Le royaume de Pattikkera

Au-delà de l’Arakan se trouvait, comme nous l’avons évoqué plus haut, la frontière de l’empire de Pagan dont le voisin était alors le royaume de Pattikera. La localisation exacte de la ville même est inconnue, mais le territoire de ce royaume correspondait à l’actuelle région de Mainamati-Comilla-Chittagong, aujourd’hui la zone sud-orientale du Bangladesh. La limite territoriale entre l’Arakan et cet ancien royaume du Bengale est également mal définie. T. Frasch a proposé de considérer cette région comme une zone d’interaction et de « mobilité culturelle » en raison de l’accessibilité très aisée tant par voies terrestres que maritimes 353 . D’ailleurs, l’une des deux routes majeures reliant Pagan à l’Inde traversait l’Arakan et Pattikera 354 . Les mentions de ce royaume bouddhiste dans les chroniques birmanes sont nombreuses et récurrentes; d’autres témoignages apparaissent dans les sources propres au Bengale. Dans les sources birmanes Pattikkera est mentionné à maintes reprises dans la Chronique du Palais de Cristal. On s’y réfère comme la frontière occidentale du royaume de Pagan ; une autre histoire décrit les intentions du roi Kyanzittha de donner sa fille en mariage au prince de Pattikkera ; les dernières pages de la Chronique racontent que le monarque Alaungsithu, figure majeure du premier empire birman, fut dans l’une de ses vies antérieures le fils d’un roi de Pattikera ; enfin, un autre chapitre du même texte relate une bataille qui se déroula à Pattikera entre l’armée du roi de Pagan et celle d’un usurpateur du trône d’Arakan 355 . La première mention datée du royaume de Pattikera figure dans un manuscrit rédigé en 1015, sans que la ville elle-même ne soit précisément localisée pour autant 356 . Une autre référence à ce royaume se trouve sur une “copper-plate” datant de 1220, et fait état de dons de terres religieuses à un monastère bouddhique de la part d’un fonctionnaire birman. Plusieurs auteurs ont suggéré que la capitale se trouvait sans doute sur les hauteurs avoisinantes de Mainamati où cette inscription a été découverte. Il est également possible qu’elle soit recouverte par l’actuelle ville de Comilla car de nombreux vestiges archéologiques y sont régulièrement découverts au cours de travaux publics, attestant avec certitude que l’agglomération moderne est fondée sur un site beaucoup plus ancien 357 . En 1917, N.K. Bhattasali, curateur à l’époque du musée de Dacca crut avoir identifié la vieille ville de Pattikera. Au cours de travaux d’aménagements d’une route reliant Comilla à Kalir Bazar et traversant à mi-parcours les collines de Mainamati et de Lalmai, furent découvertes les ruines d’une ancienne forteresse « aux dimensions modestes » et associée aux vestiges d’autres bâtiments identifiés comme des monastères bouddhiques (viharas). L’identification proposée par N.K. Bhattasali reposait sur une description de Pattikera laissée en 1803 par Colebrook, découvreur de la “copper-plate”, qui faisait état d’un fort établi sur une colline de la région et entouré de viharas 358 . La localisation précise de ce site pré-islamique n’a été retrouvée dans aucun rapport et les travaux d’aménagements de la voirie ont sans doute recouvert ou détruit ces vestiges. Les vestiges archéologiques très nombreux dans la région de Mainamati concernent essentiellement des structures religieuses, temples ou monastères bouddhiques, et si l’histoire ancienne du Bengale a plus largement bénéficiée de l’intérêt des chercheurs par rapport à l’Arakan ou la Birmanie en générale, l’extrémité orientale de la région apparaît comme un domaine d’étude étonnement délaissé. Pourtant, la ville de Chittagong figure parmi les ports les plus importants du Golfe du Bengale dans la Géographie de Ptolémée, description réitérée quelques siècles plus tard par les pèlerins et voyageurs chinois.

Un problème persistant subsiste quant à la toponymie des lieux. En effet, les sources indiennes font largement référence au Bengale oriental sous le nom Samatata. Celui-ci apparaît, par exemple, dans la Brhatsamhita et dans les inscriptions du pilier d’Allahabad érigé par Samudragupta ; on le trouve également sur de nombreuses plaques de cuivre (copper-plate) 359 . Le pèlerin chinois, Hiuen Tsang, qui se rendit sur les lieux au milieu du VIIème siècle, y fait référence dans ses écrits sous le nom de San-mo-ta-cha 360 . L’usage du terme Samatata apparaît de façon autant systématique que celui de Pattikera pour désigner la même région, et même si l’appellation Samatata est attestée à des périodes bien plus anciennes, elle perdure néanmoins au-delà du XIIème siècle. On sait que Samatata représentait une unité administrative qui dépendait d’une unité plus large, celle de Vanga 361 , et que son territoire que couvrait cette région incluait le secteur Comilla-Mainamati-Chittagong mais s’étendait bien plus au nord et comprenait également la région de Sylhet 362 . Or le territoire de Pattikera ne semble jamais avoir été aussi vaste et par conséquent, on peut s’interroger sur l’existence d’un découpage interne qui aurait subdivisé en unités plus petites le territoire de Samatata. Dans cette perspective, il serait possible que Pattikera ait été non pas un petit royaume autonome, frontalier de celui de Pagan, mais une région ou une sorte de “district”, effectivement localisée aux marges de l’empire birman mais dépendant du royaume de Vanga. D’après un texte Jain 363 , Vanga était inclus au sein des seize Mahajanapada, c’est-à-dire les seize unités administratives qui subdivisaient le nord de l’Inde, du Bengale jusqu’à l’Indus, avant l’émergence de l’empire Maurya. Certaines de ces unités survécurent à cet empire et il semblerait que ce fut le cas de Vanga puisque ce nom apparaît, de longs siècles plus tard, comme celui d’un royaume sur lequel régna la dynastie Chandra 364 , contemporaine de la dynastie du même nom qui exerçait son pouvoir sur Vesali en Arakan.

Notes
353.

Frasch 2002, pp. 67-68

354.

Chowdhury 1996, p. 97. Il est tout à fait possible que la mission birmane envoyée en Inde pour restaurer le temple de Bodhgaya, sous le règne de Kyanzittha, ait emprunté cette route.

355.

GPC 1923, p. 99 au sujet des frontières de l’empire ; p. 105 pour les projets d’alliance et de mariage de la fille de Kyanzittha ; p. 120 concernant la légende des vies antérieures d’Alaungsithu ; p. 121 à propos de la bataille contre Minpati.

356.

Alam 1976, p. 21.

357.

Alam 1976, p. 23.

358.

ASB 1922-23, p. 32.

359.

Law 1954, p. 257.

360.

Law 1954, p. 257.

361.

Le nom Vanga renvoie à un ancien royaume dont les limites territoriales et correspondent à l’ensemble du Bengale.

362.

Law 1954, p. 257.

363.

Le Bhagavatisutta, cf. Chakrabarti 2000, pp. 377 & 379.

364.

Law 1954, p. 268.