Le contexte idéologique de l’aprés guerre

«  Que ferait-on s'il ne restait le bourgeois à tuer, et le petit bourgeois à ridiculiser ?.... Aujourd’hui, n'importe qui peut être accusé d'être un bourgeois ou un petit bourgeois si ses idées ne sont pas exactement celles que vous voudriez, ou s'il vous déplaît : petit-bourgeois, asocial, réactionnaire, mentalité bourgeoise, voilà les nouvelles injures, les nouvelles mises au pilori. Et les accusateurs sont, le plus souvent, justement les petits-bourgeois affolés " Ionesco "Notes et contre-notes" p. 216

On ne peut comprendre le sens dans lequel ont été reçues et admises les critiques adressées à la psychologie à partir du brulôt de Canguilhem, ou tout au moins sous sa caution, sans rappeler le contexte politico-culturel dans lequel ces critiques se sont développées, et donc sans esquisser à grands traits un tableau des passions idéologiques qui ont enflammé l'immédiate après-guerre. C'est seulement ainsi qu'on pourra comprendre qu'en 1980 encore E. Roudinesco, dans son intervention au colloque G. Canguilhem, puisse, au nom de celui-ci, ostraciser la psychologie comme "fasciste"(Roudinesco 1990 p. 143), au contraire d'une psychanalyse - lacanienne on le verra - "antifasciste". Le chef d'accusation suprême, l'ostracisation absolue.

L’univers intellectuel de l'après-guerre fut traversé par trois passions dominantes et enchevêtrées: l'anti-fascisme – quarante ans après on en soupçonne encore la psychologie -, la critique du "bourgeois" – la psychologie, comme humaniste et individualiste sera accusée d’être une science bourgeoise -, et, polarisation de ces deux critiques dans un modèle exemplaire qui les représenterait, l’anti-américanisme – les péchés de la psychologie seront symbolisés par la psychologie "américaine", et une psychanalyse déviante qui là-bas s’en était faite l’alliée. Nous reviendrons plus en détail à travers l’étude de leurs textes sur chacun des tribuns qui portèrent ces combats, Lacan, Althusser, Foucault, et sur l’usage singulier qu’ils firent de ces armes. Mais d'abord plantons le décor.

La passion idéologique dominante de l'après-guerre fut l'anti-fascisme. La peur de son retour obséda les pensées et paralysa le débat sur l'homme. Avoir un tel ennemi était bien utile, cela évitait les retours sur soi. Ainsi face à des deuils difficiles, des hommes vont chercher une défense et un refuge dans la position paranoïaque qui fait de l’autre l'objet mauvais à détruire. La pensée paranoïaque, ne peut s’ouvrir sur une pensée psychologique de l’autre. Elle est l’antithèse de tout ce qu’implique la compréhension psychologique : accepter que l’autre ait une intériorité propre –non réduite à une projection-, en admettre la complexité, et par corollaire, tenir pour acceptable un examen casuistique de ses intentions.

«‘Le mot d’”engagement” avait été brandi à la Libération comme un programme et comme une excuse. C’était le mot rétrospectif de tous ceux qui avaient appartenu à la génération de la résistance sans s’y jeter à corps perdu”. J. Julliard’ 4 . Pour Albert Camus : "les bourreaux partis, les français sont restés avec leur haine en partie inemployée. Ils se regardent encore avec un reste de colère". Discours à la Mutualité du 15 Mars 1945 5 . En ce temps-là une fureur cherchait à s'employer. Peu de « psychologues » alors pour interroger sa nature ou son origine. Nul n'ose demander pourquoi les plus furieux se recrutent parmi ceux qui se sont peu engagés pendant l'Occupation. Les porte-drapeaux les plus en vue de l'anti-fascisme après la guerre n’avaient souvent guère hésité à se faire publier chez les éditeurs de collaborateurs affichés 6 . Sartre prenait le poste d’un juif révoqué et S. de Beauvoir faisait un passage à la radio nationale, bref sans doute, mais quand même 7 . Le sentiment plus ou moins avoué de n'avoir pas été à la hauteur animant leur passion morale, ils projetaient peut-être dans les nouvelles circonstances leur combat raté, tranchant sommairement pour la cause entre bons et mauvais, entre camarades et ennemis. Et ces ennemis que l’on cherchait, on en est venu à les trouver dans les nouveaux "occupants"du sol français, entendez les Américains, au mépris de toute reconnaissance, ou même de la simple justice.

Quand on a besoin d'ennemis à qui faire la guerre, lorsque sous l'influence de Sartre ("l'enfer c'est les autres") ou d'un hégélianisme mal assimilé qui réduit les rapports humains à la lutte du maître et de l'esclave, l'autre devient cet ennemi dont on a besoin, alors tout ce que des psychologues ont essayé de développer dans l'ordre de l'empathie et de la compréhension de l'autre et de soi-même est mal venu. La position psychologique qui accorde à l'autre un espace intérieur et une intention propre, n'a plus de place là. Ce que l'autre pense, ressent, ses compromissions, ses conflits internes et ses refoulements, la façon dont il se construit chaotiquement, dont il chemine, anecdotiquement, ses hésitations et ses aller-retour, ne valent rien; la seule chose qui compte est de quel côté il se trouve, de qui il peut être l'allié "objectif". Il n'y a évidemment rien de moins "objectif" que cette objectivité-là. L'autre n’est plus que le "salaud" ou le "traître" dont le Chef ou le Parti a décidé de se débarrasser 8 . Alors, Vychinski, le procureur de Moscou, pouvait disqualifier d’un mot : "psychologie", les arguments qu'il ne voulait pas entendre (vous avez tort au regard du parti, de l'histoire, et "tout le reste est psychologie" (dixit). Et nombre d’intellectuels médiatiques occidentaux d’alors pouvaient cautionner cela. Dans de telles époques l'individu, son intériorité, sa psychologie, ne sont que fatras dépassés. L'autre est déshumanisé. Il n'y a plus d'adversité à affronter, que des adversaires à supprimer. Plus de pluralité, de complexité. Deux camps.

Dans la France de l'immédiate aprés-guerre, la volonté de destruction de la psychologie fut sans conséquence physique pour les psychologues, puisqu’ils n’existaient pas, mais une violente radicalité s'imposait dans le discours qui allait avoir de lointaines conséquences, jusqu’aux années 60 et au-delà - jusqu’en 1980 chez E. Roudinesco-. Peut-on accorder une place à la psychologie quand dominent des discours de terreur. Si elle est "fasciste", comme on le répètera, alors elle doit se taire.

L'extrémisme de langage n’était pas nouveau en France. C’est un héritage ancien, un goût rédhibitoire des intellectuels français. Dans le double héritage de la violence révolutionnaire – voir F. Furet: ‘«’ ‘ Penser la Révolution française ’» - et de celle de l’Action française. Il n’a eu qu’à s’enrichir après la guerre du nouveau florilège léniniste ("les "salauds", les "rats visqueux"), Un discours radical se développa, un jeu rhétorique, mais qui faisait sauter les barrières mentales contenant la violence fondamentale. La posture à la Nizan 9 du dandy procureur fascine et façonne encore nos élites. On a vu plus tard Georges Bataille, dont le magistère intellectuel fut important, justifier de façon nietzschéenne 10 l'usage de la violence contre l'impérialisme de la raison : la violence est révolutionnaire. Barthes poursuivra sur la même ligne. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, cet homme courtois et fin lettré, dénoncera la langue comme "fasciste" ( la langue a des règles, elle nous contraint, donc elle est fasciste). On verra aussi Foucault célébrer les massacres de Septembre, et Sartre, dans "Actuel”, juger que les révolutionnaires n'avaient pas assez coupé de têtes. On pourrait multiplier les exemples. Le thème de la Terreur est d’ailleurs une figure obligée de la pensée française. Les intellectuels français ont toujours été fascinés par les pouvoirs les plus sanglants, sans doute parce qu'ils voyaient là l'expression sans masque du pouvoir absolu, du rapport sans fard du maître et de l'esclave. ( Tout aussi significative est la révérence obligée à Sade, de Barthes à Sollers... ; et certes Sade ne fait pas dans la psychologie). 11

Mais il s'agit, dans un prurit adolescent, de provoquer le bourgeois, comme on affronte le père. Dans l’imaginaire romantique, ce qu'on critiquait dans le bourgeois, c'était le conformiste. Du point de vue marxiste ce fut le possédant. Aprés la guerre le bourgeois est en outre fasciste (Preuve a contrario : c’est le prolétariat communiste qui a combattu le fascisme). Dans les pensées manichéennes, il est facile de ressouder l’unité menacée de morcellement par la désignation d'un ennemi commun. (tous ensemble contre... c’est la forme générale du slogan rassembleur). N'avoir tous qu'un seul ennemi : comme le conseillait un "expert" allemand de la manipulation des foules : "chez les faibles et les indécis, se savoir des ennemis différents éveille bien trop aisément un doute quant au bien-fondé de leur propre cause", dixit A.H . Ainsi le bourgeois peut réunir contre lui le romantique révolutionnaire et l’anti-révolutionnaire défenseur des classiques de l’Action française, et aussi bien l’anti-individualiste que l’élitiste. On a le goût de la «révolution” aussi bien à droite qu'à gauche, (voir la «révolution nationale” voulue par Pétain). Ce consensus dans le choix de l’ennemi devrait nous questionner. Et pourtant, que de l’extrême droite à l’extrême gauche on se rassemble ainsi contre l'individualisme «bourgeois”, voilà qui n'a suscité alors aucun soupçon 12 . Ce qui est évident aujourd’hui où l'on peut penser fascisme et communisme sous le même concept de totalitarisme, était «invisible” dans les années d'après-guerre. On pouvait alors penser l'individu comme l'ennemi des masses, le bourgeois individualiste comme fasciste potentiel. Il y a peu de temps encore des intellectuels «engagés” ont porté la même accusation contre les survivants du goulag

La haine de l'individu anime toutes les pensées pour lesquelles l'horizon indépassable de l'homme c’est son appartenance au groupe, et qui, exécrant une liberté non surveillée font la chasse aux espaces privés (comme celle si bien anticipée par G. Orwell). On y retrouve les traditionalistes contre-révolutionnaires 13 , porteurs d'une vision organiciste de la société : Bonald, Comte, Maurras ( Nous reviendrons plus loin sur l'influence que le vicomte rouergat eut sur la formation de la pensée de Lacan, notamment par sa vision de la langue comme loi, et de la famille comme modèle social). On y trouve aussi une bonne partie de la pensée sociologique, de Saint-Simon à Comte encore, et Bourdieu, les pensées totalitaires extrêmes, qu'elles s'affichent nationalistes ou universalistes, mais même des chrétiens progressistes, de Lamennais à Mounier, pour qui l'existence de la personne n'a de sens que dans son intégration à la communauté. Ceci, ainsi que le rejet du règne de l'argent, amènera les moins "droitiers" de la mouvance de la revue « Esprit », à s'aligner sur les positions communistes au moment du coup de Prague : les victimes méritaient leur sort, ils appartenaient à un monde dépassé, une "Europe morte". Une vingtaine d’années plus tard, lors de l'autre coup de Prague, il se trouvera encore un philosophe français, A. Badiou, pour dénoncer quasi identiquement les réformateurs comme des idéologues petits-bourgeois dépassés 14 Quel rire furieux a dû secouer Bonald dans sa tombe de voir les derniers révolutionnaires s'aligner sur sa critique de l'humanisme, de la liberté et du suffrage universel secret.

La critique du bourgeois au nom de la révolte des masses opprimées, est renforcée d'une autre, issue de la tradition romantique : celle du jeune créateur contre l'ordre établi 15 . Révolte individualiste celle-là. L'artiste n'est pas reconnu du bourgeois qui a le pouvoir et l'argent. Mais enfin, avoir un même ennemi peut réunir, on l'a vu avec les surréalistes. Ceci ne va pas sans quelques dérives. Au nom des leçons du passé sur la difficulté qu'ont eu d'authentiques créateurs à s'imposer, on finirait bien par poser que tout anticonformiste est esthétiquement supérieur. Pourtant s'il est vrai que d'authentiques novateurs ont été méconnus de leur temps, parce que non conformes au goût régnant, il conviendrait tout de même de se demander aujourd’hui - mais déjà après la guerre si la critique des bourgeois n'est pas devenue le nouveau conformisme. Car l’anticonformisme étant un snobisme des plus répandus, il se vend bien. Devant leurs succès éditoriaux et médiatiques, nos anticonformistes, philosophes du soupçon, n'ont guère envie de chercher si la critique de la pensée bourgeoise n'est pas la dernière ruse de la pensée bourgeoise.

Une autre des pensées de l'époque où trouve à se couler la recherche d'un ennemi, est l'anti-américanisme. Nous l'avons dit plus haut, les Américains représentent ce capitalisme dont on fait le père du fascisme (fascisme = capitalisme = Amérique, comme dans le Reich hitlérien bolchevisme = juif = finance internationale). On veut oublier le pacte germano-soviétique, et ce qu'avait de populiste le programme du parti national socialiste. On dit que les Américains ont mis au pouvoir en Allemagne Adenauer, un Allemand, donc un fasciste. Qu'ils "occupent " la France, et les intellectuels appellent à une nouvelle "résistance" contre le Plan Marshall, opération de "colonisation" par l’impérialisme américain. Qu'ils s'affirment comme anticommunistes, est l'aveu même de leur fascisme, puisque il est entendu que les seuls vrai antifascistes ont été les soviétiques.

Tous ces vecteurs obligés, ces courants dominants qui orientent la perspective culturelle et politique de l'époque, vont supporter, étayer pour de longues annéés, les critiques adressées ensuite à la psychologie. Une pensée unique, sous les couleurs de la gauche intellectuelle, derrière des maîtres penseurs formés au moule de la pensée droitière, va dénoncer la psychologie comme une idéologie : "bourgeoise", "américaine", et, last but not least, "fasciste". Ce qu'est le psychologue, ce qu'il fait, s'affronter à des situations problématiques, aider une personne à accroître son autonomie, se salir les mains parfois, se compromettre (ie rechercher un compromis) ne peut être entendu d'une pensée clivante.

Notes
4.

In «Les idées en France 1945-1988. Une chronologie”. Le Débat, Folio, 1989, p. 191-192.

5.

In "Actuelles: Ecrits politiques" Paris Gallimard 1977, p. 116.

6.

Et même d’authentiques résistants comme Aragon, ou Eluard et Elsa Triolet. Aragon fut aprés la guerre le directeur des "Lettres Françaises", journal d’une qualité littéraire incontestable, mais donnant avec facilité dans la denonciation du fascisme.

7.

On a rappelé récemment («Sartre et la question juive”, Commentaire, n° 89, printemps 2000, p.141-147) que Sartre avait pris le poste à Condorcet de Henri Dreyfus-Le Foyer, mis à la retraite d’office du fait de la législation anti-sémite de Vichy. Le fait était connu mais négligé des medias. L’attitude de Sartre qui jamais ne manifesta rien à son prédecésseur, avait déjà été condamnée par Jankélévitch, sans que cela soit relevé dans les medias. On peut trouver le péché vénielet s’interroger sur ce que soi-même on aurait fait. Mais de là à se faire le procureur du fascisme aprés coup...

8.

Il arrive aujourdhui qu' on accorde trop de place aux psychologues experts dans les tribunaux. Mais alors, en ces temps de procés, aucune place n’était faite à la psychologie puisqu'il ne s’agissait que d'éliminer l'autre

9.

Paul Nizan, pamphlétaire dont le modèle fait régulièrement retour, attaqua violemment avant la guerre («il ne faut plus craindre de haïr. Il ne faut plus rougir d’être fanatique”) les philosophes Bergson et Brunschvicg, ces «chiens de garde” qui avaient des comptes à rendre au prolétariat - personnifié par Lénine-. Une attaque des «bourgeois”qui fit date. Dans ce pamphlet de 1932 chaque paragraphe, presque chaque ligne transpire d’un fanatisme de combat. Pour illustrer le lien fait entre bourgeois et psychologie, cette affirmation de la page 4: «seuls les bourgeois ont besoin de subtilité dans leurs analyses et de profondeur dans l’esprit parce qu’ils ont seuls quelque chose à cacher”. Notez qu’à la même époque un certain parti des travailleurs allemands national socialiste dénonçait lui aussi les «petits-bourgeois”, obstacles à un monde nouveau. De fait ce sont bien les nazis qui pourchassèrent physiquement les «chiens de garde”Bergson et Brunschvicg. Mais l’exaltation par Nizan de la haine de ces grands intellectuels «bourgeois”, n’aurait-elle pas mérité après la guerre un examen critique ? Quelques mots de Léon Brunschvicg, bien oublié aujourd’hui. Professeur de philosophie profondément aimé, puis violemment jalousé du fait de son prestige, de sa longue présence à l’Ecole Normale Supérieure et au Jury de l’agrégation, philosophe de la «conscience” et non philosophe du concept ou du langage (ou des systèmes si séduisants aux âmes serves qui firent florès après guerre), cet homme d’étude qui pensait que le premier devoir de l’homme est d’être intelligent, eut la triste fin du juste persécuté par les violents. Obligé de fuir Paris en 1940, sa demeure pillée et dévastée, il vint mourir à Aix-les Bains, laissant à ses proches le souvenir d’un sage. En 1942, il écrivait à Vladimir Jankélévitch : «J’abandonne d’autant plus volontiers mes oreilles et mon cœur à la nuit que j’ai conscience d’être pour mon propre compte le bourgeois aux yeux de qui la nuit ne s’entretient que dans le souvenir et dans l’espérance de la lumière. Il est dans la nature que le jour ait peur de la nuit et le romantisme se réjouit à bon droit qu’il ait triomphé de cette peur. Mais le danger commence lorsque le même qui n’a plus peur de la nuit se met comme Wagner à proclamer sa peur du jour.” Voilà des mots que S. Freud aurait pu reprendre. L’homme n’est pas que nuit, bouche d’ombre possédée. ( Source : l’article d’A. Canivez dans l’ «Histoire de la philosophie” de la Pleïade, t. III, 1974, p. 467-473)

10.

L’angélisme consensuel sur Nietszche en France a de quoi étonner – moins que celui sur Sadecependant-. On admet en France que sa pensée est tout à fait étrangère, voire rebelle à l’utilisation qu’en ont faite les nazis. Ils n’auraient pas compris Nietszche, et madame Fôrster aurait trafiqué les textes. Sans doute est-ce en partie vrai. Cependant l’ami Overbeck pensait : «Nietzsche a été un adversaire convaincu de l’antisémitisme (...) Il n’empêche que lorsqu’il est sincère, les jugements qu’il porte sur les Juifs surpassent tout antisémitisme par leur sévérité. Le fondement de son anti-christianisme est essentiellement antisémite”(«Souvenirs sur Nietzsche”, Paris Allia, 1999). Et comment ceux qui pourchassent partout le fascisme, peuvent-ils passer sans sourciller sur une phrase comme celle-ci: « Toute élévation du type humain a toujours été et sera toujours l’œuvre d’une société aristocratique, d’une société qui croit à de multiples échelons de hiérarchie et de valeurs entre les hommes et qui sous une forme ou sous une autre, requiert l’esclavage” (Par delà le bien et le mal, Aubier 1963, p. 349). Sur le rôle de Nietzscheet quelques autres dans la justification culturelle d’une pensée fasciste, voir par exemple J.P. Stern: «Hitler, the Führer and the people”, 1975, tr. fr. Flammarion, 1995. Selon Léo Strauss Nietzsche fut pour les nazis ce que fut Rousseau pour les révolutionnaires de 1789.

11.

Dans la deuxième partie du chapitre 1 du «Système totalitaire”, le t. III de «Les origines du totalitarisme”, Hanna Arendt s'interroge sur l'alliance surprenante dans les régimes totalitaires de la populace et de l'élite, et l’incontestable attrait que ces mouvements ont exercé sur tant d'intellectuels éminents. Elle note que, bien avant qu’un intellectuel nazi n'ait proclamé: « Quand j'entends le mot culture, je tire mon revolver », des poètes, des écrivains, des philosophes, rejetaient l'humanisme et exaltaient la barbarie. On voudrait la citer un peu longuement (page 60 et 61 de l'édition de poche- 1984) : « Aussi parut-il révolutionnaire d'admettre la cruauté, le mépris des valeurs humaines, et l'absence générale de moralité (...) l'élite intellectuelle des années 20 était persuadée qu'on pouvait jouer à la perfection le jeu ancien d'épater le bourgeois (...) l'avant-garde ignorait qu'elle enfonçait non des murs, mais des portes ouvertes et qu'un succès unanime démentirait sa prétention à être une minorité révolutionnaire, en prouvant au contraire qu'elle était sur le point d’exprimer l'esprit de l'époque, un nouvel esprit de masse. » Nil novi sub sole.

12.

Voir sur ce point Zeev Sternhell : «La droite révolutionnaire (1885-1914). Les origines françaises du fascisme” Paris Le Seuil, 1978

13.

Ce n’est pas vrai de toutes les pensées contre-révolutionnaires. Un anglais pragmatique comme Burke, sensible à la complexité du social, respectueux des bricolages sociaux, oppose à la Science (l’orgueilleux dogmatisme de Hegel a ses premisses chez les inspirateurs de la pensée révolutionnaire) la Prudence, et à la croyance que la totalité peut être transparente à la pensée logique, une pensée floue, non réflexive reposant sur des savoirs inconscients trans-générationnels. (Nous reviendron plus loin en introduction à la pratique, sur la prudence; elle nous paraît bien la vertu première à attendre du psychologue).

14.

"Contribution au problème de la construction d'un parti marxiste-léniniste d'un type nouveau". Paris Maspero 1969.

15.

L’intellectuel en révolte contre l’ordre établi, c’est le thème surexploité de «la bohème”dont le succés auprés des bourgeois s’est transmis jusqu’à nous – ne vient-on pas de redécouvrir les «bobos”-. Il n’a fasciné qu’eux, tant l’affichage de la rupture avec le système n’est jouissive que pour le narcissisme de ceux qui sont dedans. Au XIXème c’est le «Tout Paris” des lettres et du journalisme qui se pressait impasse du Doyenné dans le haut lieu de la Bohème parisienne, et les tirages faramineux de romans sur la bohème, n’étaient pas épuisés par les prolétaires (cf. Seigel: «Paris Bohème 1830-1930”). Aujourdhui, les bobos «triomphent dans la mode” ( l’”Officiel de la mode”, mai 2001, page 20, «Automne-Hiver 2001-2002. Bohème de luxe”).