650 ce qui montre, à l’inverse des suppositions antérieures, que le site n’a pas continué à vivre dans un état de quasi-abandon. Ces dates prouvent en effet que l’occupation de Pagan était suffisamment importante, bien que loin de ce qu’elle avait été dans le passé, pour que le rempart subisse des réfections entre le XIVème et le XVIIème siècle.

Le plan d’origine de la ville pouvait être carré, mais plus probablement rectangulaire. Il ne subsiste aujourd’hui que trois faces de la muraille, le mur occidental ayant sans doute été emporté par les déplacements du lit de l’Irrawaddy. La surface engloutie par les eaux est généralement estimée au quart, voire au tiers 316 , de celle d’origine, évaluée à 150 hectares environ. L’ancien rivage face au site est visible sur photo aérienne et par le biais de documents topographiques 317 . De plus, un certain nombre de villages qui devaient se trouver sur la berge ouest de l’Irrawaddy et qui sont aujourd’hui sur la terre ferme, portent encore le suffixe kyun qui, en birman, désigne une île à l’intérieur d’un fleuve. C. Duroiselle a également noté dans l’un de ses rapports qu’un bastion appartenant à la muraille emportée par le fleuve était visible ainsi que des traces éparses du mur 318 .

Côté nord, le stupa Bupaya, d’origine pyu, se trouve actuellement au bord du fleuve, à l’extrémité ouest de ce mur rectiligne de 600 m de long environ. Il est possible qu’il en ait occupé la place centrale. Une ouverture est percée dans cette face mais elle ne serait qu’une brèche réalisée par les villageois et non une porte à proprement parler (ph. 399, pl. CXXXI). C’est au cours de la restauration de cette ouverture que l’échantillon daté au C14 a été prélevé sur la partie supérieure du mur nord. Le niveau de circulation actuel, à l’intérieur, serait pour sa part en dessous de celui de la période de Pagan. La douve est sèche le long de cette face nord, et large d’une trentaine de mètres (ph. 398, pl. CXXXI). L’angle nord-est a été interprété comme un ancien bastion, mais les vestiges actuels ne permettent pas d’affirmer qu’une telle structure était présente à cet endroit. Il en demeure néanmoins que la construction de cet angle est massive et suit une courbe arrondie et très régulière, différente de la morphologie des autres angles de la muraille (ph. 400 à 403, pl. CXXXI-CXXXII).

La face orientale, qui aurait autrefois été percée de 3 ouvertures, ne connaît aujourd’hui que 2 portes. La porte Tharaba, placée plus ou moins au centre de cette muraille est l’œuvre du roi Kyanzittha (ph. 407-408, pl. CXXXIV ; ph. 410 et 412, pl. CXXXV). Son ouverture est large de 7,6 m, et ses jambages massifs ont fait l’objet de réfections récentes sur les faces intérieures. L’ensemble de la structure paraît néanmoins authentique comme en témoignent les restes de stucs sur les parties supérieures, dans les angles des ressauts et à la base des moulures (ph. 409, pl. CXXXIV ; ph. 411, pl. CXXXV). Les deux maisons de nats, ou génies, placées en avant de la porte, au pied de l’ouverture, sont peut-être des ajouts postérieurs. La douve, au nord de la porte Tharaba, jusqu’à l’angle nord-est, est encore en eau.

Figure 81. Pagan – la porte Tharaba
Figure 81. Pagan – la porte Tharaba

(d’après Win Maung 1997)

Les travaux de restauration des années 1990 se sont largement concentrés sur cette face orientale. La base du mur du rempart formant un large décrochement a fait, en particulier, l’objet de reconstructions. Interprétés, sans doute à juste titre, comme des quais, les restaurateurs ont ajouté à ces décrochements des petits murets perpendiculaires au rempart et qui avancent sur la douve, formant des sortes de pontons (ph. 404 à 406, pl. CXXXIII). N’ayant pas vu la fortification avant ses travaux, ni dans la réalité ni sur photos, je ne saurais dire si la trace de telles structures était en place ou non. Il en demeure néanmoins qu’aucune des trois autres faces, même si l’élargissement de la base du mur est absolument indéniable, ne présentent ce genre d’avancées perpendiculaires. Au sud de la porte Tharaba, la douve est large et profonde mais sèche. Les quais ont été partiellement reconstruits, sans toutefois présenter de “pontons” (ph. 413 à 415, pl. CXXXVI). Une autre porte, nommée Tharawat est encore en partie visible. La morphologie de sa structure est très différente de la porte Tharaba et les restaurations récentes l’ont très probablement défigurée. Elle se présente sous la forme d’un bastion qui avance vers l’extérieur, percé d’une baie étroite dans sa face nord (ph. 416 à 418, pl. CXXXVII). Dans sa partie intra muros, on trouve aujourd’hui une rampe d’accès ou une structure qui y ressemble, incurvée à son extrémité et qui présente des reconstructions récentes (ph. 419, pl. CXXXVII). Deux petits murs rapprochés et parallèles au rempart sont également visibles, et sont percés de plusieurs baies. Ils se présentent actuellement comme des éléments qui semblent avoir été souterrains ou des structures de soutènement mais là encore, les rénovations ont peut-être considérablement modifié l’aspect d’origine.

Au-delà de la porte Tharawat, en se rapprochant de l’angle sud-ouest, on trouve les vestiges d’une éventuelle porte ancienne. Celle-ci se situe actuellement au niveau de la base du mur de rempart et a subi des rénovations. Ce passage est formé de deux rampes parallèles qui s’incurvent vers l’extérieur, chacune dans une direction opposée. La morphologie de ce passage ressemble à la structure des portes pyu, mais ces dernières sont situées à l’arrière des murs de rempart, tandis que dans ce cas, l’ouverture est placée en avant de la muraille (ph. 421, pl. CXXXVIII).

Figure 82. Pagan – plan général de la vieille ville
Figure 82. Pagan – plan général de la vieille ville

(d’après Thin Kyi 1966)

Tout au long de la face sud, la trace de l’ancienne douve est clairement visible et d’une largeur constante qui atteint environ 45 mètres (ph. 425, pl. CXL). À l’intérieur de ce fossé, on voit sur les photographies aériennes une série de monticules bas et allongés : ils auraient formé, d’après Thin Kyi, une ligne de défense extérieure, destinée à renforcer le rempart principal. Ces aménagements de terre, aujourd’hui recouverts par les cultures sèches qui entourent la vieille ville de Pagan suivent le tracé du mur. Ce tracé est moins régulier que celui des autres faces et ondule à plusieurs endroits (ph. 426-427, pl. CXL). Certaines de ces déformations seraient peut-être dues, d’après Thin Kyi, à des remaniements du rempart consécutifs à l’édification du temple Thatbyinnyu 319 . Une porte, sans doute d’origine ancienne s’ouvre pour mener vers le village de Myinkaba (ph. 431, pl. CXLII). Elle a également subi des restaurations de même que la muraille qui se dirige à l’ouest de celle-ci. Par contre, à l’est de cette porte, une grande partie du mur du rempart n’a pas été concernée par les travaux de reconstruction. C’est dans cette partie que les traces de quais hypothétiques sont encore nettement visibles sans avoir été rénovés, la base du mur est en tout cas nettement plus large que la partie haute de la muraille (ph. 428 à 430, pl. CXLI ; ph. 432-433, pl. CXLII).

Dans le secteur intra muros, outre les édifices religieux, la découverte et la fouille d’un vaste bâtiment de plan et d’organisation complexes (n° 1590), interprété comme le palais du roi Kyanzittha ont également permis d’effectuer des prélèvements de charbons et d’apporter de nouveaux éléments en terme de datation absolue sur l’occupation de la vieille ville. Les vestiges de cet édifice se composent essentiellement de nombreux murs de briques formant des pièces carrées ou rectangulaires, mais surtout de bases circulaires d’environ 1 m de diamètre, parfois en pierre parfois en brique, servant de support à d’anciens pilotis en teck (ph. 434 à 437, pl. CXLIII-CXLIV). Ces bases de colonnes sont essentiellement localisées dans les parties est et nord du complexe architectural. La date de ce bâtiment n’était connu jusque là que par le matériel épigraphique puisque l’on dispose d’une inscription retrouvée au début du XXème siècle près de la porte Tharaba qui situe sa construction en 1102 320 . D’épaisses couches de cendre et de charbon ont été retrouvées sur le site, indiquant une destruction au moins partielle du bâtiment par les flammes d’un incendie. Trois échantillons ont été prélevés et analysés 321  : les deux premiers proviennent de deux niveaux distincts des couches de cendre situées de l’angle sud-est de la construction, tandis que le troisième, un fragment de teck brûlé, a été recueilli dans la partie ouest. Ce dernier échantillon a fourni la datation la plus ancienne, calibrée entre 980 et 1250, mais cette fourchette chronologique est hélas trop large pour permettre d’être plus précis sur la période de construction et pour confirmer ou infirmer les données dont on disposait à travers le matériel épigraphique. Les deux autres prélèvements ont été datés de 1220-1300 pour l’un et 1320-1440 pour l’autre. Ces résultats tendent à montrer que les parties détruites par l’incendie auraient été reconstruites au XIVème-XVème siècle, ce qui soutient là encore l’hypothèse de l’importance relative de l’occupation du site après la chute de l’empire de Pagan et le déplacement des capitales plus au nord de la vallée. Ces informations chronologiques semblent également montrer que la partie ouest est peut-être plus ancienne que le secteur oriental, et que ce bâtiment aurait peut-être connu plusieurs étapes de constructions.

Figure 83. Pagan – le palais (n° I590)
Figure 83. Pagan – le palais (n° I590)

(d’après Grave & Barbetti 2001)

Notes
314.

Voir, pour plus de détails, l’article de Grave, P. et Barberri, M. 2001 qui donne les résultats complets et la méthode de cette recherche.

315.

Luce 1969, vol. 1, p. 7.

316.

Thin Kyi 1966, p. 180.

317.

Op. cit., p. 179

318.

A.S.I. 1913, p. 136, n° 3 ; Luce 1969, vol. 1, p. 6.

319.

Thin Kyi 1966, p. 185.

320.

Cette inscription indique la construction d’un palais à l’intérieur des murs de la ville en 1102, sans toutefois en donner la localisation exacte (Grave, P. et Barberri, M. 2001, p. 80).

321.

Cette étude a également été menée par l’équipe australienne, en même temps que les recherches et les prélèvements qui ont été effectuer en différents points du rempart. Les résultats concernant la datation du palais sont publiés dans le même article (Grave, P. et Barberri, M. 2001).