L’Ego-psychology version lacanienne.

Quand une célèbre, traduisez médiatiquement incontournable, historienne de la psychanalyse, dans un dictionnaire paru chez l'éditeur Fayard, présente l'Ego psychology (article ‘«’ ‘ Hartmann ’» pages 423-424), elle se cale naturellement sur le jugement de Lacan. Nous la citons : ‘«’ ‘ il (Lacan) n'hésitera pas à traiter l'Ego psychology de ’ ‘«’ ‘chancre constitué par les alibis récurrents du psychologisme ’ ‘»’ ‘ 207 ’ ‘ et à qualifier la psychanalyse américaine, incarnée à ses yeux par les travaux de Hartmann, comme une psychologie dévoyée au service de la libre entreprise. Freud n'était d'ailleurs pas plus indulgent quand il reprochait aux Américains à propos de la question de l'analyse profane d'avoir fait de sa doctrine la bonne à tout faire de la psychiatrie’. ». Ce point de vue sur l’Ego psychology est un des poncifs les plus autorisés de la littérature psychanalytique française.

On voit en ces quelques lignes se condenser plusieurs amalgames (irruption de passion primaire sinon de mauvaise foi). Premier amalgame : la psychanalyse américaine réduite à l’Ego psychology, et on argue des critiques de Freud à l’égard de certaines erreurs de la psychanalyse américaine, pour en faire une critique de l'Ego psychology. Deuxième amalgame : l’Ego psychology assimilée à la psychologie et renvoyée aux critiques opposées au « psychologisme ». Troisième amalgame : la psychologie au service de la libre entreprise (NB. Il faut traduire ici : « libre entreprise » doit être compris comme « libre exploitation du prolétariat »). Ces dérapages s’aggravent de télescopages de temps : la critique développée par Freud dans la question de l'analyse profane date de 1926. À l'époque, et pour une dizaine d'années encore, Hartmann est psychanalyste viennois 208 et l'un des préférés de Freud, ce qu'il restera jusqu'à la fin. Il a dû un jour s’exiler en Amérique, comme Freud en Grande-Bretagne, et par un effet rétroactif sa tardive naturalisation forcée revient en flash back le disqualifier ; la psychologie viennoise du moi est devenue la psychologie américaine.

Notes
207.

Souligné par nous. Nous n'allons pas épiloguer sur la violence du propos. Nous ne nous arrêterons pas non plus sur l'utilisation hors de son champ d'origine du reproche de psychologisme, parce que nous y consacrerons un long développement à propos de Canguilhem. Disons rapidement que la critique de psychologisme, menée par Frege et Husserl, ne constitue en aucun cas une critique de la psychologie en tant que telle, mais une critique du point de vue empirique en épistémologie (comme chez Stuart Mill).

208.

Sait-on que Heinz Hartmann participa occasionnellement (voir W. M. Johnston « L’esprit viennois »), comme Karl Popper, aux discussions du Cercle de Vienne où est né le positivisme logique qui a marqué profondément toute la philosophie anglo-saxonne, et indirectement des psychanalystes comme Bion, ou Schafer . On aurait tort d’en faire un esprit borné comme on se plait chez nous à voir les américains.