« Facit indignatio verbum » (L’indignation fait le verbe),
Juvenal, Satires I, 79
Si la civilisation contemporaine a conspiré contre l’intériorité c’est en deux mouvements apparemment opposés, mais peut-être seulement en apparence. Dans un premier mouvement la culture contemporaine a refusé l’existence même d’une vie intérieure personnelle, elle exaltait les systèmes, ne reconnaissait d’existence réelle qu’aux structures. Le psychologue n’avait pas sa place dans un tel univers, sauf à se fondre dans une autre identité, celle du sociologue par exemple, ou d’adopter les habits de toute autre science pourvu qu’il n’ouvre de place à aucun mouvement personnel, singulier. Premier interdit. Et voilà que par un étrange retour, dans un deuxième temps paradoxal, notre civilisation post-moderne, cesse de mépriser ou d’ostraciser le « misérable petit tas de secrets », pour en faire l’objet merveilleux d’un étalage permanent et irrépressible, d’un épanchement imposé et bientôt réglementé. D’abord niée comme illusoire, l’intimité doit à présent s’étaler. On disait le sac humain vide, la pensée une illusion ; maintenant il faut vider son sac, mettre ses tripes à l’air. Pour la psychologie, le résultat est assez semblable dans ses conséquences. Dans une moitié de ce siècle on a refusé une place à la psychologie comme n’ayant pas d’objet propre. Aujourd’hui nous passons du refus théorique, à l’abus pratique. Chacun doit se livrer, se vider, il faut parler. Mais dans l’un ou l’autre cas, c’est bien la pensée que l’on refuse.