«La psychologie de 1850 à 1950 ».

Le 1er article que nous allons examiner parut dans le tome 2, ‘«’ ‘ Tableau de la philosophie contemporaine ’» de l'ouvrage de Huisman et Weber, ‘«’ ‘ Histoire de la philosophie européenne ’». 241 C'est un article dont la lecture est assez pénible, mal organisé, comme fait de bric et de broc. Plusieurs parties, toutes celles où il endosse les habits du psychologue, s'intègrent mal dans le déroulement d’une analyse plutôt philosophique. Par exemple, parcours obligé puisqu’il est appelé à parler comme psychologue, il passe en revue les différentes théories psychologiques : béhaviorisme, Gestalt théorie, Gesell, Wallon, Cattell, Binet, Thurstone, Rorschach, Murray (orthographié Muway…), Kardiner, Linton, Moreno. Mais ces éléments sont comme rapportés et s’intègrent mal dans une analyse d’orientation philosophique, ce qui est normal si l’on considère l’objet général de cet ouvrage.

L'intention qui dirige l'argumentation de Foucault est de montrer que le renouvellement de la psychologie comme science de l'homme est une tâche encore à accomplir. Pour Michel Foucault la psychologie a hérité de l’Aufklärung le souci de s'aligner sur les sciences de la nature. Elle a donc visé à une connaissance positive du comportement par la détermination expérimentale de rapports quantitatifs -liés par des lois -. Les psychologues du XIXème, nous dit-il, ont emprunté aux sciences de la nature leurs modèles. Par exemple le modèle physico-chimique, pour J. S. Mill, le modèle organique pour Fechner, Wundt, le modèle évolutionniste pour Spencer, Jackson, Ribot. Mais la psychologie a cependant dû reconnaître que quelque chose d’essentiel à la réalité humaine échappait en partie à ce type de science naturelle. Des psychologues comme Janet ont alors proposé d'analyser la conduite en dépassant le naturalisme, pour faire place au sens, à la signification d'un comportement (les conduites internes de Janet). Dilthey et Jaspers ont revendiqué la nécessité de faire place à la compréhension aux côtés de l'explication naturaliste.

Mais nous dit Foucault c'est surtout la psychanalyse qui a donné la plus grande place à la signification. Pour la psychanalyse toutes les conduites ont un sens (‘«’ ‘le sens est co-extensif à toute conduite ’» p. 128). L'insensé lui-même n'est qu'une ruse du sens. Ce sens est caché, enfoui dans l'histoire individuelle. ‘«’ ‘ Le présent est toujours en dialectique avec son propre passé ’» (p. 129). Le passé ‘«’ ‘ projette sur l'actualité du monde réel les fantasmes de la vie antérieure ’» (id.). Pour Foucault ce qui fait la force de Freud, c’est qu'il va plus loin que Janet et Jaspers dans l'empire qu’il confère au domaine du sens, mais surtout qu'il intègre dans sa théorie les contradictions existant entre l'individu et la société, en découvrant les structures par lesquelles la société s'impose à l'individu. Ainsi avec Freud une étude objective des significations devient possible sans retomber dans le naturalisme.

Après un détour par la cybernétique dans laquelle il voit une impasse, Michel Foucault examine un autre type possible de dépassement de la psychologie, vers ce qu'il appelle une anthropologie. Il reprend là des éléments de son étude sur Binswanger. En effet par anthropologie il faut entendre ici une anthropologie philosophique, une typologie des styles d'existence. Le mot anthropologie ne sert là qu'à donner une caution scientifique. De ce point de vue, ‘«’ ‘ la psychologie apparaît comme une analyse empirique de la manière dont l'existence humaine s'offre dans le monde ’»(p.136). La psychologie doit donc elle-même reposer sur l'analyse ‘«’ ‘existentielle’”, qui déterminera ‘«’ ‘ la manière dont l'existence humaine se temporalise, se spatialise, et finalement projette un monde ’» 242 (id.). Ce choix est celui d'une liberté fondamentale, première (à la manière sartrienne). Il conclut cependant son article en disant abruptement que ni la psychologie scientifique, ni la réflexion anthropologique ne peuvent dépasser les contradictions que l'homme rencontre dans sa pratique. Il n’y a pour lui d’ouverture, de champ possible à l’existence d’une psychologie que : ‘«’ ‘ dans l'analyse des conditions d'existence de l'homme et par la reprise de ce qu'il y a de plus humain dans l'homme ’». Ce disant, il ne fait lui-même que mettre en évidence la contradiction et la difficulté à la dépasser. Suffit-il de la conjonction ‘«’ ‘ et ’» pour dépasser la contradiction et pour arriver à faire le joint entre analyse marxiste et anthropologie existentialiste, entre déterminations sociales et liberté fondamentale. L'utilisation du mot anthropologie lui-même suffit-il pour unifier les différentes approches de l'homme ? 243

Notes
241.

Repris dans «Dits et écrits”, vol. 1. Paris. Gallimard 1994, p. 120-137..

242.

A la suite de Brentano, de Husserl, et de Binswanger, M. Foucault distingue deux plans : empirique et transcendantal.

243.

M. Foucault est attiré par l’anthropologie philosophique (on rappelle que anthropos =homme et que chez les anglo-saxons l’anthropologie est la science qui étudie l’homme comme espèce : ethnologues, préhistoriens ). A plusieurs reprises il revendique ce titre, et ce territoire de recherche. Resterait à s’interroger sur le sens de ce choix chez ce prophète de la mort de l’homme. Choix délibéremment provocant d’un anthropologue suicidaire ? Comme il se dit aussi archéologue, ou généalogiste, ce seraient les hommes morts qui l’intéresseraient ? Ou bien choix par défaut : pas vraiment historien, ni philosophe, ni sociologue, ni psychologue, ni linguiste.