La psychologie du Moi et le problème de l’adaptation.

Il est temps maintenant d’aller voir ce qu’est réellement cette Ego psychology qui fut accusée chez nous de trahir l’enseignement freudien. Heinz Hartmann, Ernst Kris et Rudolph Löwenstein, sont les fondateurs reconnus de cette école de psychanalyse, née en Europe, mais qui s’est développée aux U.S.A. par la force des circonstances, et que l’on désigne indifféremment en France, sous le nom de psychologie du moi ou sous son nom américain d’Ego-psychology, cette psychanalyse « américaine » condamnée par une faction médiatique de psychanalystes français, au nom de la vieille Europe, sous cette accusation d’être naïve et surtout normalisante.

Le mieux pour cela est de relire ce que Hartmann, un des disciples préférés, a écrit réellement, bien avant son départ pour les Etats-Unis, dans son livre ‘«’ ‘ La psychologie du moi et le problème de l'adaptation ’»(1939). Si nous nous y attardons, c’est d’abord dans l’optique de la défense, pour examiner la validité – la justesse, la probité- des critiques qui lui furent adressées autour de la question de l’ » adaptation ». Mais c’est aussi pour une raison prospective plus dynamique, parce que nous souhaitons dans notre deuxième livre nous appuyer sur les points acquis dans notre démonstration, pour nous autoriser à reprendre et à développer ce projet de liaison des sciences psychologiques qui fut ouvert par l’Ego-psychologie et sur un point qui nous intéresse particulèrement, celui du fonctionnement mental, par les héritiers de l’Ego psychology 213 . Ce qui fut l’argument principal de la condamnation de l’Ego-psychologie par une pensée dogmatique fonctionnant par exclusions, à savoir sa collusion avec une non-science, ie la psychologie, devrait à notre avis éveiller l’intérêt des psychologues d’aujourd’hui, ces bâtards et ces métis qui vivent aux marges, et essaient de bricoler des passages pour les savoirs, les pensées et les affects, les leurs et ceux des autres.

Dans cet ouvrage fondateur, sinon de l'ego psychologie (on en trouve déjà le programme chez Freud), du moins du champ polémique qui lui a été attaché, Hartmann pose le problème de l'adaptation selon trois perspectives différentes. Selon lui le problème de l'adaptation se pose d'abord et surtout sur le plan théorique, quant à la conception que nous devons nous faire du moi, en quoi il est important que l’étude du moi prenne en compte les fonctions du moi permettant l'adaptation à la réalité. Le problème de l'adaptation se pose en outre à propos des objectifs fixés à la thérapeutique : l'objectif est-il de soigner, de normaliser ? Le problème de l'adaptation se pose enfin à partir des questions amenées par les pédagogues ; indirectement certes, mais pour cet ami d'Anna Freud, comme pour beaucoup d'analystes, la théorie analytique doit interagir avec l'éducation.

La lecture de l’ouvrage est difficile, le style est lourd –problème de traduction peut-être- avec beaucoup de répétitions au long des chapitres. L’objectif affirmé de cette communication est d’ouvrir un programme, mais il faut bien reconnaître que cette intention programmatique est un peu beaucoup répétée.

Pour Hartmann, la psychanalyse s'étant d'abord occupée de cas pathologiques ou à la limite de la pathologie, il était naturel qu'elle se soit centrée en premier sur l'étude du ça, puisque c'est dans le ça que naissent ces poussées pathologiques, et que c'est par la connaissance du ça qu'on pourra les comprendre. (Disons-autrement : la psychanalyse à ses débuts s'est plus interrogée sur les anormales disruptions « primaires », que sur le fonctionnement mental secondaire socialisant). Mais il remarque que, depuis les derniers travaux de Freud, la psychanalyse s’essaye à dépasser la seule théorie psychopathologique pour tenter de constituer une psychologie générale. Citons-le : ‘«’ ‘ une étape décisive et peut-être la plus importante a été franchie par la récente psychologie du moi (nous pensons aux travaux de Freud lui-même au cours des quinze dernières années, puis surtout à ceux d'Anna Freud) et, en ce qui concerne un autre domaine partiel de recherches, à ceux de l'école anglaise.(…) À l'heure actuelle nous ne doutons plus que la psychanalyse puisse à juste titre prétendre constituer une psychologie générale au sens le plus large du terme ’» (page 2). Pour Hartmann, seule la psychologie du moi peut offrir un champ de développement à la psychologie générale à venir : ‘«’ ‘ On a souvent dit que la psychologie du Moi constitue un terrain de rencontre avec les théories psychologiques non analytiques - alors que la psychologie du Ca a toujours été le domaine réservé de la psychanalyse, et l’est aussi resté. ’»

Pour autant, précise-t-il, même si la psychologie du moi constitue un terrain de rencontre avec les théories psychologiques non analytiques, elle ne se réduit pas à une psychologie de surface descriptive et phénoménologique. Si la prise en compte de ce qui se passe à l'interface avec la réalité revêt une importance particulière pour la psychologie du moi, elle ne s’y limite pas. Elle étudie également les processus préconscients ainsi que les relations entre moi inconscient, préconscient et conscient. (Et Heinz Hartmann défend même Federn, dont la psychologie phénoménologique du moi encourait l’accusation d’en rester à la surface, pour rappeler que Federn rapporte toujours les expériences vécues à des processus libidinaux.)

Le Moi n’est pas si lisse, et Hartmann montre en évoquant les conflits internes au moi sa nécessaire profondeur. Mais pour cet article-ci, Hartmann a décidé de s’interesser essentiellement aux éléments non conflictuels. De même que la psychanalyse, née de l'étude des dysfonctionnements psychopathologiques, a d'abord approfondi sa connaissance du ça, pour les mêmes raisons elle a abordé le moi en commençant par l'étude des conflits internes. Partant d'une préoccupation première : le traitement de la névrose, la psychanalyse s'est longtemps arrêtée sur les zones de conflits de l'appareil psychique. Or le moi, selon Hartmann, ne se construit pas que sur des conflits. ‘«’ ‘ Nous admettons certes que le moi se constitue en s'appuyant sur des conflits, mais ceux-ci ne représentent pas la racine unique de la formation du moi ’».

Notes
213.

Il y eut D. Rapaport dont les travaux, reconnus, par Piaget notamment, ne furent malheureusement pas traduits en France. Les héritiers français de l’Ego psychology, on les trouve notamment parmi les psychologues ( V. Shentoub et ses amies ou E. Schmid-Kitsikis).