Conclusion.

Nous voilà au terme de cet ouvrage. Dans les trois derniers paragraphes de ce dernier chapitre Hartmann résume et justifie son projet : ‘«’ ‘ nous voyons maintenant clairement en quoi la psychologie analytique du moi est obligée de s'occuper de ces problèmes. Nous avons déjà montré au début de cet ouvrage que l'évolution autonome du moi constitue une des conditions préliminaires pour l'établissement d'une relation avec la réalité ; par la suite, nous avons pu dégager l'existence probable d'une relation analogue en ce qui concerne toute une série d'autres fonctions. Ce faisant, nous nous sommes heurtés à la nécessité d'étudier séparément les appareils du moi. Dans ce contexte, nous aimerions encore une fois insister sur l'impossibilité de circonscrire de façon satisfaisante les concepts de moi fort et de moi faible, sans considérer la particularité et le niveau d'évolution des appareils du moi, qui comprennent l'intelligence, l'activité volontaire, l'action, etc.. ’» (p.86). Dans un cadre ainsi défini, ce n'était pas l'objet d'étudier ‘«’ ‘ les relations variées et intéressantes ’» (page 87) existant entre pulsions et appareils psychiques, en particulier la façon dont sont investis le moi et/ou les différents appareils du moi. Hartmann rappelle que la psychanalyse, telle qu'on la comprenait jusqu'à l'époque où il écrit son article, avait fait du conflit la notion centrale de sa théorie du psychisme. Pour cette psychanalyse-là, centrée sur la psychopathologie des névroses, les considérations développées ici, Hartmann le reconnaît, ne pourraient être admise comme analytiques au sens strict. Mais pour lui ces sujets ne doivent pas rester étrangers à la psychologie analytique. Hartmann voudrait qu'on ouvre les frontières, qu'on fasse communiquer les savoirs psychologiques, comme le voulait Freud lui-même, de la psychologie spontanée à la littérature, en intégrant les apports des sciences voisines. Il y a des choses que nous connaissions déjà, sur le moi, la perception, la motricité, la pensée, sans avoir attendu la découverte de l'inconscient freudien. Nous en découvrirons d’autres encore, ailleurs que dans le cabinet de l'analyste.

Dans cet essai il s'agissait simplement pour Hartmann d'ouvrir un programme et d'en esquisser différentes directions de recherche. Il ne fallait pas s’attendre à voir réalisée ici la synthèse de ces différents apports, synthèse qu'il appelle de ses vœux. Il le rappelle lui-même en concluant :‘»’ ‘ Nos considérations nous ont parfois mené bien loin du centre de l'analyse, du moins en apparence. Une partie de notre discussion constituait surtout un programme à réaliser ; elle nécessite d'être complétée et concrétisée par des recherches empiriques particulières (...) notre but est atteint si nous avons pu faire admettre que ces problèmes du développement autonome du moi, de la structure et de la hiérarchie des fonctions et du moi, de l'organisation, de la direction centrale, de la suspension de soi, etc., ainsi que leurs relations avec les conceptions d'adaptation et de santé mentale, ont aussi droit à notre réflexion et à notre intérêt. ’» (Page 87, dernières lignes).

Hartmann en appelle donc à une collaboration des psychologies, celles du moi et celles du ça, à une intégration des savoirs, sur le modèle de l'intégration que réalise, sans doute de façon fragile et toujours en mouvement, plus programmatique qu’achevée, le moi lui-même, et aussi le psychanalyste. Donnant une telle image du moi et du psychanalyste il était naturel que Hartmann soit critiqué. Il ne l'était pas que sa position soit caricaturée. Évidemment Hartmann est conduit par le choix de son positionnement à donner une place importante aux facteurs d'adaptation sociale et d’intégration des normes. Cependant il avait pris la précaution de préciser qu'il ne choisissait de privilégier ici cet aspect que parce qu’il est ordinairement négligé et que cela ne remettait en aucune façon en cause la pertinence des analyses déjà largement développées et répandues sur la force du ça.

En revenant à la source de la polémique, nous voulions simplement ici relever ce qui dans la théorie de Hartmann, psychanalyste viennois, ni américain, ni béhavioriste, vient contredire la version simplificatrice qui en a été donnée, et pas seulement par les analystes lacaniens. Nous avons voulu montrer au passage qui n'y a pas de contradiction entre le point de vue de Hartmann et celui de Canguilhem sur les normes. Ni le moi selon Hartmann n'est un « flic », 227 ni le psychanalyste du moi, ni le psychologue. 228

Notes
227.

Parfois refuser les tâches prêtant à l’accusation de flicage a des conséquences paradoxales (on l’a vu pour l’école). Nous nous demandons parfois s’il n’y a pas aujourd’hui dans nos prisons des personnes très perturbées psychologiquement qui hier auraient peut-être été dans un asile ?

228.

A regarder aprés coup, s’il y avait un danger américain pour la psychanalyse, venait-il de N Y ou de L A. Les « dérives » par rapport à l’orthodoxie freudienne - pas nécessairement négatives à nos yeux, mais qui auraient dû l’être aux yeux de Lacan ne sont pas nées de l’Ego psychology. Les «branchés” d’aujourd’hui consomment du «développement personnel”, du «coaching”. Ils ont calé leur image du moi sur leur moi idéal, confondant l’autonomie (par intériorisation du conflit et compromis) avec l’authenticité (effacement de tout conflit, de toute hétéronomie). Lacan s’est trompé d’adversaire.