XII. L’Arakan : Une « cité-état » aux frontières du Bengale ?

Introduction

De même que pour les autres régions de Birmanie, les sources fiables font largement défaut quant à l’histoire ancienne de l’Arakan. De plus, le peu de textes dont on dispose est extrêmement tardif et date généralement de la fin du XVIIIème siècle 365 . Le Rãjwang est une chronique arakanaise, au récit bien souvent légendaire, qui fournit la liste de rois et dynasties successives ayant exercé leur pouvoir sur la région depuis des temps les plus reculés jusqu’en 1784 366 . C’est essentiellement à partir de ce texte que Phayre a rédigé l’histoire de l’Arakan. Les sources birmanes, notamment la Chronique du Palais de Cristal, n’évoquent pas la région avant le XIème siècle et racontent comment le roi Anawratha aurait essayé vainement de s’emparer de l’image de Mahamuni 367 . Les sources épigraphiques, également peu nombreuses, sont précieuses. Ce sont des inscriptions en sanskrit traduites dans les années 1940. Un pilier gravé sous le roi Ananda Chandra, retrouvé près de Vesali constitue l’élément le plus important de ce matériel épigraphique : il porte, entre autres, une inscription de 100 lignes sur une face et une autre de 71 lignes sur un autre côté 368 . Ce pilier nous donne la lignée des rois de Dinnyawadi et Vesali et date du début du VIIIème siècle 369 . D’autres inscriptions provenant des fouilles de Vesali, menées en 1957, ont procuré des informations sur la dynastie Chandra 370 . Une inscription sur plaque de cuive (“copper-plate”) a également été découverte fortuitement sur le même site ; provenant du même endroit, cette plaque est, semble-t-il, l’unique exemple de “copper-plate” jamais trouvé en Birmanie. L’étude paléographique fait remonter cette inscription au VIème siècle de notre ère 371 .

On retrouve des éléments constants dans l’organisation spatiale des deux premières capitales, Dinnyawadi et Vesali, tandis que les quatre suivantes, toutes édifiées sur les rives du Lemro, marquent une nette rupture dans la manière d’occuper l’espace. Les deux premières cités spacieuses et chacune occupée pendant de longs siècles, laissent la place à de petits centres urbains éphémères qui disparaissent aussi vite qu’ils n’apparaissent. L’exploitation des axes fluviaux semble par ailleurs se décaler vers l’est par rapport à la période précédente puisque les rives du Kaladan sont délaissées au profit du cours du Lemro. Les évènements historiques corroborent cette rupture temporelle entre l’abandon de Vesali et l’émergence des villes du Lemro, et font état des troubles politiques que voit naître le début du XIème siècle, et que traduit bien l’instabilité des implantations urbaines de cette époque. Au Xème siècle une invasion des Shan, venus de Haute Birmanie bouleverse le pouvoir politique en place et engendre cette longue période de troubles et d’instabilité. De plus, entre le XIème et le XIIIème siècle, l’Arakan devient un territoire tributaire du royaume birman de Pagan 372 .

Les deux premières cités, chacune de configuration très spacieuse, possèdent près de leur centre géométrique un secteur protégé par une enceinte et supposé être l’ancien quartier palatial. Elles ont également en commun le fait de posséder des aménagements hydrauliques destinés à l’agriculture mais dont notre connaissance actuelle se limite à de vastes réservoirs localisés près du secteur résidentiel. Des études d’après photographies aériennes permettraient peut-être, comme ce fut le cas pour certaines villes pyu, de déceler le tracé d’anciens canaux. Le régime des précipitations qui arrose l’Arakan varie entre deux extrêmes : la région est totalement sèche pendant la moitié de l’année, puis la saison des pluies déverse violemment des quantités d’eau excessives. Les températures sont suffisantes pour permettre de cultiver continuellement tout au long de l’année. L’eau de pluie ainsi stockée dans les grands réservoirs de chaque ville pouvait permettre la culture du riz pendant au moins une partie de la saison sèche. Ces aménagements urbains et hydrauliques, similaires en plusieurs points essentiels à ceux des anciennes villes pyu, pouvaient assurer l’autosuffisance alimentaire du royaume, voire produire un surplus dont il était possible de retirer des bénéfices. Si l’on peut rapprocher l’organisation du royaume d’Arakan, particulièrement au premier millénaire de notre ère, de celle des “cité-états”, l’autosuffisance reste une caractéristique essentielle dans la définition de ce système politique. D’autres facteurs viennent soutenir l’hypothèse d’un système de “cité-état” en Arakan, notamment la surface limitée du royaume, l’absence apparente d’établissements secondaires ou d’autres centres urbains, contemporains et synchrones établis sur le même territoire. La pratique d’une économie de subsistance et une structure hiérarchisée de la population, comme l’atteste la présence d’une citadelle à l’intérieur de l’espace fortifié, peuvent être deux critères ajoutés avec certitude dans le cas des deux premières capitales : Dinnyawadi et Vesali.

Notes
365.

Raymond 1995, p 472, note 6.

366.

Khan 1999, p. 11.

367.

Raymond 1995, p. 476, note 18.

368.

Johnston 1943, p. 359. La provenance d’origine de ce pilier est inconnue.

369.

Raymond 1995, p. 477.

370.

Cf la publication de ces inscriptions dans Sircar 1962.

371.

San Tha Aung 1997, p. 27 ; pour une représentation de cette “copper-plate” cf la planche 16 du même ouvrage.

372.

Raymond 1995, p. 478.