Dinnyawadi

Le premier site urbanisé d’Arakan que l’on connaissait à ce jour est l’ancienne ville de Dinnyawadi. Il est également le plus septentrional des sites arakanais connus (carte 10). À l’instar des villes qui lui succèderont, ce premier établissement a été fondé au cœur des plaines limitées à l’ouest par le Kaladan et à l’est par le Lemro. La présence de ces deux fleuves, qui rejoignent directement les eaux du Golfe du Bengale, a en effet guidé et encadré toutes les implantations urbaines de la région par le passé.

Aucune fouille d’envergure n’a jamais été menée sur le site ; des découvertes fortuites ont mis au jour essentiellement des sculptures d’obédience bouddhique mais aussi brahmanique, conservées au musée du site, dans la pagode Mahamuni (ph. 483 à 489, pl. CLIX-CLX).

La ville est implantée en bordure d’un petit cours d’eau, le Thare Chaung, qui longe la face occidentale du rempart. Le tracé de la fortification dessine un ovale presque circulaire dont les mesures maximales atteignent 2600 m environ pour la longueur et 2300 m pour la largeur, portant l’ensemble de la surface enfermée à un peu plus de 4,4 km²  373 , soit une surface quelque peu inférieure à celle que représente le site pyu de Halin. Au centre géométrique de la vieille ville se dresse la pagode qui renfermait la célèbre image de Mahamuni, aujourd’hui conservée à Mandalay, et dont la légende affirme qu’elle aurait été réalisée du vivant et en la présence de Gautama lui-même. Au sud du bâtiment, dans son voisinage, on peut suivre, par le biais d’images aériennes, le tracé d’une seconde enceinte de plan approximativement carré. Cette double fortification intérieure aux angles très arrondis est traditionnellement considérée comme l’ancien quartier palatial. L’étude de ces clichés a également permis de déceler la présence de quatre réservoirs creusés à proximité immédiate de chacune des faces de la citadelle 374 . La face orientale de la ville n’est pas fermée : protégée par de hautes collines, elle n’a peut-être jamais été fortifiée. Il est possible que cette partie du rempart ait disparu, mais il est tout à fait plausible également que le plan d’origine du site ait intégré la topographie des lieux et utilisé le relief naturel en guise de clôture orientale. Dans le secteur sud-est, le mur de rempart s’incurve profondément vers l’intérieur du site et forme une sorte de long et étroit couloir (ph. 478 à 481, pl. CLVII-CLVIII). Cette distorsion crée un espace implanté au pied du relief naturel qui servait peut-être de réservoir d’eau en captant les écoulements ruisselants depuis le sommet de ces collines, c’est du moins ce que la configuration des lieux laisse à penser. Le rempart est encore en élévation dans cette partie du site, et sa fonction de récupérateur des écoulements naturels et des eaux de pluie paraît évidente aux yeux du visiteur. La présence des cours d’eau, dont le Thare Chaung qui borde la vieille ville à l’ouest et qui alimentait la douve de la vieille ville, et de cet éventuel bassin vaste et profond, conjuguées à l’ampleur de la surface que couvre l’espace fortifié soutiennent largement l’hypothèse d’une pratique de la riziculture intra muros à Dinnyawadi, comme on le verra dans le cas de la capitale suivante Vesali.

Figure 89. Dinnyawadi – plan d’après photo aérienne
Figure 89. Dinnyawadi – plan d’après photo aérienne

(d’après Thin Kyi 1970)

Nous avons prospecté le site de Dinnyawadi, pour la présente étude, au début du mois de décembre 2002. À cette époque de l’année, les champs de paddy sont hauts et les traces du mur de rempart, dans la plupart des cas, se distinguaient au milieu des champs par la présence d’une végétation dissemblable (ph. 475, pl. CLVI). Le tracé de ce rempart est aujourd’hui invisible dans la partie nord-est. Sont essentiellement conservés des lambeaux de l’ancienne muraille dans la moitié sud ; le “couloir” que forme la distorsion de l’enceinte est également bien visible car il se trouve en dehors des aires cultivées et comme, nous l’avons déjà mentionné, sa hauteur est encore importante. Le tracé de ce “couloir” est, de plus, conservé dans sa totalité. Quelques traces éparses dans le secteur nord de la ville sont encore visibles, repérables par la concentration des briques au sol (ph. 474, 476-477 et 482, pl. CLVI à CLVIII).

Figure 90. Dinnyawadi – relevé des structures au sol (GPS)
Figure 90. Dinnyawadi – relevé des structures au sol (GPS)

D’après la tradition qui nous a été transmise par une chronique intitulée Rãjwang, Dinnyawadi aurait été fondée par un certain Mayaru et cette création remonterait à une date hautement légendaire : 2666 avant l’ère chrétienne. Cette tradition, outre ses aspects mythiques, fait mention de métissage et d’assimilation des cultures indiennes et birmanes 375 . Mayaru aurait été le roi fondateur de la première dynastie de Dinnyawadi. Une seconde dynastie, constituée de 25 monarques, aurait par la suite réoccupé la capitale, et ce dès l’an 146 de notre ère. Le roi Tsandathuria en serait à l’origine et c’est au cours de son règne que le bouddhisme aurait été introduit en Arakan. Certains historiens, notamment Phayre et Harvey, considèrent que Dinnyawadi fut capitale de l’Arakan de 146 à 788, date à laquelle émerge la dynastie des rois Chandra et le siège du pouvoir se déplace de quelques kilomètres vers l’est pour s’établir à Vesali ; cette datation s’appuie sur la chronique. D’autres historiens, notamment E.H. Johnston, s’appuyant sur les études paléographiques des inscriptions Chandra, placent la fondation de Vesali au IVème siècle ap. JC, vers les années 370.

Deux chroniques relatent l’abandon et le transfert de la capitale 376 . L’une affirme que la décision fut prise par le roi après que ses astrologues lui aient appris la destruction et des catastrophes prochaines sur la ville. La nouvelle capitale aurait été bâtie en cinq mois et après y avoir régné un an seulement, le roi fut assassiné par trois de ses ministres qui se succédèrent sur le trône pendant seize mois. La seconde version met en cause le caractère néfaste de la capitale car la mort de plus de 3000 hommes, éléphants et chevaux fut interprétée comme un signe mauvais augure. Ces incidents imputés à la malveillance du dieu Indra et à sa négligence quant à la protection du roi, auraient contraint au transfert de la ville. Le nouveau site fut également indiqué par Indra qui, s’étant transformé en âne, traça le plan de ses pas. Comme dans plusieurs légendes de fondation en Basse Birmanie, on retrouve ici le rôle d’Indra dans le choix du site et son intervention directe pour le tracé préalable au sol de la ville.

Notes
373.

Thin Kyi 1970, p. 6, (le texte donne des mesures en miles carré et non pas en kilomètres carré comme il l’indique) ; Gutman 1976, chap. I.

374.

Gutman 1976, chap. I.

375.

Khan 1999, p. 11.

376.

Ces deux textes sont le Danyawadi Ayedawpon et le Rakhaingyazawinthit, cf. Gutman 1976, chap. I.