«La recherche scientifique en psychologie”.

Son deuxième article de professeur de psychologie, encore un article de commande, est destiné à un ouvrage collectif dont l'objectif était de dresser l’état des lieux de la recherche scientifique: ‘«’ ‘ Des chercheurs français s'interrogent. Orientation et organisation du travail scientifique en France »’ 244 . L'éditeur E. Mourère dans son introduction générale s'interroge lui-même sur la place à donner à la psychologie dans cet ouvrage sur la recherche « scientifique ». La psychologie est multiple, selon ses objets et selon ses méthodes. Coincée entre physiologie et spiritualisme, hésitant entre naturalisme et humanisme, a-t-elle sa place parmi les sciences ? Du fait de son éclectisme fallait-il lui faire le coup du mépris comme l’avait fait Auguste Comte ? Mais cette complexité, nous dit Mourère, est peut-être à l’image de notre réalité. Si nous étions tout cela ? Et puis ‘«’ ‘ après tout il y a des psychologues et qui cherchent »’. C'est donc pour parler de la recherche en psychologie qu’on fait appel à Michel Foucault qui n'était pourtant pas vraiment le modèle du psychologue de laboratoire.

L'article de Michel Foucault tient en deux argumentations. L'une sur les conditions pratiques de la recherche, l'autre sur le fondement de la recherche en psychologie. Pour conclure que la place donnée à la recherche psychologique est justement le révélateur de l'échec de la psychologie.

Examinons le premier argument : alors qu'elle devrait fournir les bases de l'intervention pratique, la recherche en psychologie n'a d’autre fonction que de fournir des débouchés honorables aux praticiens (rappelons que ce bilan date de l’année1957). ‘«’ ‘  La recherche en psychologie ne naît donc pas des exigences de la pratique, et de la nécessité où elle se trouve de se dépasser elle-même ; elle naît de l'impossibilité où se trouvent les psychologues de pratiquer la psychologie ’» (1994, page 146). Les praticiens existants, qui ont été formé de manière tout à fait satisfaisante aux techniques d'intervention psychologique, n'ont d'autres ressources pour pratiquer la psychologie que de demander une bourse au C.N.R.S.. ‘«’ ‘ La non existence d'une pratique autonome et effective de la psychologie est devenue paradoxalement la condition d'existence d'une recherche positive, scientifique, et ’ ‘«’ ‘ efficace » en psychologie. »’ (page 148).

Mais il lui faut pousser l’analyse plus loin. S'il n'y a pas de possibilité d'une pratique autonome de la psychologie, si les praticiens se réfugient dans la recherche, mais une recherche alors coupée de la pratique réelle, cela tient plus fondamentalement aux conditions sociales dans lesquelles devrait s'exercer la pratique psychologique. Seule une politique de plein-emploi exigeant des ouvriers professionnels hautement spécialisés pourrait justifier l’utilité et le développement d'une pratique psychologique, s’appuyant sur la recherche. Hors de cette condition, totalement illusoire dans les conditions sociales actuelles, la psychologie ne peut servir que des pratiques de sélection et de discrimination. Les techniques psychologiques perdent du coup toute validité et tout sens. Voilà pour le premier point qui conclut à l’impossibilité d’une pratique respectable, et par contre-coup à l’inutilité d’une recherche qui n’est plus qu’un refuge coupé de la pratique.

Michel Foucault passe ensuite à sa deuxième analyse, d’un point de vue philosophique cette fois. La contradiction qui voue la psychologie à sa disparition ne tient pas seulement aux conditions empiriques de son exercice. C'est à un niveau beaucoup plus essentiel que la psychologie enferme une contradiction mortelle. ‘«’ ‘ Pour la psychologie, la contradiction humaine est la vérité même de la psychologie ’» (p.153). ‘«’ ‘ Puisqu'elle est la revendication d'une positivité de l'homme au niveau même où il fait l'expérience de la négativité, le psychologue ne peut être que l'envers négatif et mythologique d'une pratique réelle ’» (page 154). Foucault argue que les conflits, et plus au fond la négativité inhérente à l’essence humaine, interdisent toute pensée et toute forme de pratique. 245 Comme essence réalisée de la psychologie, la recherche est à la fois sa seule forme d'existence et le mouvement même de sa disparition. ‘«’ ‘  Son mouvement est (...) celui d'une vérité qui se défait »’(p. 157). 246 Si la recherche est devenue l'essence et la réalité de toute psychologie – comme Foucault pense l'avoir démontré, mais la suite ne l’a pas vraiment confirmé -, ‘«’ ‘ ce n'est donc pas le signe que la psychologie a enfin atteint son âge scientifique et positif, c'est le signe au contraire qu'elle a oublié la négativité de l'homme qui est sa patrie d'origine, le signe qu'elle a oublié sa vocation éternellement infernale »’ (p.158). Réunissant pour finir la négativité hégélienne et l'enfer freudien, Michel Foucault, semble donc n’ouvrir un avenir à la psychologie, que dans l’empire des morts (L’ange tutélaire - ou le démon ?- du psychologue serait Mephisto, l’esprit qui nie).

La contradiction dans laquelle Foucault enferme la psychologie est-elle vraiment mortelle pour elle ? Et si Michel Foucault ne faisait que projeter là la difficulté de sa propre situation ? Officiellement chargé d'enseigner la psychologie, mais non-praticien. Fondamentalement philosophe plutôt que psychologue, à la fois sur le plan de son organisation intellectuelle, mais également par sa situation concrète éloignée de toute pratique. La négativité qu'il découvre au sein de la psychologie n'est-elle pas tout simplement la sienne ?

Pour faire comprendre comment Michel Foucault a pu assumer lui-même sa propre contradiction, on nous permettra d’ouvrir ici une parenthèse pour faire un saut dans le temps afin d’entendre ce qu'il avouera quelques années plus tard dans un entretien avec A. Badiou, en 1965.

Notes
244.

Toulouse, Privat. 1957. L’article est repris dans «Dits et écrits”, 1994, vol. 1. p.137-158.

245.

Sous une forme différente, c’est l’affirmation sartrienne : l’homme est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est

246.

Michel Foucault aime ces figures de style où une profondeur de sens semble naître de la contradiction des termes. Si l'oxymore est une figure romantique par excellence Foucault est un romantique, comme Hegel d'ailleurs qui joue sur les contradictions. Ici il nous dit que la recherche psychologique n'existe que dans le mouvement même de sa disparition. Ailleurs dans le texte il a cette image en parlant du psychologue il dit qu’il est : « l'image renversée où se révèle et se cache en même temps un savoir effectif ». Le psychologue sait parce qu’il ne sait pas et ne sait pas parce qu’il sait etc.. La force de cette dialectique, derrière la séduction rhétorique est d’en appeler à l’énergie archaïque du clivage tout en prétendant la dépasser.