La région de Tagaung

La vieille ville de Tagaung est considérée comme le berceau de la civilisation birmane sur le territoire actuel du Myanmar, nous l’avons évoqué dans la partie précédente de notre travail. Quelques fouilles aux résultats difficilement accessibles, y ont été entreprises ces dernières années par le Département d’Archéologie, mettant au jour un éventuel troisième rempart qui cernerait les deux que l’on connaissait déjà. Ces deux derniers sont parfaitement visibles sur le site à certains endroits. On ne connaît pas de site pyu plus au nord que celui de Halin, et comme nous l’avons noté également plus haut, la région de Tagaung et son territoire environnant était essentiellement occupée par la population Kadu entre le XIème et le XIIIème siècle.

Ainsi, que ce soit au cours du premier millénaire ou de la période de Pagan, le région de Tagaung semble avoir été un peu en marge du pouvoir dominant de la Birmanie centrale. Elle semble en effet avoir connu des phases d’autonomie avant la conquête birmane puis, une fois assujettie au royaume de Pagan, elle resta en marge du “noyau” central comme le montrent les limites géographiques que nous avons définies comme le territoire minimum du pouvoir central, Tamradipa. Ce sont ces limites territoriales qui nous ont amenées à considérer la région de Tagaung comme un territoire transfrontalier, une zone “tampon”, intercalée entre la plaine de Birmanie centrale et le royaume du Yunnan ou Nan-Chao.

La légende de fondation fait état d’un royaume indianisé et situe sa création plusieurs siècles avant la naissance du Bouddha, l’attribuant à un prince Sakya qui avait quitté l’Inde. Elle mentionne ensuite une réoccupation de la cité par un autre prince en fuite vers le VIème siècle avant notre ère. D’après la chronique du site, Tagaung aurait été, à l’époque du Bouddha, la capitale d’un royaume du nom de Kamboja 349 . Sur le plan archéologique, les fouilles réalisées entre 1967 et 1969 ont montré qu’il était impossible de faire remonter l’existence de Tagaung avant les premiers siècles de notre ère 350 .

Le site se présente sous la forme de deux petites villes jumelles fortifiées, juxtaposées l’une à l’autre. La plus petite dont l’enceinte forme un ovale imprécis, se trouve dans la partie nord. Les berges de l’Irrawaddy se sont déplacées vers l’est, et les eaux ont emporté une petite partie du mur ouest qui longe le fleuve. Néanmoins on y devine encore une porte. Des sondages effectués dans l’angle sud-ouest et de l’autre coté du mur ouest, ont permis de montrer que ce mur était une construction postérieure à l’enceinte occidentale initiale, après que celle-ci ait été totalement engloutie par le fleuve. À chacun de ces deux points (de part et d’autre du mur ouest dans l’angle sud-ouest), les fondations d’un bastion de plan carré ont été mises au jour. Ce dernier appartient au premier stade de construction de la fortification, puisque sa largeur est supérieure à la projection de l’angle que forment les murs sud et ouest. Le mur oriental s’étire sur une longueur d’environ 700 m et une porte d’accès en chicane, visible sur le plan, est ouverte dans le mur occidental, dans la partie sud qui n’a pas été emportée par les eaux du fleuve.

Figure 87. Tagaung – une porte de la ville
Figure 87. Tagaung – une porte de la ville

(d’après Win Maung 1997)

Le second ensemble fortifié, se situe au sud ; désigné sous le terme de “vieux Pagan”, il est de taille supérieure et ne possède de murs que sur trois côtés, le quatrième ayant sans doute été emporté par les eaux. Son plan rectangulaire est orienté nord-sud : la face orientale dépasse 1500 m, tandis que la face sud s’étire sur 750 m environ et que la face nord, qui est la plus courte, est conservée sur à peu près 500 m. Chacun des murs est et sud possède une porte d’entrée dont la configuration d’accès en chicane demeure un exemple unique en Birmanie. De nombreuses briques marquées au doigt ont été découvertes à maintes reprises sur le site, que ce soit au cours de fouilles ou de prospections 351 . à l’intérieur de la fortification s’élève la pagode Shwezigon qui, d’après la tradition locale, aurait été construite sous le règne d’un roi de Tagaung du nom de Mingyi Maha en 445 avant notre ère 352 . Seules des tablettes en terre cuite attribuées à la période de Pagan ont été retrouvées dans les ruines de ce monument qui a souffert de plusieurs tremblements de terre.

Figure 88. Tagaung – plan du site archéologique
Figure 88. Tagaung – plan du site archéologique

(d’après Win Maung 1997)

Les prospections du site ont été brèves et incomplètes, faute d’autorisation spéciale pour séjourner sur les lieux, mais nous avons toutefois pu visiter une partie des vestiges. Le premier ensemble fortifié est clairement visible et le mur du rempart de brique est conservé sur une hauteur importante mais variable selon les endroits, et percé de plusieurs brèches. Cet ensemble est actuellement occupé par le village et constitue la zone la plus densément peuplée de la commune. La ville sud est en grande partie recouverte par les champs, mais son rempart marque souvent le paysage sous la forme d’une butte de terre ; la douve qui le longe permet également d’en suivre le tracé. Dans la zone intra muros sud de cette ville, nous avons noté la présence d’une forte concentration de fragments de tuiles en terre cuite à la surface d’un champ tout juste labouré. C’est également à l’intérieur de ce grand ensemble fortifié que le Département d’Archéologie de Mandalay, qui mène encore aujourd’hui des campagnes de fouille, a entrepris le dégagement d’un temple de brique découvert par les habitants en 2000. Le secteur dans lequel l’édifice a été découvert était auparavant envahi par la végétation. Il n’en reste aujourd’hui que le pilier central sur deux des faces duquel s’appuie encore un Bouddha colossal; les façades et éléments de structures extérieures ont totalement disparu. Lors du dégagement du bâtiment, de nombreux fragments de sculpture ont été exhumés, ainsi qu’un ensemble d’environ 250 tablettes votives en terre cuite moulées. L’architecture des restes du temple ainsi que le matériel associé ont permis de dater cet ensemble à la fin de la période de Pagan. Lors de travaux agricoles, les habitants découvrent régulièrement des tablettes du même type, caractéristiques de la période de Pagan

Notes
349.

G.H. Luce & Pe Maung Tin 1921, p. 29.

350.

Aung Thaw 1972, p. 103.

351.

Aung Myint & Moore 1991, p. ; Hudson 2001, p. 67.

352.

George 1915,vol. A, p. 37.