Les aménagements portuaires

La majorité de la population civile de l’ancienne capitale, résidait entre les berges de l’Irrawaddy et la route qui relie actuellement Pagan et Nyaung-U. Ce secteur forme une bande s’étirant sur une douzaine de kilomètres de Nyaung-U, à l’extrémité nord-est, et Thiripyitsaya, qui marque la limite sud, en traversant le village de Myinkaba et l’ancienne cité fortifiée. La largeur de cette zone varie de 500 à 1000 mètres. La population, qui semble avoir été la plus dense à l’époque médiévale, a formé une agglomération continue dont il ne reste aujourd’hui que des fragments, et dont les points forts se situaient aux alentours des aménagements portuaires, ou supposés tels. Ceux-ci se trouvaient à Nyaung-U, Wetkyi-in, Myinkaba et Thiripyitsaya, à l’embouchure du fleuve et des rivières qui pénètrent à l’intérieur des terres pendant la crue. Pendant la saison sèche, il était possible de tirer les bateaux sur la berge. Des bassins artificiels ont été creusés près de ces embouchures, derrière la berge du fleuve, et formaient peut-être de petits ports protégés capables d’accueillir plusieurs dizaines d’embarcations. Celles-ci pouvaient rester à quai ou être halées sur le sable, afin de charger ou de décharger les marchandises. On rencontre des exemples de ces bassins artificiels au sud de la pagode Lokananda, zone portuaire qui semble avoir été la plus importante, à Myinkaba, et au nord-ouest de la pagode Shwézigôn. Les bateaux arrivant par le sud, notamment les marchands indiens et cinghalais, pouvaient être accueillis dans le port de Thiripyitsaya, alors que ceux provenant du nord pouvaient débarquer dans les ports de Nyaung-U ou de Wetkyi-in. La contemporanéité de ces aménagements n’est toutefois pas attestée puisque aucune recherche archéologique de terrain n’a pour l’heure été entreprise dans ces secteurs.

Il est possible que la cité fortifiée ait elle-même disposé de deux ports : l’un accolé aux douves de la face sud, et l’autre à l’est, au nord de la porte Tharaba. Le premier aurait pu être spécialisé et aménagé dans la perspective de réceptionner d’importants navires ou bateaux de gros tonnage si l’on considère la largeur exceptionnelle de la douve méridionale, bien plus importante que celles qui longent les autres faces. Les rectifications apportées sur le mur au fil du temps laissent voir plusieurs quais étagés sur différents niveaux. Soit ces décalages résulteraient de réaménagements successifs, soit ils seraient contemporains les uns des autres, et s’adapteraient ainsi aux fluctuations du niveau du fleuve. On peut également supposer que ce port aurait pu servir au transport de forces militaires telles que la cavalerie ou l’éléphanterie de guerre, ainsi que les fantassins 326 . Pagan étant une capitale géographiquement centrée au cœur de son territoire, il est fort possible que les récoltes produites dans les zones agricoles spécialisées, les khayaing, qui transitaient inévitablement par la capitale avant d’être redistribuées, arrivaient par bateaux et étaient peut-être déchargées de ce côté de la ville ou dans l’un des deux ports situés aux extrémités nord et sud du territoire de la ville. Des aménagements destinés à l’accueil et à la préparation des bateaux de marchandises ou transportant des denrées diverses étaient de toute façon inévitables à Pagan, comme le montrent l’importance du fleuve dans le choix d’implantation du site pour y installer la capitale, et le choix délibérer d’un pouvoir centralisé qui contrôle l’ensemble des productions agricoles du pays et le commerce avec les pays étrangers.

Les douves de part et d’autre de la porte Tharaba ont également été dégagées, et des salles accolées à la muraille ont été mises au jour. Celles-ci pourraient avoir été, d’après Lubeigt, des magasins royaux 327 . Des quais les prolongent, qui sont probablement à envisager comme formant le port privé du palais royal, maintenant ainsi le contact avec les zones économiques importantes du royaume, tout en restant à l’écart des ports comme Nyaung-U et Thiripyitsaya, sans doute plus actifs en matière de commerce extérieur. La proximité de ces quais avec l’emplacement supposé du palais au centre de la cité fortifiée répond à l’idéologie des monarques birmans voulant entrer et sortir de leur résidence palatiale en barque, ou du moins s’en approcher au plus près. Un dispositif similaire fut aménagé dans les capitales plus tardives des second et troisième empires birmans, à Ava, Amarapura et Mandalay. On sait, par l’exemple de cette dernière, que la barge royale n’empruntait pas le chemin le plus court lors des entrées et sorties du souverain mais un circuit calqué sur le trajet initiatique de la circumambulation autour des stupas qui s’effectue dans le sens des aiguilles d’une montre. Dans le cas présent, le palais, et peut-être par extension la vieille ville transformée en quartier palatin, serait considéré comme un lieu saint puisqu’il est la demeure d’un personnage prédestiné à devenir un futur Bouddha, et qu’il convient, comme dans les autres pays indianisés, d’en faire le tour par la droite pour l’honorer.

Il est possible que l’Irrawaddy se substituait directement aux douves de la face ouest des fortifications, schéma que l’on retrouve, par exemple, à Ava. Actuellement, même en période de crue du fleuve, les eaux n’atteignent pas les douves et restent à plusieurs mètres en dessous. Aucune trace d’un quelconque système hydraulique n’a été retrouvée. En fait Pagan est précisément située sur un petit axe anticlinal qui soulève peu à peu la terrasse de l’Irrawaddy ; de plus, cette région a été plusieurs fois soumise à de violents tremblements de terre, le dernier qui date de 1975 avait pour épicentre la zone de Pagan. Ces mouvements et soulèvements du sol, ajoutés aux déplacements du lit du fleuve qui ont englouti une partie de la ville, ont conduit à l’assèchement de ces douves.

Des campagnes de fouille sont à ce jour indispensables pour en dire plus sur ces aménagements situés à Nyaung-U et Myinkaba, peut-être de fonction portuaire. Ce nouveau programme verra peut-être le jour dans les prochaines années comme le projette l’Université de Sydney 328 .

Notes
326.

Lubeigt 1998, p. 101

327.

Lubeigt 1998, p. 119

328.

Bob Hudson, communication personnelle (2003).