« Philosophie et psychologie ». (Entretien avec A. Badiou) 247 .

Dans cet entretien Michel Foucault a commencé par dénoncer le statut disciplinaire incertain de la psychologie et son caractère syncrétique. Elle n'est pas une science, disait-il, mais une‘ ’ ‘»’ ‘  forme culturelle ’» (page 438) qui s'inscrit dans la lignée de nombreuses autres pratiques antérieures comme la casuistique, la confession, le jeu précieux de la carte du tendre etc.. Telle que Michel Foucault décrit la psychologie elle n'a pas de lieu propre, pas de territoire de droit, elle est très enchevêtrée avec la philosophie, la littérature, la pratique religieuse. Alain Badiou est alors conduit à lui demander comment lui-même a pu assumer ce mélange par sa double position de philosophe et de psychologue. Il lui pose la question suivante : ‘«’ ‘ Si vous vous trouviez dans une classe de philosophie qu’enseigneriez vous de la psychologie ? ’» (p.448). La réponse de Michel Foucault est significative de sa façon de vivre sa dualité, d'assumer la contradiction dans laquelle il a enfermée la psychologie. Il devrait se faire double répond-il, (en d’autres termes un peu schizophrène, comme l’allusion à ‘«’ ‘Psychose’” le confirme plus loin). Il commencerait, nous dit-il, par acheter le masque le plus perfectionné qui soit pour ne pas être reconnu, ‘«’ ‘ je tacherais, poursuit-il, comme Antony Perkins dans ’ ‘«’ ‘ Psychose », de prendre une toute autre voix, de manière que rien de l'unité de mon discours ne puisse apparaître. Ensuite j'essaierais dans toute la mesure du possible, d'initier les élèves aux techniques qui sont actuellement en cours chez les psychologues, méthodes de laboratoire, méthodes de psychologie sociale ; j'essaierais de leur expliquer en quoi consiste la psychanalyse. Et puis, à l'heure suivante, j'enlèverais mon masque, je reprendrais ma voix, et on ferait de la philosophie quitte à rencontrer, à ce moment-là, la psychologie, comme cette sorte d'impasse absolument inévitable et absolument fatale dans laquelle s'est trouvé engagée la pensée occidentale au XIXe. ’» (id.) On voit là toute l’impossibilité pour Michel Foucault de tenir longtemps une telle position.

Cependant, quand plus avant dans l’interview, Alain Badiou lui demandait si la psychologie deviendra en dernière instance la science des structures, ou bien la connaissance du texte individuel, Michel Foucault répondait ceci : ‘«’ ‘ la psychologie sera la connaissance des structures, et l'éventuelle thérapeutique qui ne peut pas ne pas être liée à la psychologie, sera la connaissance du texte individuel, c'est-à-dire que je ne pense pas que la psychologie puisse jamais se dissocier d'un certain programme normatif. La psychologie c'est peut-être bien, comme la philosophie elle-même, une médecine et une thérapeutique ’» (page 444). Il y a donc deux psychologies, mais il admet implicitement que pour le psychologue praticien il n’y a pas de coupure dirimante, pas d’oppositon entre les structures et le texte individuel. Le praticien pour agir a besoin de connaître les structures. Mais elles ne condamnent pas son action. Une action thérapeutique 248 est possible, ouvrant un espace d’autonomisation et de construction de soi, qu’elle passe par un travail philosophique ou psychologique. Il y reviendra dans ses dernières années.

Notes
247.

« Dossiers pédagogiques de la radio-télévision scolaire”, 27 février 1965, p.65-71. «Dits et écrits”, vol. 1, 1994, p.438-448.

248.

Au sens étroit du soin, mais a fortiori au sens large (conseil, soutien): il est possible de changer les choses.