La planification urbaine

Les phases du développement urbain de Pagan semblent correspondre avec les étapes historiques, artistiques et architecturales de l’évolution du royaume. Les historiens s’accordent à définir trois périodes marquantes entre le milieu du XIème siècle et la fin du XIIIème. La première s’étend de l’unification du pays par Anawratha en 1044 jusqu’au début du XIIème, où l’influence Môn est décisive et où les Birmans assimilent une partie de cette culture. La seconde, parfois qualifiée “d’intermédiaire”, commence avec le règne d’Alaungsithu (1113-1155) et s’achève avec celui de Narapatisithu (1174-1210). La langue birmane supplante la langue mône, jusqu’alors langue d’état. Enfin, la troisième se caractérise par des troubles divers et mène jusqu’au démantèlement puis à la chute de l’empire ; elle débute dans les premières années du XIIIème siècle. D’après U Khan Hla 322 , les phases de développement de la capitale se sont réparties en quatre étapes importantes, les deux premières étant une subdivision de la première période qui vient d’être citée précédemment.

Les premières planifications urbaines auraient débuté au retour de la conquête de Thaton par Anawratha en 1057, expédition d’où il revint accompagné de nombreux prisonniers de guerre, fournissant ainsi un savoir-faire et une main-d’œuvre précieuse. Commencent alors les premières extensions hors les murs avec, au sud, la construction du stupa Lawkananda (1059) au bord du fleuve et du village actuel de Thiripyitsaya, puis la délimitation de la “frontière” nord-est du nouveau territoire de la cité par l’édification du temple Kyaukku-Umin, au-delà du village de Nyaung-U. Enfin, le stupa Shwesandaw, un des onze plus grands monuments de la ville, fut édifié près de l’angle sud-est de l’enceinte, marquant le point central de la composition des futurs développements.

La seconde phase d’évolution du paysage urbain s’amorce avec l’arrivée au pouvoir de Kyanzittha. L’expansion de la capitale s’esquisse sur une échelle nettement plus large. Le roi achève le gigantesque stupa de Shwézigôn (1086) commencé par Anawratha sur les berges de l’Irrawaddy, à 4 km au nord-est de la cité, entre les villages de Wetkyi-in et Nyaug-U. La limite sud du territoire est repoussée d’un kilomètre environ par rapport à la phase précédente, grâce à la construction du stupa Sittanagyi au sommet d’une petite colline. Le monument se repère de très loin depuis le fleuve mais également depuis la route. Le bâtiment le plus marquant sur la ligne centrale est le temple Ananda, entre l’ouverture la plus au sud de la muraille est et la porte Tharaba. Pendant cette période, l’activité architecturale s’est fortement concentrée aux alentours des villages de Myinkaba, au sud, et de Wetkyi-in au nord-est. Dans le premier, un complexe religieux fut construit, comportant notamment les gigantesques temples de Nagayôn, Abeyadana (1090) et Kubyaukkyi (1113). Le second fut enrichi d’un groupe de bâtiments connu sous le nom Alopyi, et quelques nouveaux monuments bouddhiques sont également ajoutés dans la ville intra muros. En 1112, à la mort de Kyanzittha, les principales aires de construction et de concentration des monuments sont établies.

La troisième phase est synchrone avec la seconde période de l’empire, définie par les historiens comme “intermédiaire”. L’édification en 1143-44 du temple colossal de Thatbyinnyu renforce le secteur central immédiatement proche des fortifications, et décale légèrement le point essentiel en le ramenant sur lui. Le développement urbain s’est particulièrement concentré dans la plaine durant ce laps de temps. De nombreux monuments ont vu le jour, selon un tracé interrompu reliant Wetkyi-in et Thiripyitsaya en passant par Pagan. Ces édifices épars forment un arc de cercle en pointillé, parallèle à la courbe du fleuve. Des monastères s’ajoutent dans la plaine à la fin de cette période. Distants de 4 à 5 km des rives de l’Irrawaddy, ils se déploient également selon le schéma d’un arc de cercle interrompu mais inverse à la courbe que dessinent les pagodes.

La quatrième et dernière phase d’urbanisme à Pagan manifeste une intensité de construction dans sa première partie, c’est-à-dire de 1170 à 1218, où de nombreux monuments complètent les intervalles dans la plaine. Cette agrégation d’édifices confirme le dessin d’un arc de cercle, lequel aboutit à une largeur d’un à deux kilomètres. Les monastères se multiplient également pour former une chaîne de bâtiments dont les extrémités sont jointes à celles de la courbe que dessinent les pagodes. Ce chapelet de nouveaux monastères présente également un tracé en arc de cercle faisant miroir au précédent formé par les pagodes. De plus, cette phase voit naître cinq des onze plus grands monuments qui furent érigés pendant la période médiévale. Il s’agit des temples Dhammayangyi (commencé par Alaungsithu et achevé par son fils Narathu), Sulamuni (1183), Gawdawpalin (1196) et Htilominlo (1211), ainsi que du stupa Dhammayazika (1196), tous essentiels dans les derniers compléments de l’aménagement du plan de la capitale. Plusieurs centaines de stupas, temples et monastères furent construits entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle 323 . Au delà du règne de Nadaungmya, l’activité architecturale devient de plus en plus modeste et finit par s’éteindre dans la deuxième moitié du XIIIème siècle. Le seul édifice qui fait exception à ce phénomène de déclin est le stupa Mingala, dernier bâtiment construit à Pagan datant de 1284, au sud de la cité. La multiplication des constructions de complexes monastiques et d’édifices de petite taille, qui colonisent de préférence l’intérieur des terres, laissent supposer un développement plus largement soutenu par l’initiative des communautés villageoises que par celle du pouvoir central 324 .

Le domaine de l’architecture civile pose un véritable problème quasi insoluble en raison des destructions inévitables causées par les ravages du temps sur les matériaux utilisés. En effet, les matériaux durables telles la pierre et la brique étaient exclusivement réservés à l’usage des bâtiments religieux et à l’édification des systèmes défensifs. Les constructions civiles se contentaient de matériaux périssables, principalement le bois et le bambou. Le temps n’est pas seul responsable des dégradations, car les incendies, pour la plupart accidentels, sont une cause majeure de la destruction des constructions en bois. Des fouilles à Pagan, parfois entreprises par les villageois à la recherche de trésor, ont dégagé de nombreuses couches de cendres sur différents niveaux, témoignant ainsi d’incendies successifs 325 . Seuls trois complexes d’habitats royaux sont connus par le biais d’inscriptions gravées sur des stèles : le palais de Kyanzittha localisé à l’intérieur de la vieille ville fortifiée ; un autre près du village de Thiripyitsaya ; enfin un dernier à proximité de l’actuel village de Pwasaw ouest. Ces deux derniers palais sont probablement à envisager comme résidences suburbaines, alors que l’emplacement du premier suggère qu’à la période médiévale, le secteur intra muros de l’ancienne cité aurait été converti en quartier palatin.

Concernant l’habitat ordinaire, seules des hypothèses et des spéculations peuvent être proposées. Dans toutes les sociétés traditionnelles, la permanence de l’implantation et du type d’habitat apparaît clairement. Visiblement, aucun changement fondamental n’est venu transformer les habitudes des populations dans ce domaine, mais la disparition définitive de toutes preuves en la matière ne permet que la supposition d’une constance concernant l’habitat domestique et privé, comme dans l’ensemble du Sud-Est asiatique. Il est fort possible en revanche qu’une grande partie de la population attachée aux travaux d’architecture et aux métiers nécessaires à l’aboutissement final d’un monument, ait été sans cesse logée dans des bâtiments provisoires. La légèreté des matériaux, la rapidité et la facilité avec lesquelles peuvent être construites les maisons de bois et de bambou permettent de penser que des villages d’ouvriers et d’artisans étaient continuellement déplacés et implantés en fonction de l’édification des monuments religieux, des palais royaux, des complexes monastiques, ou des résidences de hauts fonctionnaires. Dans ce cas, la capitale aurait connu deux types d’habitat: l’un fixe et permanent, à l’origine des villages actuels ; l’autre mobile et temporaire, destiné à loger les ouvriers et artisans résidants sur les lieux de leur activité professionnelle.

L’agrandissement considérable de la capitale et sa richesse sont à lier à la prospérité économique de l’empire mais également aux structures politiques et surtout militaires de l’état, car l’étendue de la cité atteint 40 km² environ à son apogée, sans aucune fortification, contrairement à la ville d’origine où une surface d’1,5 km² était enserrée dans une installation défensive puissante pour l’époque. Les bénéfices tirés des terres conquises avaient permis le financement de monuments gigantesques mais s’amenuisaient progressivement, et, au moment où les menaces extérieures devinrent redoutables, la capitale n’eut plus les moyens de s’offrir les aménagements défensifs nécessaires à sa mesure.

Figure 84. Pagan – la planification urbaine
Figure 84. Pagan – la planification urbaine

(d’après Kan Hla 1977)

Notes
322.

U Kan Hla 1977.

323.

U Kan Hla 1977, p. 19

324.

Hudson et al. 2001, p. 62.

325.

Lubeigt 1997, p. 113