L' » Histoire de la folie ».

Avec l'ouvrage suivant qui lui apportera la célébrité, la pensée de Michel Foucault prend enfin son envol et s'émancipe du marxisme orthodoxe. L' ‘»’ ‘ Histoire de la folie »’, titre de l'édition de Gallimard (1972) sous lequel cette oeuvre est connue (comme thèse elle fut publiée d'abord chez Plon sous le titre ‘«’ ‘ Folie et déraison »’ (1961), est l'histoire de l'enfermement des fous puis de leur médicalisation. Selon Michel Foucault, durant le Moyen-Âge, jusqu’à la Renaissance, la folie est présente dans l’horizon social comme un fait quotidien toléré ou un thème esthétique ( représentations de la ‘«’ ‘ Nef des Fous ’»). Ce sont les lépreux qui sont mis à l’écart. A partir de l'âge classique la folie est perçue différemment, elle apparaît comme troublant l'ordre public et les fous seront enfermés. Un enfermement qu’après la Révolution on leur fera intérioriser en les identifiant comme des malades mentaux, proposés à un traitement moral culpabilisant.

Pour nous qui sommes essentiellement intéréssés par les jugements portés sur la psychologie, sa valeur et sa possibilité, c’est l’explication de la naissance de la psychologie qui va retenir notre attention. Michel Foucault fait naître la psychologie, l'homme se prenant lui-même comme objet scientifique, du dernier moment de cette histoire d’un nouveau rapport à la folie. De la même manière que le regard clinique est né de l'examen de l'homme mort, la psychologie est née de la mort de l'homme précédent. ‘«’ ‘ L'homme occidental n'a pu se constituer à ses propres yeux comme objet de science (...) que dans l'ouverture de sa propre suppression ; de l'expérience de la déraison sont nées toutes les psychologies et la possibilité même de la psychologie ; de l'intégration de la mort dans la pensée médicale est né une médecine qui se donne science d'un individu »’ (page 199). Interprétation brillante, mais histoire fabuleuse qui renoue avec les histoires naturelles du XVIIIe - les ‘»’ ‘ Essai sur... ’» - étayée sur des coïncidences anecdotiques et non sur une recension précise des faits. Ainsi lorsque Michel Foucault veut voir dans le décret fondant l'Hôpital général de 1656 la traduction de cette nouvelle perception de la folie qui découlerait, selon lui, du cogito cartésien. 251

Peu de temps après la parution de l’ouvrage de Foucault, Gladys Swain relèvait, parmi d’autres approximations nombreuses, ce qu’avait d’erroné cette inférence centrale de l'”Histoire de la folie”. Il est significatif du climat intellectuel de cette époque qu’elle n’ait pas été entendue alors. Son ouvrage marginalisé passa inaperçu. La thèse de M. Foucault, le traitement de la folie interprété sous la perspective de l'exclusion, ne pouvait rencontrer dans les années 60-70 qu'un fort succès parce qu'il entrait en résonance avec la plupart des thèmes qui animaient la pensée 68. Pour Gladys Swain, au contraire de ce qu’affirmait M. Foucault, la naissance de la psychiatrie, annonce l'avènement de la conception moderne du sujet. Quand Pinel commence son travail à Bicêtre il le fait reposer sur l'idée que la folie n'est pas incurable (Hegel saura le remarquer qui remerciera Pinel d' ‘»’ ‘ avoir découvert ce reste de raison chez les aliénés et les maniaques et de l'y avoir découvert comme contenant le principe de la guérison »’). L’asile n’exclut pas le fou de l’humanité, il est au contraire le signe d’une intégration de droit et la promesse d’une intégration de fait avec le progrés du soin dans la communauté humaine. L’évolution des chiffres de l’internement psychiatrique, rapportés plus tard par P. Morel et C. Quetel, 252  venaient confirmer l’inanité de la thèse du grand enfermement de 1656. En réalité le pourcentage de fous internés n'était que de 1,9 à la Révolution, de 3,6 au moment de la loi de 1838, 10 à la fin du second empire et 20 à la fin de la IIIe République. Malgré ces critiques, on fait encore de nos jours constamment référence à la thèse de Foucault comme à une vérité définitivement établie.

Comme notre analyse est volontairement limitée aux conditions de l'accueil de l'article de Canguilhem, et aux regards portés sur la psychologie dans ces années là, nous passerons sur les essais de Michel Foucault consacrés à la littérature, et en particulier son livre exemplaire consacré à ‘«’ ‘ Raymond Roussel »’. Un mot seulement pour faire observer que cet ouvrage, qui fait de l'écriture un travail de dessaisissement 253 -et non plus de ressaisissement de soi comme on le pense ordinairement-, et qui théorise donc la mort de l'auteur, annonce déjà la mort de l'homme. Le thème sera d’ailleurs repris dans ‘«’ ‘ Les mots et les choses »’ 254 ,  et surtout dans l’ ‘»’ ‘ Archéologie du savoir »’. 255

Notes
251.

Selon lui chez Descartes le doute, moyen de dégager une vérité première, exclut la possibilité de la folie. Jacques Derrida conteste cette conséquence dans « L'écriture et la différence ».

252.

Dans «  Les médecines de la folie » (Paris Hachette (1985). Sur la question du «renfermement” voir aussi dans la «Nouvelle histoire de la Psychiatrie” de J. Postel et C. Quetel, le chapitre: «La question du renfermement des insensés”, p. 106-120, qui remet en cause la thèse de Foucault.

253.

Dans la mouvance de pensée de M. Blanchot.

254.

Quand il décrit Mallarmé ne cessant de s’effacer de son propre langage pour n’être plus qu’un interprête, l’ «exécuteur” d’une pure cérémonie du Livre où le discours se composerait lui-même.

255.

En 1965 après la parution de « Les mots et les choses », Michel Foucault fit une conférence à la Société française de philosophie sur le sujet : «Qu'est-ce qu’un auteur ». Elle sucita la réflexion suivante de Jean d'Ormesson : «  dans la thèse de Michel Foucault, la seule chose que je n'avais pas bien comprise et sur laquelle tout le monde, même la grande presse, avait mis l'accent, c'était la fin de l'homme. Cette fois, Michel Foucault s'est attaqué au maillon le plus faible de la chaîne : il a attaqué non plus l'homme, mais l'auteur.(...) je me disais que, tout de même, il y a des auteurs, en philosophie, en littérature... (...) Eh bien j'ai été complètement rassuré, parce que j'ai l'impression que dans une espèce de prestidigitation, extrêmement brillante, ce que Michel Foucault a pris à l'auteur, c'est-à-dire son oeuvre, il le lui a rendu avec intérêt, sous le nom d’instaurateur de discursivité, puisque non seulement il lui redonne son oeuvre, mais encore celle des autres ».