Le royaume du Nan-Chao

Au nord-est, les différents royaumes occupant la Birmanie centrale et notamment celui des Pyu, ont du faire face durant de longs siècles à leur puissant voisin du Nan-Chao. Cet état, qui vivait en marge du monde chinois, occupait l’actuel province du Yunnan et entretenait de bonnes relations diplomatiques avec l’Empire du Milieu puisque c’est sous son “patronage” qu’une ambassade pyu se rendit à la cour des T’ang en 802 342 . Il semblerait d’ailleurs, dans les années 760, que le royaume pyu et avec lui toute la Haute Birmanie tombèrent sous la domination du Nan-Chao, dirigé alors par Ko-lo-feng. Les sources chinoises nous indiquent par ailleurs que le sac de Sri Ksetra au IXème siècle fut organisé par ce royaume. La Nouvelle Histoire des T’ang affirme également que le Nan-Chao aurait préparé en 835, soit à la même époque, des attaques militaires contre le royaume Môn de Basse Birmanie 343 . Si la réalité d’une intervention militaire dans le Sud du pays n’est confirmée par aucune autre source ni aucune évidence historique, en revanche la chute du royaume pyu provoquée par l’armée du Nan-Chao ne fait plus de doute. On sait également que ce royaume contrôlait les voies terrestres reliant la Chine à l’Inde en passant par l’Assam et la Haute Birmanie. Ce grand axe de communication partait de Pataliputra (l’actuelle Patna) puis passait par Champa (Bhagalpur), Kajangala (Rajmahal), Pundravardhana (Mahasthan), puis Kamarupa (Gauhati) en Assam. Se poursuivant à travers les montagnes et forêts de Birmanie, il atteignait la haute vallée de l’Irrawaddy dans la région de Bhamo d’où l’accès à Kunming se fait facilement. Trois itinéraires différents, encore en usage aujourd’hui, menaient de Mahasthan ou Gauhati à Bhamo : le premier remontait la vallée du Brahmapoutre puis redescendait vers la Birmanie en passant par les montagnes de Patkai ; le second passait par Manipur puis la vallée du Chindwin et rejoignait ensuite la Haute vallée de l’Irrawaddy ; enfin la troisième passait par l’Arakan, traversait les montagnes par la route de Am et remontait l’Irrawaddy jusqu’à Bhamo 344 .

La constitution de l’état de Nan-Chao résulterait de la fédération de six régions, appelées Chao, occupées par différents groupes de population. Chacun ne pouvant prendre le dessus ou au moins l’avantage sur son voisin, et tous étant en butte aux expéditions menées à leur encontre par les généraux T’ang, les six Chao s’unirent pour former au milieu du VIIème siècle un royaume sur les traces qu’avaient laissées l’ancien royaume de Kunming 345 . La machine administrative de ce nouvel état semble s’être largement inspiré du modèle chinois, mais les sources donnent finalement peu de détails à ce sujet. Le roi était entouré d’un conseil des ministres dont chacun détenait également une importante fonction militaire 346 . Il est difficile d’établir des comparaisons avec leurs contemporains Pyu, qui obéissaient eux aussi à un monarque, car leur système administratif, bureaucratique et militaire nous sont à ce jour totalement inconnus.

La capitale du Nan-Chao était établie sur le site de l’actuelle ville de Tali. Nos sources ne nous fournissent aucune description de la ville elle-même, mais il semblerait que le rempart de la plupart des établissements urbains en Chine, sous la dynastie des T’ang, puis sous celle des Song, était fait de terre mêlée à des fragments de pierre, destinés à renforcer l’armature, l’ensemble étant recouvert régulièrement de chaux 347 . Il est tout à fait probable que la région du Yunnan à cette époque, temporairement sous la domination du Nan-Chao n’ait pas fait exception à cette règle. D’ailleurs on peut se demander si les remparts de terre de nombreuses villes dont la répartition se concentre exclusivement sur la Haute Birmanie, ne remonte pas à une tradition chinoise.

L’affaiblissement puis le déclin de la dynastie T’ang à la fin du IXème siècle font que nous n’avons que peu de renseignements sur le Yunnan à cette époque, mais les influences culturelles venant d’Asie du Sud-Est se seraient intensifiées dès cette période 348 . Cependant, sur le plan diplomatique, les échanges du Nan-Chao avec le reste de la péninsule indochinoise paraissent peu développés. Le Yunnan perdit définitivement son indépendance face aux Mongols en 1253.

Notes
342.

Backus 1981, p. 98.

343.

Backus 1981, p. 129.

344.

Bagchi 1981, p. 22.

345.

Backus 1981, pp. 54-55. La liste communément admise des six chao est la suivante : Meng-sui, Yueh-hsi, Teng-t’an, Shih-lang, Lang-ch’iung et Meng-she. L’identification de ces chao avec des localisations modernes est incertaine dans certains cas.

346.

Backus 1981, p.78-79.

347.

Elisseeff 1987, p. 370.

348.

Backus 1981, p. 160.