La rupture. Contre la psychologie du moi.

Dans un article polémique, assez juste sur le fond, des "Temps Modernes" de novembre1993, M. Schneider rappelait un peu rudement que l'attaque contre la psychologie du moi avait une raison plus circonstancielle qu'essentielle, qu'elle était une réponse directe aux enquêtes menées par les anglo-saxons sur sa pratique. Lacan, dit dans son article M. Schneider, subordonne la plupart du temps sa recherche théorique à des visées politiques. "Intérêts politiques: c'est en un temps de guerre froide, où régnait un incroyable anti-américanisme, où la classe intellectuelle française avec les communistes pourfendait "Ridgway la peste" (1952), que fut inventée la légende d'un Freud porteur de "peste". Lacan en lutte personnelle contre l'A.P.1. dominée par les anglo-saxons qui l'avaient sanctionné (1953) et opposé idéologiquement aux tenants de l'Egopsychology américaine, toujours nommée en anglais et assimilée à tort à une simple adaptation de l'american way of life avait besoin de cette fausse filiation de rebelle afin de prendre pouvoir dans l'institution analytique française, puis en Europe et en Amérique latine" 155 . Autant que le goût du pouvoir, c'est le dépit qui animait Lacan. En outre, quoiqu'il en soit des manœuvres et des détournements de texte qu'il pratiquera pour inventer un combat imaginaire qui le fasse exister comme paladin, les positions théoriques qu'il fut amené à prendre pour alimenter ce combat, rejoignaient ou s'étayaient sur des convictions profondes, des positions existentielles sur l'homme, le pouvoir, l'autorité, inscrites en lui depuis longtemps, et plus loin inscrites dans un héritage français organique. Sinon il n'aurait pu soutenir ce combat si longtemps, avec autant d'énergie et trouver autant d'alliés. Dés avant la rupture de 1953, le moi n’avait pas chez lui bonne presse, mais enfin il « concubinait ».

C'est en 1953 que Jacques Lacan, suivant quelques-uns de ses collègues, rompt avec la S. P. P., et, sans le savoir avec l'I.P.A.. L'histoire de cette rupture est connue, elle a été racontée de nombreuses fois, nous n'y reviendrons pas. On en trouvera le détail chez E. Roudinesco. 156 Nous nous intéressons seulement à l'histoire de ses positions quant à la psychologie, et la psychologie du moi, durant la dizaine d’années qui ont suivi 53, jusqu'à l'autre rupture celle qui correspond à son arrivée à l'Ecole Normale Supérieure, quand les deux Discours, celui d'Althusser et celui de Lacan vont se rejoindre. Pour analyser les œuvres de ces dix années nous avons choisi d’y découper, un peu artificiellement, trois parties. L’année de la rupture, J. Lacan affirme son originalité, mais évite encore l’affrontement direct avec les gardiens de l’orthodoxie. Cette position se lit dans le ‘«’ ‘ Discours de Rome ’», ‘«’ ‘ Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse ’», et le premier séminaire sur ‘«’ ‘ Les écrits techniques de Freud ’». A partir de 54 et en 55 surtout, confronté aux enquêtes de l’I.P.A. J. Lacan   contre-attaque par une offensive violente contre l’Ego psychologie, dans son séminaire sur ‘«’ ‘ Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse ’» et surtout dans l'article sur ‘«’ ‘ La chose freudienne ’». Dans les années suivantes, c’est l’étiage. Il tient ses positions sur l’Ego psychologie, avec encore quelques éclats, mais il se prépare à déplacer son combat. J. Lacan trace sa route personnelle, chassé du royaume, il cherche de nouvelles terres, où il trouvera des alliés.

Notes
155.

M. Schneider "Lacan, période fauve", «Les Temps Modernes”, novembre 1993, p. 97.

156.

E. Roudinesco : « La bataille de cent ans. Histoire de la psychanalyse en France », t. 2 et « Jacques Lacan »